Ultime vote pour un texte polémique : le Parlement a adopté définitivement ce 15 avril la proposition de loi controversée sur la sécurité globale et sa mesure polémique pénalisant dorénavant la «provocation à l'identification» des forces de l'ordre. Dans un climat moins électrique que lors de l'examen en première lecture, l'Assemblée nationale a voté ce texte LREM par 75 voix pour et 33 contre, en dépit des vives contestations de la part des défenseurs des libertés publiques.
Après ce dernier feu vert de l'Assemblée nationale, le texte défendu par Gérald Darmanin, qui a fait l'objet d'une vive contestation de la part des défenseurs des libertés publiques, devra probablement passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel avant sa promulgation.
La gauche l'a en tout cas promis et Jean Castex avait annoncé dès novembre lors du premier examen du texte au Palais Bourbon la saisine des sages de la rue Montpensier sur son article 24. Histoire de tenter de dégonfler les controverses autour d'une proposition de loi désormais riche de 70 articles mais qui a fini, dans son traitement médiatique, par se résumer à sa disposition la plus controversée.
Honni à gauche, dénoncé par les organisations de journalistes mais largement soutenu par les grandes organisations syndicales policières, l'article 24 a pour ambition de protéger les forces de sécurité en opération en pénalisant la diffusion malveillante de l'image des policiers et des gendarmes.
La mobilisation contre le texte continue
Dépassant les cercles militants, la contestation s'est exprimée dans la rue, parfois avec des violences. La plus importante journée de mobilisation avait réuni fin novembre entre 133 000 et 500 000 personnes selon les sources.
Le Sénat a en partie réécrit l'article 24 en créant dans le Code pénal un délit de «provocation à l'identification». Mais surtout, il n'est plus fait référence à la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Dans la lignée de ce qu'avait voté la chambre haute, les parlementaires réunis en commission mixte paritaire ont acté cette rédaction le 29 mars et rebaptisé ce texte, initialement associé aux deux co-rédacteurs marcheurs Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, «loi sécurité globale préservant les libertés».
«Comme la rédaction du Sénat nous allait bien, on a topé», résume auprès de l'AFP Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid. Le gouvernement peut dire «merci le Sénat», a pour sa part ironisé le chef de file des députés LR Damien Abad, après la cacophonie entre majorité et exécutif en décembre sur la réécriture de l'article.
Est-ce cependant suffisant pour dégonfler la contestation ? La coordination contre le projet de loi qui réunit syndicats de journalistes et organisations de défense des libertés a réclamé le 13 avril une nouvelle fois le retrait de ce texte. Une conférence de presse était organisée ce midi à proximité du Palais Bourbon.
La coordination Stop loi Sécurité globale, lancée par des organisations de défense des droits humains et des syndicats de journalistes, rejoints par de nombreux collectifs, associations des Gilets jaunes, est à l'origine d'une importante mobilisation depuis le mois de novembre contre ce projet de loi, à Paris et dans les régions. Elle a organisé des actions à chaque étape parlementaire pour appeler à son retrait, mais sans parvenir à ses fins. Elle a toutefois annoncé qu'elle allait continuer à s'opposer à cette «loi de surveillance globale» qu'elle juge liberticide.
La Sécurité globale ne s'arrête pas à l'article 24
Par ailleurs, comme RT France l'avait souligné à travers différents articles dès l'automne, le texte ne se limite cependant pas à son emblématique article 24, car il avait avant tout pour ambition d'installer le continuum de sécurité détaillé par les deux mêmes députés marcheurs à plusieurs reprises depuis le commencement de leur mandature, notamment dans le rapport Fauvergue/Thourot.
Les éléments de ce rapport sur le continuum de sécurité rendu par les marcheurs en septembre 2018 avaient largement préfiguré leur proposition de loi sur la sécurité globale déposée une première fois dans sa version originale début 2020 avant la réécriture extensive du texte par Beauvau et une nouvelle proposition à l'automne. Parmi ces objectifs : la mise en musique d'un nouvel équilibre entre les différentes forces de sécurité intérieure françaises (police nationale, gendarmerie et polices municipales), mais également avec la filière de la sécurité privée. Dans certains cas, le texte acte le réel (notamment les relations entre polices municipales et la police nationale), dans d'autres il se donne l'ambition de mieux encadrer les acteurs de plus en plus nombreux de la sécurité privée.
Certaines ambitions sur ce dernier volet ont été rabotées selon l'AFP. «Il y a des avancées majeures [mais] il a aussi fallu trouver des équilibres pour pouvoir respecter la liberté d'entreprendre», fait valoir Alice Thourot.
«Avec cette loi, les polices municipales vont prendre leur envol et pour la sécurité privée, c'est un texte fondateur», se réjouit pour sa part Jean-Michel Fauvergue, cité par l'AFP.
On retrouve donc un accroissement de compétences régaliennes confiées à des acteurs de la sécurité qui ne seraient plus seulement la police nationale et la gendarmerie, mais plutôt des entités locales, voire privées (notamment pour les fouilles au corps et la recherche anti-terroriste).
Cela pose la question, à terme, d'une sécurité potentiellement inégalitaire et conditionnée à des questions de budget, voire des enjeux électoraux. Autre grande tendance : une volonté manifeste d'avancer sur le sujet de la bataille des images, qu'elles soient produites par les médias, les manifestants, la population générale, les forces de sécurité intérieure ou les sociétés privées.
Par ailleurs, au titre des objectifs affichés pour le moment, l'enjeu de la sécurisation des Jeux olympiques de Paris en 2024 et de la Coupe du monde rugby en 2023 est brandi de façon récurrente, notamment au téléphone par Alice Thourot elle-même auprès de RT France.
Usage élargi des caméras piétons des policiers, des drones, ou encore création d'une police municipale à Paris : d'autres mesures continuent d'être matière à débat.
Le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon avait jugé que l'ensemble du texte était à «jeter à la poubelle», quand la patronne du RN Marine Le Pen, plutôt discrète sur le fond des mesures, avait voté la proposition de loi.
En première lecture à l'Assemblée nationale en novembre, le niveau de contestation chez les marcheurs avait été important mais loin des records : 30 représentants de LREM s'étaient abstenus et 10 avaient voté contre. «Je soutiens le travail sur le continuum de sécurité de mes collègues Fauvergue et Thourot, pas celui de Beauvau», justifie par exemple Sacha Houlié. Ce marcheur de la Vienne, qui ne vote pas le texte ce 15 avril, estime que les dispositions controversées pour lesquelles le ministère de l'Intérieur a tenu la plume «ne sont pas nécessaires».