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Enquête belge au procès du 13 Novembre : du flou, du malaise, mais un enjeu crucial

Les enquêteurs de la section DR3 de l'antiterrorisme belge ont témoigné de leurs travaux cruciaux pendant trois semaines au procès du 13 Novembre. Des séquences minutieuses où les demi-réponses des enquêteurs ont parfois généré un certain embarras.

Lors d'une rencontre avec la Brigade de recherche et d'intervention fin septembre, un fonctionnaire qui défendait le bilan de son équipe dans l'intervention au Bataclan nous mettait en garde de vouloir rejouer le match a posteriori.

Si le conseil était simple, le même pas de côté permet effectivement d'appréhender le procès du 13 Novembre différemment.

Par exemple, au cours des trois semaines qui viennent de s'écouler dans la salle d'audience du «procès du siècle», les longues heures d'audition des enquêteurs belges de la section antiterroriste DR3 étaient certes pénibles, notamment du fait de leur visionnage en visioconférence, mais également par leur technicité.

Le contraste était d'autant plus saisissant par rapport aux auditions très médiatiques de l'ancien président de la République François Hollande, pas avare de ses fameuses petites blagues et du ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, très solennel ou encore de François Molins, l'ancien procureur de la République, assis à la barre le temps de sa déposition pour des raisons de santé, mais dont la posture apportait presque une coloration théâtrale au tableau.

Les policiers belges critiqués pour leur style

Ensuite sont intervenus les enquêteurs de la DGSI avec des exposés de bonne qualité, un enquêteur autrichien qui a fait le déplacement et finalement la police belge qui a répondu aux questions par vidéo interposée... Ces fonctionnaires discrets ont parfois semblé embarrassés par des questions trop poussées, voire tendancieuses, de la part des avocats.

Leur témoignage a été plutôt mal accueilli à la fois par la défense (plusieurs accusés ont refusé de comparaître physiquement pour protester contre le témoignage par visioconférence) et certaines parties civiles, parfois visiblement agacées de ne pas pouvoir obtenir des éclaircissements sur les parcours des accusés en amont des attentats, voire après.

Cette séquence belge s'est terminée le 9 décembre. Elle a donné lieu à de nombreux articles de presse qui ont ardemment critiqué le style de ces policiers enquêteurs.

Le site belge Lavenir.net, par exemple, cite le père d'une victime du Bataclan qui qualifie les auditions des policiers belges de «désastre». Le président de l'association de victimes Life for Paris aurait pour sa part jugé ces témoignages «affligeants», selon la même source, avant d'ajouter sur Twitter : «Les Belges crachent au visage de toutes les parties du procès des attentats du 13 Novembre», puis : «Les policiers et le parquet belges se moquent actuellement de la justice française et des victimes au procès des attentats du 13 Novembre. Réponses évasives, volonté de se protéger plutôt que d’aider à connaître la vérité. Une honte.»

Le président de l'association de victimes 13onze15 renchérit auprès de L'avenir : «Il y a une vraie conscience qu’on se moque de nous. Dans leurs réponses, les enquêteurs traînent les pieds, contournent les questions, renvoient à un collègue. Il y a une volonté d’absence de collaboration et de transparence. Ils témoignent quand même sous serment.»

France Inter s'en prend également au style des dépositions de la section DR3 dans un article du 8 décembre : «Alors qu’hier, l’enquêteur 440.232.779 a balayé l’exposé sur le principal accusé, Salah Abdeslam, en 45 minutes à peine avec une désinvolture frôlant l’indignité, son collègue du jour, identifié sous le matricule 441.157.616, a vraisemblablement préparé son exposé avec le sérieux dû à une cour d’assises.» 

Des trous dans la raquette en amont de l'attentat

Et puis, bien sûr, comme du côté français, l'enquête belge peine à masquer les gros trous dans la raquette antiterroriste en amont des attaques de Paris et de Bruxelles. Les faits étaient déjà connus, mais sont ravivés par le procès : «La police belge a raté le futur kamikaze Brahim Abdeslam», comme vient douloureusement le rappeler un article de L'Obs du 7 décembre.

