Attaque de Charlie Hebdo : la survivante Ségolène Vinson raconte
Ségolène Vinson, journaliste rescapée de la tuerie à Charlie Hebdo, a raconté les détails de cet évènement effroyable survenu à l’occasion de première conférence de rédaction du journal de l’année 2015.
Le récit de Ségolène Vinson au journal Le Monde est le plus détaillé qui ait été publié jusqu’à présent sur l’attentat contre les journalistes du magazine satirique Charlie Hebdo.
Au matin du 7 janvier, les employés du journal étaient réunis pour leur première conférence de rédaction de l’année 2015. Tout le monde se souhaitait « bonne année ! » et plaisantait allègrement. C’était aussi l’anniversaire du dessinateur Luz. A cette occasion, on a donc acheté un gâteau dans la patisserie du coin. Quelqu’un a apporté du jambon. Lila, le cocker bien-aimé de la rédaction, mendiait des bouts de charcuterie.
Ségolène Vinson parle de ces collègues morts comme des vivants. Elle se souvient que Philippe Lançon bougonnait parce qu’il n’y avait pas assez d’exemplaires de Charlie pour tout le monde. Elle sourit en se souvenant du dessinateur Stéphane Charbonnier : « Charb dessinait tout le temps. Ses feuilles de chemin de fer étaient géniales. J’admirais son sens du détournement. Tous ses dessins traduisaient instantanément nos échanges autour de la table. »
Vinson raconte qu’elle était « emplie d’un sentiment de bonheur » à cet instant. « Puis on a entendu deux “pop”. Ça a fait “pop pop” ». Personne n’a compris ce qui se passait. Simon Fieschi, 31 ans, fut la première victime des terroristes. Son bureau était le premier à l’entrée de la rédaction. « Luce a demandé si c’était des pétards. On s’est tous demandés ce que c’était », raconte Ségolène. Un des policiers chargés de la protection de la rédaction s’est dirigé de manière hésitante vers la porte. « Sa main semblait chercher quelque chose sur sa hanche, peut-être son arme. Il a dit : " Ne bougez pas de façon anarchique. " Il a semblé hésiter près de la porte. » Ségolène, à ce moment-là, comprend que ce ne sont pas des pétards, se jette au sol et rampe en direction de la porte du bureau voisin. « J’étais sûre que j’allais mourir », avoue Ségolène Vinson. Mais la chroniqueuse continue à ramper et se retient de se retourner « pour ne pas voir la mort en face ».
La journaliste entend des cris. Un des terroristes demande : « Où est Charb ? ». Puis de nouveaux coups de feu retentissent. Un employé parvient à se cacher sous le bureau du policier, un autre essaye de se mettre à l’abri de la fusillade. « Ce n’étaient pas des rafales. Ils tiraient balle après balle. Lentement. Personne n’a crié. Tout le monde a dû être pris de stupeur », commente Ségolène Vinson.
Ségolène finit par faire face à un terroriste. Elle se souvient de tout ce qu’il lui a dit. « N’aie pas peur. Calme-toi. Je ne te tuerai pas. Tu es une femme. On ne tue pas les femmes », lui dit Saïd Kouachi. « Je t’épargne, et puisque je t’épargne, tu liras le Coran. », lui souffle-t-il. Elle lui fait un signe de la tête pour garder un contact visuel et détourner l’attention de son collègue Jean-Luc qui était sous la table. « Peut-être qu’inconsciemment, je cherche à l’attendrir. Je ne veux pas perdre son regard car Jean-Luc était sous la table près de moi. Le terroriste ne l’a pas vu », raconte la journaliste.
Dans la pièce voisine où se trouvait Chérif Kouachi, le frère cadet de Saïd, on a trouvé une femme assassinée : Elsa Cayat, psychanalyste et chroniqueuse à Charlie Hebdo. Les deux frères n’étaient visiblement pas d’accord entre eux sur la question d’épargner les femmes.
« On ne tue pas les femmes ! », crie Saïd avant de disparaître. Ségolène s’approche de la fenêtre pour sauter mais se rend compte que c’est trop haut. Elle entend le chien courir de bureau en bureau. « Vision d’horreur » lorsque Ségolène retourne dans la salle de rédaction. Elle se retrouve nez-à-nez avec les corps inertes de ses collègues.
« C’était trop », confie-t-elle d’une voix étranglée. Quelques jours après les évènements, elle manquait encore d’air en racontant ce qui s’est passé à un journaliste du Monde. Ségolène, après l’attentat, ne pouvait tenir aucun propos cohérent, elle ne pouvait s’approcher de son collègue gravement blessé ni lui tenir la main, elle ne pouvait reprendre ses forces pour lui venir en aide.
« C’était trop », répété Ségolène. Tous les morts ont été retrouvés face contre terre. La femme doît enjamber plusieurs corps pour récupérer son portable. Vinson appelle alors un numéro d’urgence mais ne peut se souvenir de l’adresse du journal. On lui demande combien il y a de corps. « Ils sont tous morts ! », répond Ségolène.
Elle raccroche le téléphone, sa collègue entre dans la pièce et se met à aider les blessés. Chaque seconde semble une éternité. L’attente des secours et de la police est insupportable.
Une série d’attentats a commencé en France le 7 janvier quand deux terroristes ont fait irruption dans la salle de réunion du magazine satirique Charlie Hebdo et ont ouvert le feu sur les personnes qui se trouvaient là-bas. Douze personnes sont mortes : dix employés et deux policiers. Le lendemain, on tire à l’arme automatique sur une policière municipale et un agent de la voirie à Montrouge en banlieue parisienne, la jeune policière décède. Grièvement blessé, l’agent de la voirie a été hospitalisé dans un état critique. Les autorités françaises considèrent un certain Amedy Coulibaly comme l’auteur du meurtre à Montrouge et le complice des frères Kouachi. L’opération de Montrouge en date du 8 janvier a également été qualifiée d’attentat terroriste.
Le 9 janvier, les frères Saïd et Chérif Kouachi prennent un nouvel otage et se barricadent dans l’imprimerie de la ville de Dammartin-en-Goële. Coulibaly refait parler de lui en prenant d’autres otages dans un épicerie cacher porte de Vincennes à Paris. Les forces spéciales françaises ont réussi à éliminer les terroristes mais n’ont pas pu sauver quatre otages.
Le prophète musulman Mahomet figure à nouveau sur la dernière couverture de l’hebdomadaire satririque Charlie Hebdo tirée mercredi à plus de trois millions d’exemplaires.