L'éternelle chasse aux fake news vient de franchir un cap : la bien-nommée start-up NewsGuard – qui s'est donné la même mission que le très controversé Decodex du Monde – est désormais directement intégrée au navigateur mobile Edge de Microsoft pour Android et iOS.
Plutôt que de devoir télécharger une application comme auparavant, les utilisateurs de Edge, sur les appareils Android et Apple, n'ont plus qu'à cliquer sur un bouton pour activer le «classement vert ou rouge, qui signale si un site web essaie de faire correctement [son travail] ou si il a un objectif caché, ou bien encore s'il publie des mensonges et de la propagande en toute connaissance de cause».
Parmi les sites qui bénéficient du macaron vert, éminent gage de leur bonne foi et de leur professionnalisme : CNN, Buzzfeed, le Guardian, le New York Times, ou encore le Washington Post. A contrario, au rang des sites à éviter, qui apparaissent marqués de rouge parce qu'il ne respecteraient pas «les standards en matière d’exactitude et de responsabilité», on retrouve sans surprise... RT et Sputnik. Pas uniquement, bien entendu, d'autre sites à tendance conservatrice n'ont pas non plus trouvé grâce aux yeux de NewsGuard : le Daily Mail, Breitbart ou Drudge Report pour ne citer qu'eux. A ceux-là, il faut ajouter des centaines de sites d’information qui ne sont pas dans les rouages mainstream, à l'instar de WikiLeaks.
Pour établir son classement de manière «complètement transparente et responsable», NewsGuard a sélectionné neuf critères, qui composent une «étiquette nutritionnelle», directement inspirée du monde de l’alimentation. Ces critères comprennent, entre autre, le fait de «ne pas publier des fake news de façon répétée», d'«éviter les titres trompeurs», de «rassembler et de présenter les informations de manière responsable», de «gérer de manière responsable la différence entre les informations et les opinions». Dirigé par d'anciens journalistes, Newsguard souhaite ainsi mettre en place des standards qui permettront de juger de la crédibilité des sites d'informations.
Une avalanche de fake news sans conséquences ?
Il est dès lors un tant soit peu ironique que l'intégration de Newsguard au navigateur de Microsoft coïncide avec une semaine particulièrement délicate pour les sites d'informations que l'entreprise considère comme fiables. En quelques jours, c'est une véritable avalanche de fake news qui a secoué les médias, toujours dans la tourmente outre-atlantique pour leur traitement de la confrontation entre un amérindien et des lycéens de Covington.
Buzzfeed, dont la réputation n'est pourtant plus à faire depuis la diffusion du fameux dossier Steele, avait été publiquement repris quelques jours auparavant par le procureur Robert Mueller – un fait rarissime – pour démentir une information publiée par le site, selon laquelle le président américain avait demandé à son ex-avocat de mentir au Congrès.
Le Guardian se fait quant à lui discret après avoir publié une information explosive sur une prétendue rencontre Julian Assange et l'ex-directeur de campagne de Donald Trump pendant la campagne électorale de 2016. Rencontre dont on ne trouve aucune trace sur le registre de l'ambassade de l'Equateur, ni même sur les innombrables caméras qui l'entourent. Une information qui avait fait les gros titres de la presse internationale, avant de disparaître sans faire de bruit.
Les très orientés membres du Conseil consultatif de Newsguard
Qui est donc à la tête de cette entreprise, dont l'intégration à Microsoft lui confère une influence considérable sur le paysage médiatique, à terme mondial? Fondée par deux anciens journalistes, Steven Brill, passé notamment par Newsweek, et Louis Gordon Crovitz, un ancien du Wall street Journal, Newsguard liste parmi ses actionnaire le groupe Publicis.
La présence du géant français de la publicité pose légitimement question sur l'impartialité de la start-up. Publicis entretient en effet une relation étroite avec de nombreux médias, notamment via leurs régies publicitaires, comme le notait il y a quinze ans ans déjà le Monde Diplomatique. Le conflit d'intérêt semble dès lors évident : Newsguard pourra-t-il juger de façon juste un média qui est en affaires avec son actionnaire ? La start-up préfère insister sur un autre aspect pour justifier son activité : «les annonceurs préoccupés par la réputation de leurs marques ne veulent pas que leurs publicités soient diffusées sur des sites d’information peu fiables.»
Dans un article consacré au sujet, l'animateur du site Les Crises.fr Olivier Berruyer, a relevé un autre point qui interpelle quant à la supposée impartialité de Newsguard. Les membres de son Conseil consultatif sont la plupart liés de très près aux arcanes du pouvoir américain. On y trouve ainsi Tom Ridge, conseiller à la Sécurité dans l'administration de George Walker Bush, mais aussi Richard Stengel, ancien rédacteur en chef du magazine Time et Secrétaire d’Etat à la Diplomatie publique dans l'administration Obama, ou encore Elise Jordan analyste politique sur la chaîne NBC et ancienne rédactrice de discours pour la Ministre des Affaires Étrangères Condoleezza Rice. Et les agences de renseignement ne sont pas en reste avec la présence de l'ancien directeur de la CIA, de la NSA et ancien directeur adjoint du renseignement national, le général Michael Hayden.
Autant de profils qui expliquent peut-être le traitement que réserve Newsguard à des médias comme RT mais aussi Al-Jazeera (également classé en rouge). Cet outil n'aurait en tout état de cause pas été renié par Hillary Clinton, qui dans un discours resté célèbre quand elle était encore secrétaire d'Etat en 2011, n'avait pas caché que les Etats-Unis étaient «dans une guerre de l'information». «Nous perdons cette guerre», avait-elle déploré à l'époque, notant l'émergence de médias russes. Newsguard est-il une nouvelle arme dans cette guerre ?
Frédéric Aigouy
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