Après un court séjour en Turquie (mais plus probablement en direction de la Syrie selon l'avocat général) entre fin janvier et début février 2015, Brahim Abdeslam, qui se fera exploser au Comptoir Voltaire à Paris le 13 novembre suivant, est entendu par la police belge qui le relâche quelques heures plus tard alors qu'il avait en sa possession des documents évoquant le djihad armé. Son téléphone a été saisi, mais il n'est pas exploité... Les mêmes services d'enquête s'apercevront en retrouvant cet appareil un an après les attaques qu'il contenait pourtant des images sans équivoque sur Daesh (notamment d'exécutions).

De gros ratés en amont des attentats donc, indéniablement, mais en est-il de même en ce qui concerne l'enquête menée après la commission des attaques ?

L'enquête belge demeure cruciale pour les parties civiles

Selon l'avocate de parties civiles Catherine Szwarc interviewée par RT France, il y a justement un avant et un après qu'il convient de ne pas confondre : «C'est une enquête importante, il ne faut pas tout mélanger ! Oui, certains éléments auraient dû remonter avant la commission de l'acte terroriste et ils ont été très justement dénoncés, dans la presse notamment.»

Puis de distinguer : «Mais ensuite, il y a l'aspect de l'enquête post-attentat avec beaucoup de procès verbaux qui ont été réalisés par les Belges et il y a un million de cotes, c'est énorme. Les accusés, qu'ils soient dans le box ou qu'ils comparaissent libres, sont majoritairement belges ou ont vécu en Belgique et c'est grâce à cette enquête fouillée de la police belge qu'on en est là aujourd'hui.»

A ceux qui déplorent les impasses des réponses belges, certains enquêteurs faisant notamment valoir par moment : «Ce n'était pas de mon ressort», Catherine Szwarc rappelle : «Le dossier est gigantesque, donc chaque intervenant belge partage les éléments selon les thématiques qui ont été demandées par le président Périès de façon cloisonnée. On ne peut pas leur demander de détailler des éléments auxquels ils n'ont pas eu accès, ni leur reprocher de ne pas avoir ce qui ne leur a pas été demandé.»

L'enquête belge est de très bonne qualité et il ne s'agit pas du tout d'une parenthèse dans le procès. C'est très technique, mais c'est là que ça se passe

L'avocate, qui s'est illustrée dans le dossier Charlie Hebdo, se souvient également de la grande difficulté pour le public de comprendre les données de téléphonie qui avaient été fournies par le contreterrorisme français à la cour à l'époque. Elle loue au contraire la grande clarté des exposés belges dans ce dossier du 13 Novembre au sujet de la téléphonie : «C'est très carré, on a des plans géographiques pour s'y retrouver et pas seulement des tableurs informatiques insondables.»

Surtout, l'avocate explique que, selon elle, il ne faut pas chercher à fragiliser l'enquête belge a contrario de certains de ses collègues, même au sein des parties civiles : «Ce volet de l'enquête est très important pour les victimes et mes clients d'ailleurs le savent très bien, parce qu'en tant que parties civiles, nous sommes en soutien de l'accusation ici. De plus, quand c'est la sous-direction antiterroriste française qui témoigne tout aussi anonymement que la police belge, on ne lui demande pas de s'étendre sur des éléments du dossier qui ne concernent pas son service.»

Catherine Szwarc synthétise : «Pour dire les choses clairement, il y a eu des problèmes au niveau du renseignement belge et aussi du côté français en amont de l'attentat. Mais ensuite, l'enquête belge est de très bonne qualité et il ne s'agit pas du tout d'une parenthèse dans le procès. Au contraire, c'est très technique, c'est difficile, mais c'est là que ça se passe.»

Enfin à la décharge des embarras perceptibles des enquêteurs belges, une source nous rappelle que certains «indics» dans ce dossier craignent encore pour leur vie. Il est tout à fait possible que les silences et les refus de répondre de la part des enquêteurs servent également à protéger les informateurs.

Antoine Boitel