«Tu as forcément fait quelque chose pour le provoquer», lance un policier à une femme venue porter plainte pour des viols commis par son beau-père lorsqu’elle avait 12 ans. «Je pense que ça va pas te traumatiser, si ?», rétorque un autre à une jeune fille de 12 ans victime d’un exhibitionniste. «T'as pas l'air de t'être fait violer», «il a pas touché à ton cul, c’est pas un viol» ou «quelle idée aussi de voyager seule !»... 500 témoignages de femmes recueillis par le mouvement Le Groupe F viennent lever le voile sur l'accueil parfois déplorable réservé par les policiers et les gendarmes aux victimes de violences sexuelles.
«Nous soulignons la nécessité d’une prise de conscience massive de la mauvaise prise en charge des plaintes pour violences sexuelles», alerte Anaïs Bouhloul, militante du Groupe F interrogée par RT France. Ce nouveau mouvement d’activistes, sous l’égide de la féministe Caroline de Hass, s’est associé au blog Paye Ta Police pour compiler ces récits que le hashtag #PayeTaPlainte met en lumière sur les réseaux sociaux. Au total, ils ont réuni pas moins de 500 témoignages en 10 jours et réalisé une carte de France interactive des commissariats concernés.
«Cette enquête, par l’ampleur et la diversité des témoignages qu’elle a récoltés, montre que la mauvaise prise en charge des victimes par les forces de l’ordre ne concerne pas des cas isolés, des erreurs ponctuelles. Il s’agit de faits récurrents, massifs et toujours d’actualité», précise le communiqué du Groupe F. Certains témoignages sont certes plutôt positifs : mais ils ne constituent que 10% de l'ensemble.
L'écrasante majorité d'entre eux, en effet, révèlent le sexisme, les culpabilisations, les minimisations de la violence subie, les moqueries et les refus de recevoir les plaintes que sont venues déposer ces femmes, parfois mineures. Un calvaire supplémentaire après les violences subies.
Une prise de conscience du côté des forces de l'ordre
Réagissant à ces témoignages, le syndicat CGT-Police de Paris a reconnu l’ampleur du problème le 4 avril sur son site. Il annonce soutenir «la démarche des associations féministes qui dénoncent la mauvaise prise en charge dans les commissariats et les gendarmeries des femmes victimes» et particulièrement de violences conjugales et d’agressions sexuelles. Le syndicat réclame ainsi la formation «d’une brigade spéciale compétente en matière de violences sexuelles», afin d'améliorer la prise en charge de ces cas délicats.
Cette déclaration du syndicat fait écho aux propos de hauts gradés des forces de l'ordre tenus lors d'une réunion d’une délégation pour le droit des femmes le 5 décembre 2017 à l’Assemblée nationale. «Il y a encore de la marge» pour améliorer les conditions d'accueil et de prise en charge des plaignantes, avait reconnu Eric Morvan, directeur de la police nationale. Avec son homologue de la gendarmerie nationale, Richard Lizurey, il avait évoqué, lors de cette rencontre, un «manque d'empathie, parfois un manque de formation, parfois un manque de professionnalisme».
Anais Bouhloul précise toutefois que Le Groupe F n'a aucunement pour ambition de pointer la police du doigt. «On dit juste qu’il faut une formation et les forces de police ne l’ont pas. Il faut que les policiers soient de notre coté. Nous allons aussi fabriquer les kits de formation à délivrer dans tous les commissariats», poursuit-elle.
Un phénomène bien réel
Pourquoi lancer cette action en ce moment ? «Quand le mouvement #Metoo s’est déclenché, des responsables politiques ont critiqué le fait que Facebook ne devait pas être un tribunal populaire et ils ont exhorté les victimes à porter plainte. Nous n’avions à l’époque qu’un groupe Whatsapp et nous avons reçu des messages de femmes qui disaient : "Justement on a essayé de porter plainte et on n’a pas réussi"», explique Anais Bouhloul. 59% des femmes ayant contacté le Groupe F précisent qu’elles ont fini par abandonner leur démarche auprès de la police ou de la gendarmerie. Découragées, voire confrontées à un refus, ces victimes n'ont donc pas porté plainte.
Pourtant, une circulaire de 2001 citant l'article 15-3 du code pénal rappelle qu’il est «fait obligation à la police judiciaire de recevoir les plaintes des victimes d'infractions, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un lieu différent de celui où les faits se sont déroulés».
Les statistiques confirment également le constat du Groupe F : sur dix femmes victimes de violences sexuelles, une seule porte plainte, même si, certainement portées par la très forte médiatisation de l'affaire Weinstein, les plaintes pour viols et agressions sexuelles ont augmenté respectivement de 12% et 10% en 2017 par rapport à 2016, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.
Autre cheval de bataille du Groupe F : ces plaintes classées, qui semblent témoigner de ce que les témoignages ne sont parfois pas suffisamment pris au sérieux. Et là encore, l'actualité vient étayer les propos du mouvement. «Par exemple, l’ex-compagne de Nordahl Lelandais avait déposé plainte : elle assurait qu'il était dangereux... Mais la plainte a été classée sans suites.» Outre ce cas extrême, c'est la banalisation des violences faites aux femmes et les signaux qu'elle envoie que Le Groupe F veut combattre. «On recense plusieurs cas de femmes qui se sont rendues au commissariat pour des violences conjugales : soit on a refusé de prendre leur plainte, soit on a classé la plainte sans suite. Elles ont ensuite été tuées par l’individu qu’elles avaient tenté de dénoncer», conclut Anaïs Bouhloul.