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Le désherbant de Monsanto divise l’Europe

Bruxelles a repoussé lundi un vote concernant l'autorisation du glyphosate. Cette substance développée par Monsanto et utilisée dans la composition de désherbants est accusée d’être dangereuse et coalise contre elle plusieurs pays, dont la France.

Cela fait un an que le glyphosate donne des migraines aux commissaires européens. Après plusieurs votes repoussés, coups de gueule au Parlement européen et offensives des lobbies, les experts de Bruxelles devaient prendre une décision lundi concernant la prolongation de son autorisation de commercialisation. Nouvel échec. Selon une source proche de la Commission, 20 Etats membres ont donné leur accord, un a voté contre, les autres, dont la France, se sont abstenus. Or une majorité qualifiée est nécessaire pour se mettre d'accord.

Le vote devait être approuvé par 55% des participants, représentant 65% de la population de l'UE. Ce qui n'a pas été le cas. D'un côté, les opposants craignent que le composant ne soit cancérigène. De l'autre, les pays défenseurs sont sensibles aux arguments de l'industrie agro-alimentaire, qui craint un manque en gagner en cas d'interdiction.

Les pays membres espéraient se mettre d'accord sur une proposition de maintien de l’autorisation de vente pour une période d’un an et demi, le temps d’étudier scientifiquement les possibles effets néfastes sur la santé. On est certes loin des quinze ans précédemment évoqués mais l’annonce a déplu aux plus farouches opposants.

Quarante ans d’utilisation

Mise sur le marché par la sulfureuse firme Monsanto dans les années 70 sous la marque Roundup, la substance est aujourd’hui produite à grande échelle. Son brevet est tombé dans le domaine public en 2000. Durant des décennies, agriculteurs et jardiniers amateurs ont pulvérisé des tonnes de glyphosate. Mais en mars 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et son agence du cancer ont pris en grippe l’agent chimique. En cause ? Son appartenance à la catégorie des «cancérogènes probables ou possibles» pour l'homme. Dès lors, une féroce bataille a débuté entre politiques, associations, scientifiques, entreprises et leurs différents lobbies. Une guerre à laquelle les gouvernements européens ont fini par prendre part. France, Suède, Pays-Bas, Italie et Autriche forment dorénavant le quinté anti-glyphosate.

Accorder une nouvelle licence maintenant, sans attendre une évaluation de l’Agence chimique européenne, serait comme sauter en parachute sans vérifier votre équipement

Preuve de la délicatesse de la question, un précédant vote, prévu début mars, avait dû être repoussé. La Commission prévoyait de prolonger la licence d’exploitation du produit de 15 ans. Devant la fronde de plusieurs pays, Bruxelles avait reculé. Les opposants souhaitaient une étude complète de la substance avant d’autoriser la prolongation de la vente. Franziska Achterberg, en charge de la politique alimentaire au sein de l’UE pour Greenpeace déclarait alors : «Accorder une nouvelle licence maintenant, sans attendre une évaluation de l’Agence chimique européenne, serait comme sauter en parachute sans vérifier votre équipement.»

Les représentants de l’industrie agro-alimentaire avaient crié au scandale. Jean-Charles Bocquet est le président du lobby des fabricants de pesticides, qui répond au nom d’Union des industries… de protection des plantes. Il avait commenté la décision de Bruxelles en termes offensifs : «Nous sommes vraiment contrariés que des pays soient influencés par des pressions politiques venant du comité de l’environnement du Parlement européen, des ONG et par le principe de précaution.»

Le gouvernement allemand avait fait savoir qu’il ne participerait pas au vote de lundi. Il déplore que les membres de l’Union ne puissent se mettre d’accord sur le sujet. Combiné à la position du quinté des opposants, cette abstention pourrait faire basculer le résultat.

Du côté de Monsanto, des autres producteurs ou des poids lourds de l’agriculture européenne, on est sans surprise favorable à une extension de la licence. Ils mettent en avant des arguments économiques. Sans glyphosate, leur compétitivité serait amoindrie et les prix augmenteraient pour le consommateur. «Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au sein de l’Union européenne. Je l’utilise depuis 40 ans sur mon exploitation pour produire du grain de qualité», martèle Guy Smith, vice-président de la National Farmers Union britannique. Il annonce un manque à gagner de 630 millions d’euros par an pour la seule économie du Royaume-Uni, en cas de disparition du glyphosate.

Si Bruxelles maintient l’autorisation, la France pourra l’interdire toute seule

Pekka Pesonen, secrétaire général du groupe de lobbyistes Copa-Cogeca, prévient que «les agriculteurs ont besoin d’outils rentables pour assurer leur pérennité et proposer de la nourriture abordable et de qualité».

Dans le camp d’en face, pas question de céder à ces arguments. «Si Bruxelles maintient l’autorisation, la France pourra l’interdire toute seule», a averti la ministre de l’Ecologie Ségolène Royale. Cela promet des débats engagés. Son homologue à l’agriculture, Stéphane Le Foll, n’est pas dans la même optique. Il est plus sensible aux arguments des céréaliers et viticulteurs français qui assurent que sans glyphosate, ils ne pourront plus suivre leurs concurrents autorisés à se servir de la controversée substance. Cela explique sûrement la décision de la France de s'abstenir lors du vote de lundi. 

Nocif ou pas ?

La question principale demeure celle de la dangerosité du produit. Là encore, pas facile de trancher. Ce qui est certain, c’est qu’on trouve le glyphosate partout : dans l’air, l’eau, les aliments, la bière, le coton, les vêtements et même dans les mèches de cheveux ! Plusieurs députés européens ont fait un sacrifice capillaire qui s’est révélé utile : tous les échantillons prélevés contenaient du glyphosate.

Certains sont même allés plus loin. 48 parlementaires de treize nationalités différentes ont fait analyser leurs urines. Là encore, tous positifs ! Et les taux relevés atteignaient parfois 17 fois le seuil légal toléré dans l’eau potable.

Il est certes partout, mais est-il nocif pour autant ? Même l’OMS ne sait plus où donner de la tête. Alors qu’elle avait classé dans un premier temps le produit comme cancérigène, elle est revenue sur sa position. L’Autorité européenne de sécurité alimentaire est formelle, il n’y a aucun risque. Après une nouvelle étude, elle a conclu que le glyphosate n'est ni susceptible d'endommager l'ADN, ni ne présente une menace cancérigène pour l'homme.

Des affirmations que certains observateurs se sont empressés de démonter. «Une bonne partie du rapport s'inspire directement d'études non publiées commandées par des producteurs de glyphosate. La preuve du préjudice est irréfutable mais l'EFSA défie l'agence sur le cancer (le CIRC), qui fait autorité dans le monde pour faire plaisir à des sociétés comme Monsanto», a accusé Franziska Achterberg, pointant le manque d’indépendance de l’agence.

L’exécutif européen tentera une nouvelle fois de se mettre d’accord avant la fin juin. La licence qui autorise la commercialisation du glyphosate au sein de l’UE prend fin ce mois-ci. Mais Vytenis Andriukaitis rappelle que l’accord de commercialisation dans chaque pays dépend des parlements nationaux. La guerre autour du glyphosate ne fait que commencer.