Pologne : un auteur menacé de perdre l'Ordre du mérite pour son livre sur la Pologne et la Shoah
Le gouvernement polonais souhaite gommer les zones d'ombre de son histoire afin que le pays «continue d'avancer», allant jusqu'à museler le débat sur la responsabilité du pays dans la Shoah, au grand dam de la communauté juive.
New polish laws could silence historical debate and lend themselves to anti-Semitic sentiment https://t.co/zA8hNestLP
— Castan Centre (@CastanCentre) 24 mars 2016
«La nouvelle politique historique vise à créer une nouvelle génération de patriotes afin de renforcer la position de la Pologne à l'international», affirme le président polonais Andrzej Duda.
L'objectif, explique le Washington Post, modeler le futur en controlant les perceptions du passé, et notamment en refusant la repentance - considérée comme une marque de faiblesse incompatible avec la construction d'un Etat fort - , ce qui se traduit par une révision du rôle et des contenus des musées et de la télévision, des films, ou des ouvrages historiques.
De ce fait, cette politique fait s'inquiéter beaucoup de monde, notamment au sein de la communauté juive polonaise, qui s'alarme après que Jan Tomasz Gross, célèbre historien de la Shoah se soit vu menacé de perdre sa médaille de l'Ordre du mérite reçue en 1996 pour avoir publié «Les Voisins, un massacre de Juifs en Pologne», dans lequel il décrit la complicité des Polonais dans les crimes nazis en 1941.
De par son travail qui vise à ce que la Pologne regarde son passé en face, l'historien serait considéré comme antipatriote par le gouvernement polonais et il est depuis longtemps la bête noire des nationalistes pour son travail sur la responsabilité de la Pologne dans les persécutions envers les juifs. L'année dernière, il avait fait polémique après avoir affirmé que les Polonais ont tué plus de juifs que d'Allemands pendant la Seconde guerre mondiale.
Selon les représentants de la communauté juive, les mesures du gouvernement conservateur du parti Droit et Justice tenteraient par tous les moyens de cacher sous le tapis certains épisodes peu glorieux de l'histoire polonaise, notamment sa contribution à la persécution des juifs sous l'occupation nazie.
Varsovie n'en serait pas à son premier coup d'éclat : selon un projet du ministère de la Justice, une peine de cinq ans de prison ferme serait également encourue pour «attribution publique, au mépris des faits, à la République de Pologne ou à la Nation polonaise d'avoir été coresponsable» des crimes du IIIe Reich. En effet, l'utilisation de l'expression «camps de la mort polonais» irrite fortement Varsovie, et ses autorités demandent systématiquement qu'elle soit rectifiée, allant jusqu'à créer un correcteur de textes pour éviter qu'elle soit utilisée.
«Ils veulent réduire notre vision du passé et utiliser l'appareil d'Etat pour imposer une nouvelle version de l'Histoire politique de la Pologne, c'est très dangereux», se désole Pawel Spiewak, directeur de l'Institut historique juif de Varsovie.