Assassinats et attentats en Russie : comment la CIA a transformé les services ukrainiens

Assassinats et attentats en Russie : comment la CIA a transformé les services ukrainiens© Kirill KUDRYAVTSEV / AFP
Funérailles de Daria Douguina à Moscou, le 23 août 2022 (photo d'illustration).
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Dans une enquête-fleuve, le Washington Post met en lumière le rôle prépondérant de l’agence de Langley dans la refonte des services ukrainiens. Un travail de près de dix ans, qui a donné au SBU et au GUR les moyens de mener ses opérations clandestines jusqu’en Russie, notamment des assassinats ciblés.

«Nos services en sont bien conscients depuis déjà longtemps», a déclaré ce 24 octobre à la presse Dmitri Peskov, interrogé sur un article publié la veille dans le Washington Post. «Nos services secrets ont parlé à plusieurs reprises des informations dont nous disposons qui indiquent une supervision étroite des services de renseignement ukrainiens par les services secrets américains et même britanniques», a notamment déclaré le porte-parole du Kremlin.

Dans le papier dont il est question, titrant sur la «guerre fantôme contre la Russie» menée par des «espions ukrainiens étroitement liés à la CIA», le média américain raconte comment l'agence de Langley a repris en main le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) ainsi que le renseignement militaire ukrainien (GUR) : «Depuis 2015, la CIA a dépensé des dizaines de millions de dollars pour transformer les services ukrainiens formés par les Soviétiques en de puissants alliés contre Moscou», assure notamment le Post. Un rôle, des Etats-Unis en Ukraine, qui ne s’est pas limité à des financements et à des fournitures d’équipements.

Le renseignement militaire ukrainien, «petit bébé» de la CIA

La CIA aurait notamment procédé à l’entraînement des agents du SBU. «Les sites de formation étaient situés à l'extérieur de Kiev, où les recrues triées sur le volet étaient instruites par le personnel de la CIA», relate le Post dans son récit «basé sur des entretiens avec plus de deux douzaines de responsables du renseignement et de la sécurité ukrainiens, américains et occidentaux, actuels et anciens».

Perçu comme «trop gros pour être réformé», ajoute le journal, «la CIA a travaillé avec le SBU pour créer une direction entièrement nouvelle» et «prosaïquement surnommée la "Cinquième Direction"». Une sixième aurait été créée, depuis, «pour travailler avec l'agence d'espionnage britannique MI6», précise le média américain.

Selon ce dernier, l’approche de la CIA aurait été «bien plus ambitieuse» concernant le GUR. Le «GUR était notre petit bébé. Nous leur avons donné du nouvel équipement et une formation», relate au Post un ancien responsable du renseignement américain ayant travaillé en Ukraine. «A partir de 2015, la CIA s’est lancée dans une transformation si vaste du GUR qu’en quelques années, "nous l’avions en quelque sorte reconstruit à partir de zéro"», rapporte encore le média.

La CIA aurait également «financé de nouveaux bâtiments» du GUR, de crainte que leurs installations «soient probablement compromises par les renseignements russes». Grâce à ces nouvelles installations, les Ukrainiens auraient pu intercepter quotidiennement plusieurs centaines de milliers de communications russes, assure un ancien responsable du GUR. «Il y avait tellement d'informations que nous ne pouvions pas les gérer nous-mêmes», relate-t-il au Post, précisant que ces données étaient alors «transmises à Washington» afin d’être «examinées par les analystes de la CIA et de la NSA».

La bombe qui a tué Douguina passée en Russie via une caisse à chat

Mais la montée en gamme des services ukrainiens, sous la houlette des Etats-Unis, ne s’est pas limitée au seul renseignement. L’encadrement par la CIA des recrues visait notamment à «former des unités "capables d’opérer derrière les lignes de front et de travailler en tant que groupes secrets"», explique le Post, citant un responsable ukrainien. En plus du matériel de communication sécurisé et d’écoute, la CIA a notamment fourni au SBU «des déguisements et des uniformes séparatistes permettant aux agents de se glisser plus facilement dans les villes occupées». Des agents ukrainiens qui ont notamment effectué des «missions de sabotage» ainsi que de «capture».

Ces missions clandestines, là encore, ne se sont pas limitées aux territoires que Kiev revendique. Le Washington Post revient ainsi sur les attaques de drones menées par le GUR contre Moscou, dont le Kremlin, ou encore des projets plus «ambitieux» du SBU comme les deux attentats menés contre le pont de Crimée en octobre 2022 et juillet 2023.

La première attaque fut menée grâce à un camion piégé, tuant trois personnes, dont le chauffeur dépeint dans l’article comme un «complice involontaire». La seconde attaque fut menée «en utilisant des drones navals développés dans le cadre d’une opération top secrète impliquant la CIA et d’autres services de renseignement occidentaux» relate le Post. Cette attaque ukrainienne avait tué un couple d’automobilistes, qui traversait le pont, et blessé leur petite fille.

A ces victimes collatérales s’ajoutent celles des assassinats ciblés. Parmi celles évoquées dans l’article du Post : Stanislav Rzhitsky, un ancien commandant de sous-marin, abattu durant son footing à Krasnodar, Vladlen Tatarsky, un célèbre blogueur tué dans un attentat à la bombe dans un café de Saint-Pétersbourg ou encore la journaliste Daria Douguina, elle aussi tuée par une bombe placée sous sa voiture, en août 2022. Détail fourni par les journalistes américains : la bombe qui a tué la jeune femme de 29 ans aurait passé la frontière russe dans un compartiment secret aménagé dans une caisse à chat.

Assassinats de civils : quand la créature de la CIA lui échappe ?

Une «opération orchestrée par le SBU», confirment-ils. Citant leurs multiples sources, les auteurs précisent qu’«aucune opération majeure du SBU ou du GUR ne se déroulerait sans l’autorisation – tacite ou autre – de Zelensky».

Du côté du SBU, précise-t-on au Washington Post, les cibles sont considérées comme «tout à fait légales». L'Ukraine «fait tout pour garantir qu'un châtiment équitable "rattrapera" tous les traîtres, criminels de guerre et collaborateurs», aurait lancé à de hauts responsables de la CIA le directeur de l'agence ukrainienne, Vasyl Malyuk, lors d’un déplacement aux Etats-Unis. «Les responsables de la CIA ont exprimé des objections après certaines opérations, ont indiqué des responsables, mais l'agence n'a pas retiré son soutien», ajoutent les auteurs de l’article, précisant que «les deux parties cherchaient à maintenir une distance prudente entre la CIA et les opérations meurtrières menées par ses partenaires à Kiev».

Les Etats-Unis, qui déclarent ne pas être partie prenante du conflit en Ukraine ont, entre janvier 2022 et juillet 2023, fourni pas moins de 42 milliards de dollars d’aide militaire à Kiev, selon le think tank allemand Kiel Institute for the World Economy (IFW). Un montant qui pourrait encore sensiblement grimper, avec la demande de rallonge budgétaire transmise au Congrès par Joe Biden le 19 octobre et qui comprendrait 30 milliards destinés à l’armement de l’Ukraine.

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