4 000 djihadistes auraient été évacués de Raqqa pendant le siège, à la suite d'un accord
Un déserteur, ancien porte-parole des Forces démocratiques syriennes, prétend que 4 000 djihadistes auraient été évacués de Raqqa pendant le siège via un accord passé avec les Américains. Ces derniers nient toute collusion avec les islamistes.
Talal Silo est un ancien commandant et porte-parole des Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition engagée dans la guerre en Syrie, largement dominée par les Kurdes et soutenue par Washington. Après avoir déserté les rangs de l'organisation militaire mi-novembre, il a livré sa version de la chute de Raqqa à l'agence Reuters. Il assure que des milliers de djihadistes se seraient enfuis de la ville avec l'assentiment de Washington et des FDS, et que ces dernières mentaient lorsqu'elles faisaient état de combats sans merci pour libérer la ville.
Lors des combats à Raqqa, lorsqu’il était porte parole des FDS, Tala Silo avait affirmé que seuls 300 combattants et leur famille avaient pu s’échapper de la ville assiégée, tandis que les autres étaient pris au piège. Il affirme désormais que cette version n'était qu’une fiction destinée à éloigner les journalistes. 4 000 partisans de l’Etat islamique auraient ainsi pu être évacués, dont 500 étaient des combattants. L'accord de Raqqa aurait été conclu par un commandant des forces kurdes et un intermédiaire de l'EI, beau frère de l’emir de Raqqa, avec l'assentiment des Etats-Unis.
D'une manière plus générale, selon Talal Silo, les Etats-Unis feraient miroiter aux combattants kurdes des récompenses stratégiques pour acquérir une forte autonomie. Ces propos, qui vont tout à fait dans le sens des déclarations précédentes du gouvernement turc à ce sujet, font échos à ceux que Talal Silo avait déjà tenus à une agence turque. Il affirmait que des responsables américains avaient promis aux FDS la zone pétrolifère de Deir ez-Zor ainsi qu'un accès à la mer méditerranée.
De leur côté, les Etats-Unis démentent «clairement toute fausse accusation suggérant une coalition avec l'EI». Ils qualifient les déclarations de Tala Silo de «fausses et provoquées» et soulignent que, dès le 12 octobre, ils avaient annoncé clairement avoir assisté à une réunion entre FDS et djihadistes à Raqqa, mais que l'accord trouvé n'incluait aucun droit de fuite des combattants djihadistes. Washington s'était même réservé le droit de bombarder les convois en fuite, conformément à sa politique affichée. A Taqba, quelques semaines plus tôt, où un accord similaire entre djihadistes et FDS autorisait un convoi djihadiste à quitter la ville, la coalition menée par les Américains avait par exemple annoncé avoir bombardé les combattants en fuite.
Les FDS avaient bien annoncé un accord avec l'EI à Raqqa
Le témoignage de Talal Silo vient éclairer le couac qui avait eu lieu lors de la libération de Raqqa. Les FDS avaient alors annoncé avoir passé un accord avec l'EI durant quelques heures. Le 15 octobre, Omar Allouche, un haut responsable du Conseil Civil de Raqqa, une administration locale mise en place par les FDS, avait déclaré à l'AFP : «Une partie des combattants étrangers a quitté [Raqqa].» Quelques heures plus tard, le Conseil avait semblé rétro-pédaler en publiant ces précisions : «Pour clarification et par souci de précision, les étrangers de Daesh [...] ne peuvent pas être pardonnés. Ceux qui se sont rendus sont seulement syriens et ils sont au nombre de 275 en incluant leurs proches». Cet épisode avait fait planer de lourdes ambiguïtés sur la véritable décision et le contenu des accords.
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La version des faits telle qu'elle était présentée par les FDS à l'époque avait d'ailleurs suscité l'incrédulité de plusieurs médias. Durant le siège de Raqqa, la BBC avait pu recueillir le témoignage d’un conducteur du convoi qui quittait la ville. Celui-ci avait décrit une file de sept kilomètres composée par une cinquantaine de camions, 13 bus et 100 véhicules de l’Etat islamique, empli d’hommes et de munitions – des chiffres loin de crédibiliser l'hypothèse d'une évacuation de 275 Syriens s'étant rendus.
Qui est Talal Silo, à l'origine de ces révélations ?
Talal Ali Silo est un Turc du Nord de la Syrie, engagé dans la guerre en Syrie dès 2013, date à laquelle il a fondé une milice avant de rallier une autre brigade, pour finir par intégrer les FDS en 2015, dont il est devenu brigadier et porte-parole. A la mi-novembre 2017, il avait annoncé sa démission avant de disparaître. Sa fuite avait été interprétée par ses anciens camarades de combat comme un kidnapping du renseignement turc. Ils craignaient alors que les services secrets d'Ankara ne fasse pression sur lui, en menaçant sa famille restée en Turquie, pour qu’il fasse de fausses révélations sur les activités du FDS, dont la Turquie redoute les aspirations indépendantistes de ses membres kurdes. Ce tweet d’un groupe kurde, publié à cette période, évoquait l'hypothèse que Talal Silo se soit rangé du côté turc après avoir subi des pressions et des menaces visant ses enfants.
#Syrie, déclaration officielle du commandement ds #SDF : la disparition de #TalalSilo après sa démission est le résultat d'une opération spéciale ds services secrets turcs #MIT qui lui a fait subir beaucoup de pressions, d'exorsion & de menaces contre ses #enfants en #Turquie. https://t.co/aTQxZ5lCz7
— Kurdistan au féminin (@KurdistanAu) 17 novembre 2017
Le contenu des révélations de Talal Silo n'a pas dû décevoir ses anciens amis des FDS. Désormais, leur ancien porte-parole n'hésite pas à accuser les Unités de protection du peuple (YPG), l'une des composantes autonomiste kurde des FDS, d'être le bras armé du PKK. Un discours qui n'est pas pour déplaire à Ankara, qui considère les deux organisations comme terroristes. Dans les faits, s'il a radicalement changé de version, Talal Silo ne fait pourtant aucune déclaration foncièrement nouvelle quant à l'agenda des combattants kurdes en Syrie ou aux discussions entamées par ces derniers avec les djihadistes.
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