L'option d'envoyer des chars à l'Ukraine, qui les réclame avec insistance, reste ouverte, selon Emmanuel Macron. «Pour ce qui est des Leclerc, j’ai demandé au ministre des Armées d’y travailler. Rien n’est exclu et cela s’apprécie collectivement», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue le 22 janvier avec le chancelier allemand Olaf Scholz, à l'occasion du soixantième anniversaire du traité de l'Elysée signé entre Berlin et Paris.
Alors que le Royaume-Uni a déjà décidé de franchir le pas de l'envoi de blindés à Kiev, ce qui n'a guère semblé inquiéter Moscou, le chef d’Etat français a listé les conditions nécessaires, à ses yeux, afin que des chars Leclerc soient livrés à l’Ukraine. «D’une part, comme on l’a toujours fait depuis le début : que ce ne soit pas escalatoire», a d’abord avancé Emmanuel Macron en recourant à un néologisme. «Nous avons toujours eu cette ligne», a-t-il affirmé, jugeant que la France ne participait pas, malgré ses multiples livraisons d'armes, à l'escalade du conflit, alors que la Russie lui a reproché à plusieurs reprises ces fournitures d'armements, risquant selon Moscou de prolonger le conflit.
«La deuxième c’est que ça puisse apporter un soutien réel et efficace à nos amis ukrainiens. Et pour ça, il faut prendre la réalité des capacités, le maintien en condition opérationnelle et les délais de formation», a ajouté le chef de l’Etat. Le dernier critère avancé par Emmanuel Macron consiste, pour la France comme pour ses alliés, «de ne pas affaiblir les capacités propres de défense», une condition qui fait écho aux réserves qui se sont exprimées quant au risque de voir les arsenaux français trop dégarnis, qu'il s'agisse des blindés ou des canons Caesar.
D'après Emmanuel Macron, ces critères doivent être appréciés «de manière collective avec nos principaux alliés, dont l’Allemagne évidemment», le travail sur le sujet devant se poursuivre «dans les jours et les semaines à venir».
Critiques à droite
Les propos du président de la République ont suscité de vives réactions à droite : le souverainiste Philippe de Villiers a condamné «une folie» risquant précisément «d'affaiblir notre capacité de défense», tout en faisant «monter d'un cran l'escalade». «Tout cela ressemble à 1914», a-t-il comparé, fustigeant l'«inculture crasse de nos chefs irresponsables».
Le leader des Patriotes Florian Philippot a utilisé le même terme de «folie» à propos de l'annonce d'Emmanuel Macron, estimant que l’armée française finira par être «mise à l’os» à force de fournir des armements, tandis que ce nouvel engagement de Paris représente selon lui «une très dangereuse escalade vers la 3e guerre mondiale». «La France doit agir pour la Paix, et non la guerre des faucons américains !», a-t-il lancé.
Interrogée sur les propos du chef de l’Etat sur BFM TV, la présidente du groupe du Rassemblement national à l’Assemblée, Marine Le Pen s’est de la même façon opposée à ces livraisons. « Est-ce que tout ça ne va pas aggraver cette guerre ?», s'est-t-elle interrogée, évoquant elle aussi le danger d'une internationalisation du conflit, «un risque majeur» à ses yeux. De plus, la fourniture d’armes lourdes à Kiev fait s’éloigner la perspective d’une «solution négociée de paix», selon l’ancienne candidate à la présidentielle.
Scholz reste indécis sur la livraison de chars Leopard
De manière plus évasive, Olaf Scholz, soumis à une forte pression pour fournir à Kiev des chars Leopard, a déclaré que «la manière dont nous avons agi par le passé est toujours étroitement coordonnée avec nos amis et alliés et nous continuerons à agir en fonction de la situation concrète».
Le débat ne semble pas encore tranché à Berlin, malgré l'insistance de la ministre des Affaires étrangères, l'écologiste Annalena Baerbock : «Si on nous posait la question, nous ne nous opposerions pas», a-t-elle déclaré le 22 janvier, interrogée sur le fait de savoir si l'Allemagne était prête à autoriser la Pologne à livrer à Kiev ces chars de fabrication allemande.
«La décision [...] dépend de beaucoup de facteurs et est prise à la chancellerie», a temporisé le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, dans un entretien à la télévision allemande ARD, diffusé peu de temps après l'interview de la chef de la diplomatie. Le chancelier devra se prononcer rapidement sur ce point, alors que la Pologne a demandé à Berlin son accord pour la livraison de ces chars à l'Ukraine le 23 janvier.
Début janvier, Emmanuel Macron avait fait part de son souhait d'«amplifier» l'aide militaire française à Kiev «en acceptant de livrer des chars de combat légers AMX-10 RC». «C'est la première fois que des chars de conception occidentale sont fournis aux forces armées ukrainiennes», avait-t-il assuré à l'issue d'un entretien téléphonique avec Volodymyr Zelensky le 4 janvier.
Le Kremlin a dénoncé à de multiples reprises ces livraisons militaires à destination de Kiev, reprochant aux pays occidentaux concernés de jouer un «rôle destructeur» dans le conflit. La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova avait qualifié de «décision provocatrice» l'annonce d'une livraison française de blindés à Kiev.