Dépakine : la justice reconnaît la responsabilité de l'Etat, de Sanofi et de médecins
- Avec AFP
C'est une première dans le dossier de la Dépakine : la justice a reconnu la responsabilité de l'Etat, de Sanofi et de médecins dans les effets dévastateurs de l'antiépileptique. L'Etat devra indemniser des familles d’enfants gravement handicapés.
Malformations, autisme, troubles ORL... Pour la première fois, la justice a reconnu la responsabilité de l'Etat, ainsi que celle de Sanofi et de médecins, dans les effets dévastateurs de l'antiépileptique Dépakine, et l’a condamné à indemniser des familles d’enfants lourdement handicapés.
«L'Etat a manqué à ses obligations de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées et a engagé sa responsabilité», a estimé le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans un communiqué. Il reproche, dans sa décision rendue le 2 juillet, des manquements en matière de police sanitaire et d'information, notamment dans les notices de ce médicament commercialisé par Sanofi depuis 1967.
De 20 000 à 290 000 euros par famille
A cause de cette «carence fautive», l'Etat est condamné à indemniser les trois familles requérantes, dont cinq enfants aujourd'hui âgés de 11 à 35 ans, lourdement handicapés après l'exposition in utero à la Dépakine. Leurs mères avaient continué à prendre cet antiépileptique durant leur grossesse, sans se douter des effets irréversibles sur leurs bébés. Les indemnisations s'élèvent environ à 290 000 euros, 200 000 euros et 20 000 euros par famille, suivant la date de naissance des victimes.
La faute de l'Etat a été retenue
«La faute de l'Etat a été retenue», s'est félicité Charles Joseph-Oudin, l'avocat des familles, tout en annonçant que les trois familles allaient faire appel de cette décision. La cause de leur mécontentement concerne le dossier d'un enfant né en 1985, pour lequel la justice a estimé que «seuls les risques de malformations étaient suffisamment documentés pour alerter la vigilance des autorités sanitaires», mais que les risques quant à l'apparition de troubles neuro-développementaux, tel l'autisme, n'étaient pas suffisamment connus à l'époque pour caractériser la faute de l'Etat et des autorités sanitaires (Agence de sécurité du médicament, ministère de la Santé, CPAM...). «En revanche, concernant les grossesses intervenues entre 2005 et 2008, les deux risques, malformations et troubles neuro-développementaux, liés au valproate de sodium étaient suffisamment connus», a-t-il ajouté.
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Si cette date pivot est retenue, «80% des enfants nés avant 2004 sont exclus des indemnités» alors que «des cas d'autisme avaient été signalés» dès 1984, s'alarme Marine Martin, présidente et fondatrice de l'Apesac (association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant), qui représente 7 500 victimes. «L'autisme les rend invalides à vie», a-t-elle rappelé. Le nombre d'enfants handicapés à cause du valproate de sodium, molécule présente dans la Dépakine et utilisée contre l'épilepsie et les troubles bipolaires, est estimé entre 15 000 et 30 000, selon les études. Lorsqu'une femme enceinte prend ce médicament, son enfant présente un risque élevé – de l'ordre de 10% – de malformations congénitales, ainsi qu'un risque accru d'autisme et de retards intellectuels et/ou de la marche, pouvant atteindre jusqu'à 40% des enfants exposés.
Sanofi également fautif
Le tribunal administratif a également considéré que la responsabilité de l'Etat n'était pas entière et pouvait être exonérée partiellement à cause d'autres acteurs au cœur de ce scandale sanitaire. Ainsi, le laboratoire français Sanofi et des médecins prescripteurs ont également été reconnus responsables, à degrés divers, de n'avoir pas suffisamment informé les patientes des risques encourus en poursuivant leur traitement. «Le laboratoire n’ayant pas été partie à la procédure, celui-ci n’a pas pu faire valoir ses arguments, notamment l’ensemble de ses demandes de modification des documents d’information sur le produit à destination des praticiens et des patients», s'est défendu le géant pharmaceutique, qui a toujours soutenu avoir respecté ses obligations. «Sanofi s'est lancé dans une guérilla judiciaire pour refuser d'indemniser les victimes», a dénoncé pour sa part Charles Joseph-Oudin. Le laboratoire français, qui a été mis en examen en février pour «tromperie aggravée» et «blessures involontaires» après le dépôt de 42 plaintes de familles, est par ailleurs au cœur d'une vingtaine de procédures au tribunal judiciaire de Nanterre (Hauts-de-Seine). Une condamnation qui tombe mal pour ce laboratoire en course pour trouver un vaccin contre le Covid-19.
Parallèlement aux procédures judiciaires, 500 dossiers de victimes directes ont été déposés à l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux), et 1 400 sont en cours de constitution. L'organisme a déjà proposé un total de 6,5 millions d'euros d'indemnisations aux victimes de la Dépakine. Avec le Mediator, dont le procès-fleuve se clôt le 10 juillet, la Dépakine est l'un des plus retentissants scandales sanitaires en France ces dernières années.