Le commissaire anonyme qui dirigeait la brigade anticriminalité parisienne de nuit (BAC75N) et celui qui dirigeait la brigade recherche et d'intervention de la préfecture de Paris (BRI-PP), Christophe Molmy, sont intervenus à la barre le 22 septembre dans le cadre du procès d'assises spéciales des attentats du 13 Novembre.
Ces deux témoignages, livrés en tant que parties civiles au procès, étaient très attendus en raison de l'héroïsme, souvent relaté, dont ont fait preuve ces primo-intervenants au Bataclan le soir de l'attentat revendiqué par l'Etat islamique.
Le premier commissaire à s'exprimer sans préciser son nom – qui a pourtant fuité à plusieurs reprises depuis 2015 –, celui qui dirigeait la BAC75N et qui est entré en tout premier avec son chauffeur dans la salle de spectacle, a retracé toute sa soirée, depuis sa prise de service jusqu'à la fin de son intervention sur le lieu de l'attaque.
Dans un silence de cathédrale, toutes les personnes présentes dans la salle d'audience et dans les salles de retransmission ont écouté avec une attention extrême ce récit précis et si vivant qu'il donnait l'impression de se trouver à l'intérieur de la salle, ainsi que l'a souligné Me Reinhart, avocat de plusieurs parties civiles.
Les faits sont déjà connus mais demeurent captivants : le commissaire de la BAC75N entre avec son chauffeur seulement armés de leur Sig-Sauer 9mm de service et équipés d'un gilet pare-balle. Ils n'ont donc aucune chance face aux trois terroristes actifs à l'intérieur du Bataclan qui sont pour leur part armés de fusils d'assaut et de gilets explosifs.
Après avoir distingué du mouvement à l'intérieur, les deux policiers voient le terroriste Samy Amimour debout sur la scène qui tient un otage en joue. Ils font feu à plusieurs reprises à une distance de plus de 20 mètres et réussissent à l'atteindre, celui-ci explose sous l'effet de son gilet explosif.
Des tirs arrivent des balcons de la part des deux terroristes restants et les deux policiers doivent se replier, à la suite de quoi les renforts arrivent. Ces deux hommes changent la donne ce soir-là en obligeant les deux terroristes encore vivants à se replier dans un couloir à l'étage où ils vont se placer en situation de prise d'otages. Les deux fonctionnaires ont donc fait cesser le carnage de facto par leur action.
Les avocats des parties civiles n'en ont pas moins questionné le commissaire anonyme avec minutie sur la chronologie de l'intervention ou sur son ressenti de professionnel. Un mot lui ayant échappé au cours de son récit sur le sentiment qu'avaient les policiers depuis janvier 2015 qu'une tuerie de masse pourrait se produire, un avocat lui a demandé de s'en expliquer. N'ayant pas déposé sous serment, puisqu'il était là au titre de partie civile, le commissaire a retiré cette petite phrase et expliqué qu'il ne s'agissait que d'un sentiment personnel.
On lui a également demandé de se prononcer sur la fameuse rumeur à propos du fusil d'assaut Famas qu'un militaire de Sentinelle n'aurait pas eu autorisation de fournir sur place pour lancer un deuxième assaut improvisé. Comme d'autres sources policières interrogées en septembre par RT France, le commissaire a botté en touche toute polémique : «Je n'en pense pas grand chose.»
Me Reinhart lui demandant s'il avait été décoré pour sa bravoure avec son chauffeur, le commissaire a confirmé qu'il avait reçu la légion d'honneur ainsi que d'autres serviteurs de l'Etat ce soir-là. Ce point reste sensible encore aujourd'hui alors que certains fonctionnaires entrés au Bataclan ont reçu une simple médaille de la sécurité intérieure, au même titre que certains gradés qui n'auront jamais approché les lieux des attaques le 13 novembre 2015.
Surtout, les effectifs de la BAC75N qui sont arrivés rapidement pour prêter main forte à leur patron se sont sentis particulièrement abandonnés. Après avoir sorti toutes les personnes encore vivantes qui se trouvaient dans la fosse de la salle de spectacle, avec le risque d'être pris pour cible depuis le balcon du Bataclan, ils n'ont même pas été invités à la cérémonie d'hommage aux Invalides, ni bénéficié de l'aide fonctionnelle pour se constituer parties civiles au procès en cours.
L'ancien patron de la BRI réfute les rumeurs de guerres d'ego
Le commissaire Christophe Molmy qui dirigeait la Brigade recherche et d'intervention (BRI-PP) le 13 Novembre s'est avancé à la barre à la suite de son collègue et a présenté un rapport très circonstancié de l'assaut de son équipe auquel il a personnellement participé. D'emblée, il a décrit un dispositif BRI très complexe et pouvant mobiliser jusqu'à 300 personnes. Déjà, Christophe Molmy semble déminer de potentielles critiques – qui n'ont pas manqué depuis 2015 – sur la gestion de crise sur place. Sur la défensive à la barre, le commissaire n'en a pas moins poursuivi son récit détaillé.
Lorsque la BRI intervient la menace est «fixée» dans un couloir à l'étage du Bataclan, les deux terroristes retiennent des otages, plusieurs autres spectateurs sont cachés dans tous les recoins qu'ils ont pu trouver, dont une cinquantaine dans les faux plafonds et jusqu'à cinq ou six personnes dans des toilettes, ainsi que l'a expliqué le fonctionnaire.
