Les noms circulent sous le manteau depuis plusieurs semaines et révèlent en creux des tractations : par exemple, l'ancien policier étiqueté sarkoziste Frédéric Péchenard, vice-président Les Républicains (LR) de la région Ile-de-France chargé de la sécurité, plairait bien à certains syndicats majoritaires de la profession pour remplacer Christophe Castaner. Il avait d'ailleurs déjà été pressenti au moment de remplacer Gérard Collomb en octobre 2018, mais estimé trop à droite pour l'entourage d'Emmanuel Macron, selon Valeurs actuelles.
Le nom du secrétaire d'Etat Laurent Nunez circule également, considéré comme plus technique et affichant une image médiatique plus proche des policiers que Christophe Castaner. Ce serait donc le second qui pourrait se positionner pour obtenir le poste suprême, selon cette rumeur savamment entretenue au fil des articles les présentant comme concurrents, notamment depuis l'affaire de la tuerie de masse à la préfecture de police.
La narration émise par Gilles Le Gendre dans un courrier qu'il avait adressé à Emmanuel Macron, ainsi qu'à certains conseillers, et dont le contenu avait été éventé par l'hebdomadaire Marianne au début du mois de juin, plaçait Jean-Yves Le Drian à l'Intérieur et Christophe Castaner aux Armées.
Ce qui se trame en réalité, c'est une partie de poker qui est engagée entre lui et les syndicats
Deux autres noms circulent, avec persistance. Tout d'abord, celui du très macroniste Sébastien Lecornu, lieutenant de réserve de la gendarmerie et ancien mentor d'Alexandre Benalla dans ce domaine, il est actuellement ministre des Collectivités territoriales et marqué comme étant passé chez Les Républicains.
Enfin, on retrouve parfois le nom de Jean Castex, le «monsieur déconfinement» d'Emmanuel Macron, énarque, haut-fonctionnaire et ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy, remplacé par... Emmanuel Macron à ce même poste, sous François Hollande.
Les cartons seraient déjà arrivés à Beauvau...
Voilà pour les différentes options envisagées régulièrement par la presse ces dernières semaines pour remplacer Christophe Castaner, surtout depuis le début du mouvement de colère policière issue de la base et dont les syndicats du secteur semblent bien en mal de se saisir avec légitimité, selon les différents interlocuteurs contactés par RT France.
Ces différentes options se trouvent récemment renforcées par deux arguments mis en avant par Valeurs actuelles : les résultats des élections municipales pourraient précipiter le besoin de renouveau de l'exécutif avec un remaniement et «des dizaines de cartons» seraient arrivés à Beauvau ces derniers jours, selon l'hebdomadaire... comme si son principal occupant devait en déménager avec son équipe.
Interrogé par RT France, Georges Knecht, secrétaire général du SNIPAT, syndicat des personnels techniques et scientifiques de la police, lâche désabusé et sans regret : «En tout cas, en tant que syndicaliste, en plusieurs décennies, je n'ai jamais vu un ministre qui ne nous recevait pas et des ministres... j'en ai vus ! Il n'y a que Castaner qui ait refusé de nous voir en bilatéral, même quand nos personnels ont battu le pavé !»
Déboulonner Castaner pourrait permettre au gouvernement de se rabibocher pour pas cher avec les flics et les syndicats
Ce serait donc un fait acquis pour certains : affaibli depuis de longs mois et surtout depuis la séquence sur la clef de cou qu'il a remisée au placard des techniques d'intervention le 8 juin sans en convenir avec les corps intermédiaires, Christophe Castaner s'en va.
Pourtant, le principal intéressé a annoncé lui-même son intention de demeurer au ministère de l'Intérieur, dans une interview accordée au Parisien et diffusée le 20 juin.
D'autres sources doutent du départ de Castaner
Par ailleurs, différentes sources contactées par RT France se montrent moins catégoriques. Un syndicaliste policier bien informé des arcanes du ministère de l'Intérieur a notamment assuré au téléphone : «Le cabinet du ministre ne nous a absolument donné aucune raison de penser que Castaner s'en allait. Au contraire, dans le bras de fer engagé avec les flics, nous aurions plutôt l'impression que le gouvernement va serrer la vis aux policiers en colère qui se rassemblent le soir à Paris.»
De fait, une source proche du mouvement des policiers en colère faisait valoir auprès de RT France qu'une délégation de l'actuel mouvement de grogne allait être reçue par la direction générale de police nationale le 29 ou le 30 juin.
Si certains policiers du mouvement y voient une avancée significative, d'autres sentent bien la menace voilée que pourrait comporter ce geste de l'institution : légèrement moqué sur les réseaux sociaux pour avoir déclaré ne pas connaître les initiateurs de ces rassemblements lors d'une commission parlementaire, le préfet de police de Paris Didier Lallement pourrait chercher à faire peser le poids de «la boîte» sur les policiers qui se présenteront au rendez-vous. Ces derniers deviendraient-ils de facto comptables des actions des autres ? Cette manière de conduire les opérations indique-t-elle que le ministre est parti pour rester ?
Interrogé par RT France, un ancien du ministère, rappelle, goguenard : «Castaner est un joueur de poker avant tout et il s'est fixé comme mission de nettoyer Beauvau, donc c'est certain qu'il est accroché à son fauteuil et qu'il ne s'en ira pas tant qu'il n'aura pas remporté la partie... sauf si on le vire. Ce qui se trame en réalité, c'est une partie de poker qui est engagée entre lui et les syndicats.»
Une autre source, connaissant bien les rouages de la machine de l'Intérieur décrit : «Déboulonner Castaner pourrait permettre au gouvernement de se rabibocher pour pas cher avec les flics et les syndicats, qui se gardent bien de demander la tête du ministre mais qui pourraient présenter cela comme une victoire alors qu'il s'agirait seulement d'une conséquence du remaniement.»
En effet, la partie pourrait se jouer directement entre Emmanuel Macron et les syndicats policiers : ils ont demandé à être reçus par l'Elysée lors de la marche du 12 juin qui les a conduits jusqu'à Beauvau en partant de la place de l'Etoile... mais selon une source syndicale, le président de la République n'aurait tout simplement pas répondu à cette demande à ce jour. La réponse sera-t-elle un nouveau tour de vis ou la tête du ministre de tutelle ?
Antoine Boitel