La décision unilatérale le 8 mai 2018 de Donald Trump de retirer son pays de l'accord sur le nucléaire iranien continue de produire des effets particulièrement clivants. Malgré les efforts d'Emmanuel Macron, théoricien de la notion de souveraineté européenne et de la chancelière allemande Angela Merkel, le président américain a en effet mené à bien l'une de ses promesses de campagne au grand dam des Européens.
John Bolton, nouveau conseiller à la Sécurité de Donald Trump, connu pour sa ligne néoconservatrice, a maintenu le 13 mai l'ultimatum à l'encontre des entreprises européennes, sommées de cesser leurs activités avec l'Iran pour ne pas s'exposer aux sanctions américaines, découlant de la sortie des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien.
Extraterritorialité du droit américain, une arme de guerre économique ?
Alliés géostratégique, notamment dans le cadre de l'OTAN, plusieurs Etats membres de l'Union européenne refusent toujours de céder aux menaces américaines. Les élites économiques locales des pays européens ont-elles leurs limites face aux exigences unilatérales américaines ? La question se pose notamment en Allemagne.
Ce qui est en jeu, c'est la souveraineté européenne
Le rédacteur en chef du magazine allemand Der Spiegel, résumait ainsi ce sentiment de ne plus faire corps avec l'Amérique. «L’Occident tel que nous le connaissions n’existe plus, nos relations avec les Etats-Unis ne sont pas amicales, on peut à peine parler de partenariat», a-t-il déploré avec des mots particulièrement durs. Plus officiellement, ce 15 mai, le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, s'est félicité du front commun européen, avec presque autant de solennité que le Spiegel. «Ce qui est en jeu, c'est la souveraineté européenne, elle nous permet de nous défendre et d'exister», a-t-il martelé.
Il n'est pas acceptable que les Etats-Unis soient le gendarme économique de la planète
Côté français, l'inquiétude est la même face aux revirements inopinés des Etats-Unis à l'égard de l'Iran car les entreprises françaises avaient à peine eu le temps de reprendre pied en Iran après la signature de l'accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015, impliquant la levée des sanctions économiques contre Téhéran. Le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire avait fait part de son indignation à l'antenne de France Culture, le 9 mai dernier. «Il n'est pas acceptable que les Etats-Unis soient le gendarme économique de la planète», avait-il lancé en réponse à la décision unilatérale des Etats-Unis, laissant toutefois la porte ouverte à une résolution du contentieux par le biais d'exemptions spéciales en faveur des entreprises françaises.
Des sanctions contre l'Iran qui s'ajoutent aux sanctions contre la Russie
Menacées de ne plus pouvoir accéder au marché iranien, les entreprises européennes souffrent déjà des sanctions économiques décidées à l'encontre de la Russie depuis 2014, en raison du rattachement de la Crimée à la Fédération.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Bruno Le Maire exprime une volonté de s'émanciper des pressions américaines. Il avait déjà fustigé «l'extraterritorialité» du droit étatsunien à l'occasion d'un déplacement à Moscou en décembre 2017, étant donné que les sanctions contre la Russie font souffrir davantage les entreprises européennes parce que ces dernières commercent plus avec la Russie que leurs homologues américaines.
Le département de la Justice américain se donne en effet le droit de poursuivre toute entreprise étrangère pour peu qu'elle utilise le dollar, ou même des outils de communication américains, dans ses transactions commerciales. BNP Paribas a ainsi dû se plier à la justice américaine en 2014 et s'acquitter d'une amende de près de 10 milliards de dollars.
Si Donald Trump a décidé, ici comme ailleurs, de mettre un «coup de pied dans la fourmilière», c'est chose faite. Le jeu géopolitique se révèle imprévisible, avec des acteurs alliés sur certains dossiers et en opposition frontale sur d'autres. Ce 15 mai, le président iranien Hassan Rohani a demandé à l'Union européenne de faire bloc contre les Etats-Unis, qualifiant l'initiative de Donald Trump d'«illégale et illogique». Apparemment désireuse de s'émanciper, l'UE fera-t-elle aussi bloc sur le dossier des sanctions contre la Russie ?
Alexandre Keller
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