«Une grande clarté et fermeté» selon l'AFP, ou encore une «colère froide» selon RTL : les éléments de langage visant à qualifier l'attitude d'Emmanuel Macron après son échange à la mi-journée le 30 novembre à l'Elysée en compagnie de ses ministres, ont fusé.
Rapportés par Le Monde, des propos du président à l'égard de son ministre de l'Intérieur soulignent sans ambiguïté les raisons de cette ire : «La situation dans laquelle vous m'avez mis aurait pu être évitée». En clair, l'affaire de l'article 24 de la PPL Sécurité globale a atteint le palais présidentiel et plongé la majorité dans la tourmente.
Commence alors l'opération déminage : conférence de presse de Christophe Castaner dans l'après-midi annonçant une réécriture de l'article polémique, puis série de réponses contrites de Gérald Darmanin quelques heures plus tard, passé au grill des questions des parlementaires. Ce dernier en profite pour réaffirmer son soutien au préfet de police de Paris et sous-entendre la possibilité de toiletter l'inspection générale de la police nationale pour la rapprocher éventuellement de Beauvau, alors que la réforme de ce service avait déjà été évoquée par Christophe Castaner en juin 2020 lorsqu'il était ministre de l'Intérieur.
L'AFP signalait dans la journée du 30 novembre qu'Emmanuel Macron cherchait «une porte de sortie» à cette «crise politique» autour des questions de sécurité intérieure.
La semaine précédente, il avait déjà demandé que lui soient faites «rapidement des propositions pour réaffirmer le lien de confiance» entre les forces de sécurité intérieure et la population.
Le président a-t-il délibérément choisi de s'investir a minima dans un débat sulfureux ? A-t-il trop tardé à le faire ? Il est à noter qu'il n'a accepté de rencontrer les syndicats de police que le 15 octobre malgré le fort mouvement d'humeur des policiers de la base en juin, et encore : sous condition que les syndicalistes laissent leurs téléphones portables au vestiaire.
L'AFP note en tout état de cause que le chef d'Etat est resté «en retrait» pendant l'examen du texte de la PPL à la chambre basse du Parlement. Et de souligner qu'Emmanuel Macron est toutefois sorti de sa réserve pour «fustiger» le 27 novembre l'interpellation violente et très critiquée de Michel Zecler à Paris, survenue la semaine précédente : «Des images qui nous font honte», a réagi Emmanuel Macron.
Cette nouvelle affaire étant venue s'ajouter à la crise politique autour de la PPL Sécurité globale, la majorité elle-même a commencé à s'agiter. Le chef du service politique de France info, Jean-Jérôme Bertolus, citait ainsi un «dirigeant» anonyme du groupe LREM le 30 novembre sur Twitter : «Il faut en finir ! La crise a touché le président en quelques jours. On ne va pas attendre chaque semaine une nouvelle manif avec de nouvelles revendications qui vont aller crescendo. L’article 24 est mort. La question c’est comment on l’enterre !», aurait indiqué ce dirigeant du groupe LREM.
Des marcheurs auraient-ils senti l'odeur du sang du côté de Beauvau ? Certains députés LREM glissaient sous couvert d'anonymat à l'AFP : «La priorité mise sur la sécurité est légitime. Mais il y a la personnalité du bonhomme qui est fort en gueule. Et il entretient une forme de mimétisme par rapport à Sarkozy qui ressort.» Hugues Renson, vice-président du groupe LREM, déclarait également à propos du polémique article 24 : «Parfois, renoncer est plus sage que s'obstiner», toujours selon cette même source.
L’article 24 est mort. La question c’est comment on l’enterre !
Il a également été observé qu'en cas de retrait de l'article 24 (pénalisant la diffusion d'images de membres des forces de sécurité intérieure avec l'intention de leur nuire), il aurait pu être recyclé dans le projet de loi sur le séparatisme, à savoir dans son article 25 qui reprend l'esprit global de la mesure.
Quant au devenir de la PPL dans son intégralité au Sénat, le calendrier législatif n'est «plus garanti», selon le sénateur Les Républicains Philippe Bas, cité par l'AFP, qui déplore : «Ce gouvernement a l’art de créer lui-même des crises politiques et de les aggraver en voulant les résoudre.» Pour mémoire, l'élu avait présidé au Sénat la commission d'enquête sur l'affaire Benalla.