Le commissaire Molmy a par ailleurs attaqué les polémiques de façon plus frontale que son collègue de la BACN75, évoquant des «propos indignes qui ont été tenus» sur l'action policière le 13 Novembre, il a également eu un mot, sans le nommer expressément, pour le documentaire d'Arte Les Ombres du Bataclan, diffusé au mois de septembre et qu'il a aussi qualifié d'«indigne».
Il a réfuté les rumeurs qui ont couru sur une guerre d'egos entre lui-même et le patron du Raid de l'époque, Jean-Michel Fauvergue et les qualifiant elles aussi d'«indignes», en précisant qu'elles le touchaient profondément». Le commissaire a ajouté qu'il n'était pas obligé de témoigner en tant que partie civile au procès mais qu'il avait tenu à le faire, soulignant : «Je ne ressens pas le besoin de me justifier mais je pense avoir un devoir d'explication.»
Sur les agents qu'il a commandés ce soir-là il a revendiqué : «Ils ont tous été héroïques ce soir-là, ils ont fait un travail extraordinaire. Tous.»
Au cœur des questionnements : la durée des préparatifs avant l'assaut final
Mais, surtout, Christophe Molmy est semble-t-il venu à la barre pour répondre à des questionnements sur la durée de l'intervention de la BRI. L'ancien co-rapporteur de la commission d'enquête parlementaire sur l'intervention, Georges Fenech, avait particulièrement chargé la barque en ironisant dans le documentaire Les Ombres du Bataclan sur l'assaut de la BRI : «2h20, c'est le temps que vous mettez pour aller de Lyon à Paris en TGV.» Cette phrase-là est très mal passée à la BRI-PP et dans toutes les forces de sécurité qui ont été engagées le 13 Novembre.
Une grande partie du témoignage de Christophe Molmy était, en creux, dirigé contre cette interrogation presque accusatrice de la part de l'ancien député Les Républicains. Gagner du temps, évacuer les blessés du rez-de-chaussée, stabiliser le terroriste tout en réduisant sa vigilance, obtenir des informations ; la négociation comprend plusieurs vertus, a insisté le commissaire.
Après qu'ils ont progressé pas à pas vers le lieu de l'assaut final, commence une longue phase de discussions téléphoniques entre les terroristes et le négociateur de la BRI. Les colonnes d'assaut prennent place de chaque côté de la salle de spectacle et une donnée s'impose rapidement : «La quasi certitude de l'absence finale de reddition des auteurs n'exclue pas la négociation». Puis, le négociateur fait part à son commissaire de sa conviction qu'il ne pourra pas aller plus loin avec deux terroristes déterminés à mourir et qui s'interrogent de surcroît sur la présence de caméras de télévision (ce qui inquiète d'autant plus Christophe Molmy).
Le commissaire sort de la colonne et va solliciter l'autorisation de lancer l'assaut final qui va se solder par la mort des deux terroristes sans faire aucune victime parmi les otages, malgré un blessé grave au sein de la BRI. Un bilan somme toute excellent et dont le commissaire peut être fier puisque cet assaut est encore étudié en France et à l'étranger à titre d'exemple pour réaliser une libération d'otages.
Le président de l'audience, Jean-Louis Périès, est toutefois revenu sur la temporalité dans ses questions et s'est étonné d'un témoignage selon lequel les terroristes auraient pu être localisés plus tôt dans le couloir où ils se trouvaient. Christophe Molmy est resté placide, affirmant : «Si on avait pu faire plus vite, on n'aurait pas piétiné pendant une heure avant de monter à l'étage.»
«Aller vite ça ne veut pas dire se précipiter. Il a fallu faire sortir les valides en les canalisant, en essayant de les calmer, puis les blessés dans la fosse, ça a mis 15 minutes avec le risque de se faire tirer depuis les balcons, j'estime que ce n'est pas si long. On agissait avec précaution. C'est une opération d'intervention relativement courte. Je comprends les blessés et je souffre avec eux, j'ai d'ailleurs perdu quelqu'un au Bataclan», a-t-il ajouté.
Imaginez qu'on casse la porte directement et que des otages meurent ? Une heure c'est très court
Mais le président est revenu à la charge sans vouloir remettre en question l'héroïsme du commissaire : «Spontanément je pourrais me dire "pourquoi a-t-on attendu une heure avant de casser cette porte ?» Christophe Molmy a dit à nouveau son sentiment : «Monsieur le président, imaginez qu'on casse la porte directement et que des otages meurent ? Une heure c'est très court.»
Au-delà des zones d'ombres qui demeurent au sujet du refus de l'état-major des militaires de la force Sentinelle d'engager le feu à l'intérieur du Bataclan (parce qu'il s'agissait du territoire national, selon les propos de Georges Fenech), une partie de l'ambiguïté de l'intervention policière demeure malgré ces récits aussi impressionnants que précis. Cette zone de flou est aussi imputable, selon les témoignages, à la grande confusion qui régnait dans Paris le 13 novembre 2015 puisque les forces de sécurité intérieures étaient confrontées pour la première fois à une multiplicité de tueries de masse simultanées.
Mais le bilan implacable de l'assaut final qui n'a occasionné aucune victime vitale, ni parmi les otages, ni parmi les opérateurs de la BRI – qui pensaient qu'ils n'allaient pas y survivre – est sûrement la meilleure réponse aux esprits chagrins. C'est aussi à eux que l'ancien commissaire de la BRI-PP – débarqué de son poste en 2020 – est venu répondre, en quelque sorte. Une affaire d'honneur.
Antoine Boitel