Procès contre Benjamin Griveaux et Charlie Hebdo : pas de jugement sur le caractère diffamatoire
Deux jugements ont été rendus dans deux affaires opposant RT France à Benjamin Griveaux d’une part, et à Charlie Hebdo d’autre part. Ces deux jugements ne se prononcent pas sur le caractère diffamatoire des propos et ne sont pas définitifs.
Les journalistes de RT France sont-ils des journalistes ? RT France peut-elle obtenir un simple droit de réponse quand elle est assimilée à de la propagande nazie ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, il va falloir attendre encore pour que la justice se prononce sur ces questions. Alors qu'elle était opposée, dans le cadre d'un procès pour diffamation, à l'ancien porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, et, dans le cadre d'une action en insertion d’un droit de réponse, au magazine satirique Charlie Hebdo, RT France s'est vue déboutée par la justice dans les deux procédures. Néanmoins, ces deux jugements ne se prononcent pas sur le caractère diffamatoire des propos et ne sont pas définitifs.
RT France vs Benjamin Griveaux
RT France avait en effet intenté un procès pour diffamation – réclamant un euro symbolique – visant Benjamin Griveaux, alors porte-parole du gouvernement. Rappelons les faits. Le 7 janvier 2019, celui-ci avait alors déclaré dans l'émission C à vous (France 5): «Vous avez des médias qui ne font pas leur travail journalistiques, de sourcer leurs informations… On a eu beaucoup de fake news depuis longtemps, relayées consciencieusement par Russia Today… Russia Today, ce n’est pas du journalisme, c’est un outil de propagande qui est financé par un Etat étranger, qui est la Russie. Moi, je ne leur ai pas donné accès à la salle de presse de l’Elysée… Une chaîne comme Russia Today en français. Des propos , qui conteste le fait que par exemple en Syrie, on ait pu gazer des enfants avec des armes chimiques, c’est la seule chaîne à l'avoir contesté. Elle n’a pas sa place à la salle de presse de l’Elysée. C’est clair et net.»
Plus d'un an après, dans un jugement du 13 mai, le tribunal de grande instance de Paris, saisi d’une action civile sur le terrain de la diffamation, s'est déclaré incompétent pour se prononcer sur le fond de l’affaire. Il a précisé qu’il n’était compétent en ce qui concerne les ministres que pour les fautes qui sont «personnelles et détachables de leurs fonctions». En l'espèce, il a ainsi estimé que, puisque les propos de Benjamin Griveaux – qu'ils soient diffamatoires ou non – avaient été tenus alors qu’il était porte-parole du gouvernement, «interrogé et présenté en cette qualité», le tribunal ne pouvait se prononcer sur l’existence ou non d’une diffamation dans cette affaire. Il a donc déclaré son incompétence à traiter l'affaire et a invité RT France à saisir le tribunal administratif. De manière classique lorsqu’une partie est déboutée, le tribunal de grande instance a demandé à RT France de verser 2 000 euros de frais de procédure à Benjamin Griveaux.
Un jugement contesté par RT France, qui va interjeter appel. «Le jugement ne se prononce pas sur l'existence ou non d’une diffamation mais indique uniquement que la 17ème chambre s'estime incompétente pour statuer sur le cas de Benjamin Griveaux, ce que nous estimons contestable. Ce contentieux n’est pas terminé et n’a pas été jugé sur le fond», explique Angélique Tessier, sa directrice juridique. «Nous estimons pour notre part qu'il est intervenu en tant que personnalité politique et que ses propos sont détachables de ses fonctions de porte-parole, et qu'en conséquence le TGI de Paris devrait s'estimer compétent. En tout état de cause, ce jugement démontre qu'il est extrêmement difficile – en l'état de l'arsenal juridique actuel – de faire condamner les propos manifestement diffamatoires d'un membre du gouvernement», précise-t-elle encore.
RT France vs Charlie Hebdo
Mais ce n'est pas tout. Une autre affaire oppose notre média et le journal satirique Charlie Hebdo. Le sujet de discorde ? Un article publié le 6 février 2019 titré «RT France le sous-marin du Kremlin en mode dédiabolisation», dans lequel le magazine a osé comparer RT France à – tenez-vous bien – Signal, une publication bien connue de propagande nazie éditée à l'époque dans les pays sous occupation allemande. Un parallèle dressé, non pas une, mais deux fois. Notre magazine Interdit d’interdire animée par Frédéric Taddeï y était ainsi décrit : «Chaque soir, des artistes en manque de promo viennent s’épingler au tableau de chasse de RT. Le bimensuel Signal, édité par le commandement de la Wehrmacht dans les pays occupés, ne faisait pas autre chose quand il ouvrait ses colonnes à Cocteau ou Ferragamo.» Le point Godwin franchi sans complexe.
Face à un tel rapprochement inacceptable, RT France n'a pas tardé à demander un simple droit de réponse dans le magazine. Elle y indiquait notamment : «Cet article ne craint pas de comparer RT France au principal journal de propagande nazie durant la seconde guerre mondiale. Mettre sur un même plan l’émission de débats Interdit d’Interdire de monsieur Frédéric Taddeï, son travail de journaliste et ses invités en plateau, avec ce périodique nazi et des intellectuels ou artistes ayant collaboré avec lui, est absolument infect.»
Or Charlie Hebdo a choisi de refuser cette demande. Devant une telle réaction et compte tenu du caractère particulièrement virulent des propos tenus, notre média a alors demandé en justice l’insertion de son droit de réponse. Mais selon les juges, en prenant – dans un très court paragraphe cité ci-dessus – la défense de l’émission Interdit d’Interdire et de son présentateur, Frédéric Taddeï, RT France aurait excédé le caractère personnel de son droit de réponse. A l’occasion de ce dernier jugement, le tribunal a demandé à RT France de verser à Charlie Hebdo 2 500 euros de frais de procédure. Charlie Hebdo qui réclamait de son côté 10 000 euros pour procédure abusive, a été débouté, le tribunal estimant que «l’article de Charlie HEBDO ne saurait être qualifié de laudatif à l’égard de RT FRANCE, comme le montre la comparaison effectuée entre la chaîne de télévision et le bimensuel SIGNAL».
La directrice juridique de RT France explique : «Nous n’avions pas obtenu gain de cause lors de la procédure en référé sur un moyen de procédure totalement inédit en la matière, qui a d'ailleurs été écarté par le jugement du 13 mai dernier. Cette fois, le tribunal estime que RT France a excédé son droit de réponse personnel en évoquant Frédéric Taddeï au sein de celui-ci, alors que RT France répondait aux attaques sur l'émission de débat "Interdit d'Interdire" produite et diffusée par elle.» «Elle était donc fondée à y faire référence dans son droit de réponse.», note-elle encore. C'est pourquoi RT France étudie actuellement avec ses avocats «l'opportunité de faire appel de ce jugement», conclut Angélique Tessier.
Que ce soit dans le cadre de la procédure contre Benjamin Griveaux ou celui du litige avec Charlie Hebdo, rien n'est encore définitif.