Distinguer les «bons» médias des «mauvais» : cette tâche, que l'on imagine mal être réalisée sans jugement subjectif, est celle que semble poursuivre le service américain NewsGuard, à l'origine d'une récente publication intitulée : «Les top 10 des désinformateurs – et le top 10 des sites fiables avec le plus d’engagement en ligne» – en France.
NewsGuard, qui avait annoncé son lancement en France en mai 2019, distribue aux médias des notes allant de 0 et 100, en fonction de neuf «critères de crédibilité et de transparence». A chaque critère, NewsGuard associe associe un nombre de points précis, défini arbitrairement ; l'addition de ces points détermine, pour chaque média, une note sur 100 : «Indique[r] clairement la publicité» peut rapporter jusqu'à 7,5 points, «Rassemble[r] et présente[r] les informations de façon responsable» jusqu'à 18 points...
C'est en se basant sur ces notes que le service américain a livré, le 21 décembre 2020, son classement «des sites fiables avec le plus d’engagement en ligne». Les sites d'actualité «fiables» pris en compte, sont ceux qui ont obtenu la note maximale de 100 sur 100. Arrivent, sur le podium de NewsGuard, les sites Actu.fr, 20Minutes.fr et FranceBleu.fr.
Distinguer les médias «sûrs» des autres : une démarche vouée à l'échec ?
Prétendre définir ainsi «le top 10 des sites fiables avec le plus d’engagement en ligne», ne relève-t-il pas de la gageure ? Un site d'actualités qui aurait suscité beaucoup plus d'engagement sur les réseaux sociaux que FranceBleu.fr, mais aurait obtenu 99 points selon les critères et systèmes de notation de NewsGuard, n'apparaîtrait pas même dans le top 10 du service américain...
Il convient en outre de souligner que la note de «100 sur 100,» délivrant un accès à la liste de NewsGuard, ne garantie pas contre les erreurs, approximations ou affirmations fallacieuses.
Ainsi, entre autres exemples, le site Acrimed épinglait le 8 mai 2019 France Inter (dont le site est noté «100 sur 100» par NewsGuard), pour son traitement d'événements survenus le 1er mai à Paris : une journaliste de la radio publique française avait notamment fait référence, le 2 mai, à «l'intrusion de casseurs à l'intérieur de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière» la veille. Or, ce terme de «casseurs» était sujet à caution : le 4 mai, l'AFP évoquait des« heurts entre manifestants et forces de l'ordre lors du 1er mai, marqué par l'irruption de plusieurs dizaines d'entre eux dans l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, après un mouvement de panique.» «Les 31 manifestants interpellés [...] dans l'enceinte de La Pitié-Salpêtrière [...] ont déclaré qu'ils n'avaient fait que "fuir les ultra-violences policières"», précisait l'agence. Le ministre de l'Intérieur de l'époque Christophe Castaner avait quant à lui parlé d'«attaque», puis d'«intrusion violente».
Le 6 mai 2019, France Inter avait publié sur son site un «retour sur nos responsabilités» à propos de cet épisode – évoquant, en fait, les responsabilités de l'ensemble de la profession : «Pour les journalistes, la bataille de l’établissement des faits devrait primer. Ça n’a pas été le cas dans les premières heures. Nous nous sommes laissés entraîner par le commentaire précipité des politiques. Beaucoup de médias ont relayé sans assez de distance Christophe Castaner qui commentait des faits pourtant non établis».
En d'autres termes : même un média «de référence» relève que les journalistes peuvent, dans l'emballement de l'actualité et des commentaires, manquer de distance dans leur travail. Aucune notation maximale ne peut, dans ce contexte, garantir l'infaillibilité de médias. Désigner des parangons de la vérité apparaît donc comme un exercice voué à l'échec – une considération qui ne dissuade pourtant pas NewsGuard de délivrer des labels, ni d'en tirer des classements.
Les mêmes reproches ont d'ailleurs pu être formulés à l'encontre des plateformes qui, à l'instar du «Décodex» du Monde, entendent désigner les médias méritant d'être considérés comme «fiables».
Les très orientés membres du Conseil consultatif de NewsGuard
Certains éléments, que RT France avait déjà relevés dans un article de janvier 2019, suggèrent quelques pistes pouvant expliquer une partialité de NewsGuard dans son jugement des médias.
En particulier : la présence au Comité Consultatif de NewsGuard de personnalités comme Don Baer, qui a notamment dirigé la communication de la Maison Blanche sous l’administration Clinton, comme le général américain retraité Michael Hayden, ancien directeur de la CIA, ancien directeur de l’Agence de sécurité nationale (NSA), et ancien directeur adjoint du renseignement sous l’administration de George W. Bush, ou encore comme Anders Fogh Rasmussen, ancien secrétaire général de l’OTAN et fondateur de la fondation Alliance of Democracies.