France

Violences : les fonctionnaires en première ligne (TEMOIGNAGES)

Les serviteurs de l'Etat subissent-ils de plein fouet un «ensauvagement» de la société ? Auprès de RT France, certains fonctionnaires dénoncent un phénomène d'agressions gratuites les visant, d'autres pointent un abandon de la part des gouvernants.

«C'est parce qu'on représente l'Etat, mais en fait, la violence est devenue un jeu pour eux, dès l'adolescence» : William Maury secrétaire général d'Option Nuit, le syndicat des «nuiteux» de la police nationale ne mâche pas ses mots, mais il se dit mal à l'aise avec la notion même que comporte le mot «ensauvagement», actuellement au cœur d'une controverse politique et médiatique: «Il faut quand même savoir de quoi on parle, le mot "ensauvagement" est très politisé, mais si on l'utilise pour tout et n'importe quoi, on occulte finalement la montée de la violence qui est réelle. L'ensauvagement, c'est-à-dire le moment où des délinquants se comportent de façon sauvage, si vous voulez, je l'ai déjà vu : on parle de groupes de trente mineurs isolés, par exemple qui encerclent des victimes pour les piller dans un parc, comme une meute, ça c'est de l'ensauvagement, selon moi.»

Les mineurs isolés : un «fléau» pour les nuiteux

William Maury est certes militant syndical, mais il est aussi nuiteux et toujours en poste en tant qu'officier de police judiciaire dans la police à Montpellier. Selon lui, c'est surtout le phénomène des mineurs isolés (dits «non-accompagnés») qui est à l'heure actuelle un «fléau» : «On sait que ces individus, dont on peine généralement à déterminer l'âge en l'absence de documents d'identité, jouent beaucoup du couteau et de la violence. Récemment, nous avons vu un couple dont la femme s'est fait voler le téléphone portable. Son compagnon a essayé de s'interposer, mais les gamins l'ont directement planté au visage... C'est ça, Montpellier, aujourd'hui. 25 points de suture sur la face, ce n'est plus un cas isolé, c'est régulier, les coups de couteau, c'est quotidien. Les gens sont littéralement défigurés. Il y a encore un an, ce type d'agresseur se laissait interpeller par les collègues en baissant la tête, mais à présent, ils viennent au contact, ils attaquent les fonctionnaires ! C'est ultra-violent. Beaucoup d'entre eux inhalent du protoxyde d'azote, ils ne touchent plus terre.»

Selon ce policier de la nuit, les jeunes s'adonnent également avec joie au happy slapping entre amis pour asseoir leur propre légitimité en bande, toujours par jeu : «Le public ne comprend pas quand il voit les scènes de casse et de pillage sur les Champs-Elysées au journal télévisé, mais ces gamins s'amusent, eux. Certaines personnes jouent au poker pour se détendre entre amis, mais eux, ils cassent, ils tapent et ils essaient d'exister sur les réseaux sociaux avec les vidéos les plus violentes possible.»

Dans les cités, dès qu'il y a une intervention, certains jeunes vont attaquer

Et de rapporter cette violence à l'image que renvoient les institutions républicaines : «Alors forcément, dans les cités, dès qu'il y a une intervention, certains jeunes vont attaquer. Récemment à Sète, ils ont volé un camion de pompier par exemple... Qu'ont-ils à reprocher aux pompiers franchement ? Ils ne contrôlent même pas, ils sauvent des vies !»

Violence de rue, mais aussi violence de l'Etat ?

Le patron du seul syndicat des travailleurs de nuit de la police nationale se désespère aussi de voir sa filière mal aimée en interne et au niveau du ministère : «Les nuiteux sont les éternels oubliés de la police. La nuit, quand nous sommes confrontés à ce type de violences, nous sommes seuls au monde, sans renforts bien souvent, parce que nous manquons d'effectifs tout simplement, c'est la réalité du terrain. En plus, le stup et l'alcool, c'est souvent la nuit que ça se passe... Le délinquant traditionnel, il se lève à 15 heures et il commence ses méfaits vers 18 heures. Mais personne ne veut venir travailler la nuit, ce n'est pas assez attractif.»

Assistant d'éducation contacté par RT France sous pseudonyme, Ben Radek est également serviteur de l'Etat. Il s'était déjà illustré dans le mouvement des Stylos rouges, en avril 2019. Lorsque nous l'interrogeons sur d'éventuelles violences auxquelles les professeurs seraient confrontés dans l'exercice de leur fonction, il déplore celle, morale, de la part des pouvoirs publics envers les fonctionnaires et contractuels de l'Etat : «Dans le bassin lillois, à l'école, nous avons de moins en moins de postes, mais nous continuons de faire ce que nous pouvons avec ces moyens, malgré le virus, malgré le distanciel, malgré la faim de certains élèves qui ne mangent rien avant l'heure de la cantine. La première violence que nous subissons au quotidien, elle est morale et sanitaire, ce sont nos conditions de travail. Dans l'école où je travaillais encore récemment, en cinq ans, il y a eu sept suppressions de postes, notamment les postes qui servaient à aider les élèves en difficulté.»

L'ensauvagement, c'est le gouvernement, ce sont cette politique et cette stratégie !

