France

Procès de Viry-Châtillon : trois ans après, où en est le mouvement des policiers en colère ?

Le procès des jeunes accusés d'avoir mis le feu à deux véhicules de police et leurs occupants s'ouvre à Evry. Cette attaque avait provoqué un mouvement spontané de colère policière en 2016. Retour sur les origines et la suite de ce mouvement.

Le 15 octobre, s'est ouvert à la cour d'assises d'Evry-Courcouronnes (Essonne) jusqu'au 6 décembre, le procès de 13 jeunes qui sont accusés d'avoir mis le feu à deux véhicules de police à Viry-Châtillon, le 8 octobre 2016, dans lesquels se trouvaient des policiers. L'occasion de revenir sur le mouvement des policiers en colère, lancé spontanément à l'époque, et qui a provoqué la naissance d'un nouvel esprit de contestation dans la police, en marge des salons feutrés de Beauvau et du monde syndical officiel.

Interrogé par RT France, un membre du Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France (CAP-IDF), qui a été lancé dans la ferveur de ce moment de la vie policière française, se souvient du tout début de la mobilisation : «Les collègues ont brûlé le samedi [le 8 octobre deux policiers avaient été grièvement brûlés et deux autres blessés] dans l'après-midi. Dans la foulée de la même soirée, des groupes de policiers se sont créés spontanément sur [la messagerie sécurisée] Whatsapp. Nous nous étions tous mis d'accord à travers les départements pour lancer une action forte rapidement. Dès le lundi soir [10 octobre] nous nous sommes rendus à l'hôpital de Lariboisière à Paris avec nos véhicules de service, venus des secteurs de la petite et de la grande couronne, pour veiller les collègues blessés. Nous avons chanté La Marseillaise devant l'hôpital toute la soirée. Les jours suivants, nous sommes aussi allés à Evry pour discuter avec le DDSP [directeur départemental de la sécurité publique] du secteur. Ensuite, nous avons manifesté spontanément à la place de la République à Paris et deux fois sur les Champs-Elysées.»

Mais bientôt, la ferveur et la spontanéité du mouvement a suscité un sentiment ambigu dans les hautes sphères de la police et au ministère de l'Intérieur : «Dans les semaines qui ont suivi les rassemblements spontanés, des délégués syndicaux ont commencé à nous prévenir que la direction de la police nationale cherchait des têtes à faire tomber dans le mouvement. Cela a un peu mis un coup d'arrêt à la première phase du mouvement, notamment parce que nous utilisions nos véhicules de service pour aller sur les rassemblements et ça commençait à faire grincer des dents. Entre temps, il y avait eu des rassemblements dans les centre-villes, des actions dans les commissariats avec des opérations de service minimum. Le malaise était bien présent et les syndicats majoritaires, que nous avions appelés à nous soutenir, refusaient de nous rejoindre. Ils voulaient nous récupérer par contre et là, nous avons répondu non. Leurs délégués ont donc porté un message des secrétaires généraux nous faisant savoir qu'ils ne nous soutiendraient pas en cas de litige avec la direction.»

Le policier militant, avec qui s'est entretenu RT France, estime qu'un déclin du mouvement s'est alors enclenché sur la forme, mais que depuis lors, les syndicats majoritaires de la profession ont été contraints de réagir au malaise endémique du monde policier : «Clairement le mouvement a connu une décrue, mais avec le phénomène des commissariats pourris, du burn out et des suicides dans la police, les syndicats majoritaires ont été obligés de répliquer. Alors la "marche de la colère" du 2 octobre, pour nous, policiers de terrain militants associatifs, c'est paradoxal ! Ils revendiquent cette colère alors qu'ils ne nous apporté aucun soutien au début. C'est de la pure récupération... Les policiers en colère, ce n'est pas le monde syndical, c'est nous ! Au lieu de nous rejoindre, ils nous ont menacés à l'époque et ils ont recommandé à tous leurs adhérents de ne pas nous suivre. Aujourd'hui, il y a une telle grogne, ils n'ont plus le choix, c'est tout.»

Mais à en croire cette même source, les policiers en colère ont œuvré à leur façon pour de meilleures conditions de travail pour les fonctionnaires : «Par contre, il faut tout de même rappeler que les concours de photos des commissariats pourris, les nouveaux véhicules plus costauds etc., c'est pas grâce à eux. Les syndicats, tout ce qu'ils nous ont obtenu, ce sont des Berlingo de merde. D'ailleurs, nous avons toujours incité les collègues à ne plus monter dans des véhicules hors d'usage, ni de travailler dans des locaux indignes. Malheureusement, ceux qui voulaient nous suivre là-dessus se retrouvaient en porte-à-faux.»

Depuis le début du mouvement, plusieurs mouvements ont repris la dénomination «policiers en colère», telle que la mobilisation des policiers en colère (MPC), dont la présidente très charismatique, Maggy Biskupski, s'est suicidée en novembre 2018 avec son arme de service, et le syndicat France Police-Policiers en colère, qui continue de marcher avec les associations et les syndicats majoritaires à chaque rassemblement.

Enfin, la marche nationale de la colère le 2 octobre, à l'initiative du syndicat Alliance a été suivie par des milliers de policiers dans une ambiance plutôt festive à Paris. Mais, si les flonflons de la musique de discothèque qui était diffusée par les camions syndicaux en tête de cortège ont résonné très fort entre les places de la Bastille et de la République ce jour-là, dès le lendemain, la préfecture de police de Paris a été endeuillée par l'attaque du terroriste islamiste radicalisé Mickaël Harpon.

Face aux policiers en colère, une politique du fusible ?

Une fois passée l'heure de l'émotion fédératrice et du recueillement, cet attentat et l'enquête qui en découle pourraient raviver les tensions entre le gouvernement et les policiers. Selon la source contactée par RT France, malgré les vives dénégations de Christophe Castaner auditionné par les parlementaires du Sénat le 10 octobre qui a reconnu des «failles» mais pas de «faute», des têtes pourraient bien tomber à la préfecture de police de Paris.

Or cette institution avait déjà fait figure de fusible après l'incendie qui avait ravagé la façade de la brasserie Le Fouquet's sur l'avenue des Champs-Elysées lors de l'acte 18 des Gilets jaunes à Paris, en mars 2019. Après cet épisode, le préfet Michel Delpuech, le directeur de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) Frédéric Dupuch et le directeur de l'ordre public et de la circulation Alain Gibelin avaient sauté. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et le directeur général de la police nationale, Eric Morvan, eux, sont toujours en poste, malgré la colère policière.

Antoine Boitel

Lire aussi : Marche nationale de la colère : les syndicats de police défilent à Paris