Pourparlers de paix à Istanbul : Nuland confie que les Ukrainiens ont «demandé conseil» aux Américains
L'ancienne secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland a confié, lors d’un entretien récemment publié, que les Ukrainiens avaient consulté les États-Unis lors de leurs pourparlers à Istanbul avec les Russes. Ces négociations, visant à mettre un terme au conflit déclenché quelques semaines plus tôt, s’étaient brutalement retrouvées dans l’impasse.
Que s’est-il passé au printemps 2022, alors que Russes et Ukrainiens négociaient à Istanbul afin de mettre un terme au conflit qui avait éclaté quelques semaines plus tôt entre Moscou et Kiev? Lors d’un entretien avec le russe Mikhaïl Zygar, dont la version originale a été publiée le 3 septembre, l'ancienne secrétaire d'État adjointe Victoria Nuland a concédé qu’au cours de ces pourparlers de paix Washington avait été sollicité par Kiev.
Quelques semaines après leur début, ces négociations pourtant perçues comme prometteuses avaient cessé, fermant une fenêtre régulièrement présentée comme le moment où Ukrainiens et Russes ont été aux plus proches d’un accord de paix. «J’ai participé au processus d’Istanbul, et c’était l’accord le plus profitable que nous aurions pu conclure», confiait notamment, dans un entretien publié mi-janvier, Oleksiy Arestovytch, qui était à l’époque conseiller de Volodymyr Zelensky.
«Un autre mythe russe», une «légende urbaine», avait raillé la diplomate américaine lorsque son interlocuteur avait abordé la thématique de ces négociations qui se sont tenues en Turquie. Celui-ci a interrogé Nuland - alors n°2 de la diplomatie américaine, connue pour son hostilité envers Moscou et qui s’était fait remarquer à l’occasion du coup d’État de Maïdan - sur le rôle que Boris Johnson aurait réellement joué.
En effet, le Premier ministre britannique d’alors a été pointé du doigt, notamment par le chef de la délégation ukrainienne, comme responsable de l’échec de ces négociations qui auraient ainsi pu mettre un terme à un conflit de haute intensité qui dorénavant perdure depuis plus de 2 ans et demi. «À notre retour d'Istanbul, Boris Johnson est arrivé à Kiev [en avril 2022, ndlr] et il a dit qu’il ne fallait rien signer avec eux et que "nous allions faire la guerre"», avait ainsi relaté le député ukrainien David Arakhamia dans un entretien télévisé diffusé en novembre 2023.
«Les Ukrainiens ont commencé à demander conseil», confie Nuland
«Seuls les négociateurs le savent avec certitude, car ils étaient ceux qui étaient dans la salle», a balayé d’entrée l’ex-diplomate américaine. Si celle-ci a assuré que les Américains n’étaient pas «vraiment au courant» du contenu des négociations entre les deux délégations, affirmant que Washington n’aurait fait que proposer son «soutien» à la partie ukrainienne si elle le requérait, Nuland a ajouté que «relativement tard, les Ukrainiens ont commencé à demander conseil sur la direction que prenait cette affaire».
«Et il est devenu clair pour nous, clair pour les Britanniques, clair pour les autres, que la principale condition de Poutine était enfouie dans une annexe de ce document sur lequel ils travaillaient», a-t-elle enchainé, pointant du doigt des limites «sur les types précis de systèmes d’armes que l’Ukraine pourrait avoir», estimant «que l’Ukraine serait fondamentalement neutralisée en tant que force militaire» alors qu’«il n’y avait pas de contraintes similaires pour la Russie».
«Les gens à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ukraine ont commencé à se demander si c’était un bon accord et c’est à ce moment-là qu’il s’est effondré», a conclu Nuland.
Mi-juin, le New York Times (NYT) avait publié une série de documents présentés comme des ébauches de traité datés du 17 mars et du 15 avril, ainsi qu’un communiqué issu des négociations à Istanbul, que Kiev aurait fait parvenir à Washington. La version du 17 mars aurait été «fournie par l’Ukraine aux gouvernements occidentaux», précisait alors le NYT.
Dans ce document, Kiev y accepte un statut de «neutralité permanente» - et de mettre fin à tout accord incompatible avec ce statut - en échange de garanties de sécurités de la part des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Kiev y reconnait également la souveraineté russe sur la Crimée et l’indépendance des Républiques de Donetsk et de Lougansk.
Washington et Varsovie inquiets que Kiev puisse accepter les conditions de Moscou
«Le projet prévoyait des limites quant à la taille des forces armées ukrainiennes et au nombre de chars, de batteries d'artillerie, de navires de guerre et d'avions de combat que le pays pouvait avoir dans son arsenal», relatait le NYT. Le quotidien américain a précisé que les Ukrainiens «étaient prêts à accepter de telles limitations, mais souhaitaient» que celles-ci soient «beaucoup plus élevées», que «les responsables américains se sont inquiétés de ces conditions» et que les dirigeants polonais «craignaient que l'Allemagne ou la France ne tentent de persuader les Ukrainiens d'accepter les conditions de la Russie […] et voulaient empêcher que cela se produise».
La dernière session de pourparlers directs russo-ukrainiens s'est tenue le 29 mars 2022 à Istanbul. Lors de cette ultime rencontre l'Ukraine avait détaillé ses principales propositions en vue d'un accord avec Moscou, dont sa «neutralité» en échange d'un accord international pour garantir sa sécurité. Le 3 avril, le négociateur en chef russe, Vladimir Medinsky, avait salué la position «plus réaliste» de Kiev, prêt sous condition à accepter ce statut neutre réclamé par Moscou.
Boris Johnson, de son côté, est arrivé à Kiev le 9 avril, devenant le premier dirigeant du G7 à se rendre en Ukraine depuis le début de l’offensive russe. Deux jours plus tôt, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait affirmé que de nouvelles propositions formulées par l'Ukraine remettaient en cause celles sur lesquelles les négociateurs ukrainiens s’étaient engagés en Turquie.