Et de dénoncer : «L'ensauvagement, c'est le gouvernement, ce sont cette politique et cette stratégie !»

Ben Radek trouve même une coloration «raciste» au terme d'«ensauvagement» qui serait selon lui utilisé à des fins électorales et pour servir un agenda politique de l'actuel gouvernement.

Si le terme d'«ensauvagement» a certainement été amplement débattu, jusqu'au sommet de l'Etat, menant même à une polémique au sein du gouvernement, la verticalité de l'Etat vis-à-vis de ses fonctionnaires est également dénoncée par certains policiers, dont le groupe de Policiers en colère, Union des policiers nationaux indépendants (UPNI).

Une réponse pénale trop faible pour les Policiers en colère

Contacté par RT France, leur porte-parole, l'ancien commandant Jean-Pierre Colombiès, déplore également un «appauvrissement» des fonctionnaires de la police qui n'ont pas été assez défendus par les grands syndicats du secteur à son sens : «L'Etat a bien joué finalement avec les policiers, il a favorisé les carrières de certains hauts-responsables syndicalistes qui ont fermé les yeux et accompagné un certain appauvrissement du policier. Résultat ? Les effectifs ont été réduits et les moyens qui devraient permettre d'être opérationnels sur le terrain ne sont plus là. La qualité du service public a baissé dans tous les domaines et on masque cette évidence avec une politique du chiffre délétère ! On a substitué le chiffre à la qualité, c'est comme dans le milieu hospitalier.»

Au démantèlement progressif du service public initié sous Sarkozy s'est ajoutée une nouvelle culture de l'excuse, ce dogmatisme naïf et mortifère que nous sert une certaine gauche

L'ancien commandant déplore également une faible réponse pénale : «Les délinquants ne sont plus condamnés à du ferme, ils ne vont plus en prison. L'appareil étatique s'en trouve décrédibilisé et la délinquance, elle, est renforcée dans sa dynamique. Mais est-il normal que des soignants soient agressés dans des services d'urgence ? Au démantèlement progressif du service public initié sous Sarkozy s'est ajouté une nouvelle culture de l'excuse, ce dogmatisme naïf et mortifère que nous sert une certaine gauche. Le citoyen est finalement livré à lui-même. Il ne faudra pas s'étonner de le voir recourir à l'autodéfense ! Pendant ce temps-là, le flicard, lui, est jeté en pâture et c'est lui qui ira au carton, in fine, quand les pouvoirs publics ne pourront que constater l'ampleur des dégâts, comme avec les Gilets jaunes avec qui le gouvernement a refusé de négocier pendant des mois, on le sait !»

L'ancien syndicaliste résume : «Les constats du président de la République ne suffisent plus. Que les responsables politiques ne se contentent plus de condamner les violences contre des fonctionnaires, qu'ils instaurent une réponse pénale pour restaurer l'autorité de l'Etat : si on veut inverser la tendance, il faudrait déjà rétablir l'autorité parentale et que les parents paient pour leurs mineurs délinquants. La loi est là, il suffit de l'appliquer ! Cette absence de réaction est en train d'installer toute une génération dans la délinquance et la violence, tandis que l'Etat est devenu inexistant.»

Santé, pompiers, transports, forces de sécurité... la liste des attaques s'allonge

Le parallèle établi par Jean-Pierre Colombiès entre les policiers et le monde des soignants n'est pas tout à fait fortuit : pour mémoire, avant la crise sanitaire du coronavirus sans précédent pour l'hôpital public, une longue grève a traversé l'institution qui est partie des services d'urgences à la suite d'agressions à répétition visant le personnel, particulièrement à l'hôpital Saint-Antoine à Paris en mars 2019.

Si les assauts se sont multipliés à l'encontre des forces de sécurité intérieure, avec notamment une attaque à la voiture bélier contre deux policiers motocyclistes à Colombes (Hauts-de-Seine) au mois d'avril et l'homicide contre la gendarme Mélanie Lemée à Agen au mois de juillet lorsqu'un conducteur a forcé un barrage routier, le secteur des transports publics n'a pas non plus été épargné avec le meurtre du chauffeur de bus à Bayonne, Philippe Monguillot, en juillet. Le lynchage à Dugny (Seine-Saint-Denis) d'un machiniste de la RATP en août a suscité la colère de la RATP et des syndicats du secteur.

Les sapeurs pompiers de l'Essonne ont également payé leur tribut : à Etampes (Essonne) les soldats du feu ont battu le pavé pour réclamer la sécurisation de leurs interventions après qu'un des leurs avait été blessé par balle dans cette même ville. En réaction à cette agression, Gérald Darmanin avait assuré que le ministère de l’Intérieur porterait plainte systématiquement dans des cas similaires ; il avait à cette occasion déclaré que 2 045 pompiers avaient été agressés dans l'exercice de leurs fonctions en 2019.

La réponse suffira-t-elle pour les serviteurs de l'Etat ? Pas pour les policiers en colère, à en croire le porte-parole de l'UPNI qui assure : «Le gouvernement ne prendra d'engagements sérieux que lorsqu'on nous parlera de budget et d'applications des peines... Mais Dupond-Moretti est totalement absent, il nous parle de chasse à la glu.»

Antoine Boitel