Covid-19 : le Conseil d’Etat valide l'allongement des délais de la détention provisoire
Le Conseil d'Etat a rejeté des recours déposés par des organisations d'avocats contre différentes mesures d'exception pour la justice dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Dans leur viseur : l'allongement des délais de la détention provisoire.
Les recours déposés devant le Conseil d'Etat par plusieurs organisations, notamment d'avocats, contre certaines dispositions des ordonnances du 25 mars visant à adapter les règles de procédure pénale à la crise du Covid-19, ont été rejetés par l'institution le 3 avril. Ces dispositions constituent des mesures d'exception prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Le Conseil national des barreaux (CNB), qui représente les 70 000 avocats français, mais aussi l'Association des avocats pénalistes (ADAP), l'Union des jeunes avocats de Paris ou le Syndicat des avocats de France (SAF), contestaient principalement la mesure allongeant de plein droit la durée maximale de la détention provisoire fixée par la loi.
La mesure a pour but de limiter les audiences dans le cadre du confinement et, rappelle Le Monde, de «limiter le risque d’annulation de procédures ou de libération de personnes considérées comme dangereuses ou susceptibles de faire pression sur des témoins, faute, pour les juridictions, d’avoir pu tenir une audience dans les délais». Les détentions provisoires pourront être allongées sans débat contradictoire devant le juge, de deux, trois, voire six mois selon la gravité des infractions, pour les personnes incarcérées dans l'attente de leur procès.
Face aux critiques, le Conseil d'Etat a estimé que l'ordonnance relative à la procédure pénale s'était «bornée à allonger ces délais, sans apporter d'autre modification aux règles [...] qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire».
En outre, «ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure» et la juridiction compétente peut «ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé», la suspension de la détention provisoire, a estimé le Conseil d'Etat.
Vague d'indignation chez les magistrats
«C'est la première fois depuis 1793 [loi des suspects pendant la Terreur] que des personnes vont rester en détention par la volonté du législateur et non par celle du juge», s'est indigné l'avocat du Conseil national des barreaux (CNB) Louis Boré après l'échec des recours.
«Triste jour pour les libertés publiques», s'est indigné de son côté le Syndicat des avocats de France.
Il semblerait que les référés de la @LDH_Fr@fnuja#adap@CNBarreaux@Avocats_Paris@Conf_Batonniers aient connu le même sort. Triste jour pour les libertés publiques.
— Le SAF (@syndicatavocats) April 3, 2020
«C'est une décision assez violente car on n'a même pas pu débattre, et c'est un camouflet à l'ensemble de la profession d'avocat, et en particulier aux pénalistes», a réagi auprès de l'AFP Patrice Spinosi, l'avocat de l'ADAP. Les recours, en effet, n'ont pas été examinés en audience publique par le Conseil d'Etat.
«L’Etat de droit vacille un peu plus», a estimé dans un tweet le syndicat de la magistrature, lui aussi opposé à la mesure et requérant. L'organisation de magistrats a aussi contesté le mode de décision sans audience.
Le Conseil d’Etat, c’est-à-dire la justice administrative qui n’a jamais aussi bien porté son nom, valide la prolongation automatique de la détention provisoire de détenus présumés innocents. L’Etat d’urgence sanitaire a vraiment suspendu toutes les garanties de l’Etat de droit.
— Jean Quatremer (@quatremer) April 4, 2020
Hors du monde du droit, la décision du Conseil d'Etat a aussi fait réagir : « L’état d’urgence sanitaire a vraiment suspendu toutes les garanties de l’Etat de droit», a par exemple déclaré journaliste Jean Quatremer sur Twitter.