Aucune commission, aucun comité d’experts, dépourvu de légitimité démocratique n’est habilité à réécrire un texte de loi en cours de navette
Réagissant à l'annonce de la réécriture complète de l'article 24, le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, lâchait pour sa part : «L'exécutif et sa majorité vont d'erreur en erreur. N'en déplaise aux députés LREM, l'article 24 est toujours dans le texte qui a été transmis mardi dernier au Sénat. Conformément à la Constitution, sa réécriture dépend donc désormais du Sénat.»
En ouverture de séance à la chambre haute du Parlement le 1er décembre, le président du Sénat Gérard Larcher s'est livré à un court exercice de droit constitutionnel et a fustigé, sous les applaudissements nourris de ses pairs, la façon de faire des députés de la majorité : «La proposition de loi dont ils souhaitent travailler à la réécriture partielle est transmise au Sénat depuis le mardi 24 novembre dernier, après que les députés l’ont adoptée. Il revient donc au Sénat et à lui seul de l’examiner et de réécrire, si cela s’avère nécessaire, une ou plusieurs de ses dispositions.»
Et de préciser : «Aucune commission, aucun comité d’experts, dépourvu de légitimité démocratique n’est habilité à réécrire un texte de loi en cours de navette.»
Un manque de philosophie sécuritaire à l'Elysée ?
Interrogé par RT France, le porte-parole de l'association de policiers en colère UPNI Jean-Pierre Colombiès déplore un manque de goût pour la sécurité intérieure du gouvernement : «Pour Macron, c'est un domaine totalement étranger, on le voit très bien dans la longue crise sociale des Gilets jaunes... tout ce qu'il a trouvé pour y remédier à Paris, ça a été d'aller chercher un préfet va-t-en guerre !»
Et l'ancien commandant de police de suggérer une sortie de crise possible pour le président de la République : «Emmanuel Macron peut sortir de cette crise à tout moment en arrêtant simplement de lancer des débats crispants et très impopulaires, notamment sur les retraites. Il peut cesser d'écouter des courtisans également, qui ne lui disent que ce qu'il a envie d'entendre. Il peut, à ce titre, se souvenir de La Fontaine : "Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute."»
Jean-Pierre Colombiès craint également une «exaspération absolue et permanente» de la population française dans le contexte de l'épidémie et un «risque de rejet total du pouvoir et de sa représentation disponible : les flics !»
On voit bien que le mépris de classe de ce président s'étend volontiers jusqu'au flic de base
L'ancien policier militant s'insurge : «On utilise les fonctionnaires à toutes les sauces pour compenser un manque de philosophie globale sur la sécurité intérieure, mais tout cela ne peut déboucher que sur une volonté d'en découdre... Le virus est invisible et le politique intouchable, mais le flicard, lui, les manifestants l'ont facilement sous la main et la colère est bien là. Alors maintenant, il faudrait qu'Emmanuel Macron écoute des gens de bon sens et qu'il cesse de jouer les pompiers incendiaires.»
Le porte-parole du collectif policier n'oublie pas non plus d'où vient l'actuel ministre de l'Intérieur passé par l'UMP : «Darmanin, c'est le faux-ami par excellence pour les policiers... exactement comme son maître à penser Nicolas Sarkozy, et ce dernier n'est pourtant pas une référence en matière de sécurité ! C'est justement lui qui a mis en place les jalons du double discours, à savoir caresser les flics dans le sens du poil avec de la câlinothérapie, mais sans donner les moyens de l'ambition sécuritaire affichée. Et surtout, on désavoue immédiatement le collègue dès la première dysfonction. Mais exposer et brandir la police de la sorte, en permanence, est très dangereux de la part du gouvernement, parce que lorsque les policiers en auront marre, ils baisseront le bouclier.»
Jean-Pierre Colombiès dénonce également un «mépris de classe» de la part de l'Elysée, reproche également adressé aux fonctionnaires de police : «On voit bien en ce moment que le mépris de classe de ce président s'étend volontiers jusqu'au flic de base et le mépris du jeu parlementaire n'arrange rien à l'affaire. Les deux assemblées ont dû s'en indigner ! Ce gouvernement pilote tout seul, mais il se rend compte aujourd'hui qu'il y a une France réelle qui existe en dehors du quant à soi politique. Ces colères qui émergent, il sera très difficile de les éteindre car le contrat de confiance a été rompu par ce déferlement d'amateurisme.»
Antoine Boitel