France

Extinction Rebellion, vrai faux mouvement spontané ?

Communication bien huilée, absence de «porte-parole» gaffeurs, déclinaisons mondiales et non-violence érigée en dogme : Extinction Rebellion, sous son folklore groupusculaire, a tout du mouvement organisé, aux antipodes des Gilets jaunes.

Des militants enlacés les uns aux autres, portés par des CRS avec de relatifs égards : telles sont les images de la timide évacuation du quartier de l'Assemblée nationale des militants Extinction Rebellion (XR) par la police à Paris le 12 octobre.

Cet usage de la force publique par les autorités françaises, circonscrit et modéré, était une des rares réponses policières données par les forces de l'ordre au mouvement après quatre jours et trois nuits de blocage continu (sans aucune autorisation préalable) de différents endroits de la capitale.

Concert, jongleurs funambules et sit-in dans la paille: dès la première heure de la mobilisation «pour la suite du monde» débutée le 7 octobre, l'ambiance était  détendue côté militants qui ne semblaient pas redouter d'évacuation musclée et immédiate. Une impression qui s’est renforcée dans la soirée, sur fond de musique électro proposée aux badauds et militants par le collectif de DJ's G.A.F (give a fuck now), associé précédemment aux marches pour le climat. 

De l'autre côté du Pont au change, qui sépare la place du Châtelet de l’Île de la Cité, l'«Assemblée citoyenne» proposait des rendez-vous réguliers aux militants sur différents thèmes, non seulement environnementaux, mais aussi sur d'autres sujets : «14h : Départ de bénévoles pour nettoyer le camp de migrants 5 rue Moussorgsky», lisait-on par exemple sur un des programmes diffusé sur Facebook. 

Communiqués en écriture inclusive, invités d'honneur comme des membres du GIEC ou l'ancienne capitaine du Sea-Watch 3 et militante pro-migrants Carola Rackete, sensibilisation à la «communication non violente»... le blocage – qui s'apparentait plus à un colloque écolo organisé sur un campus universitaire qu'à une manifestation sauvage – s'est achevé dans le calme, sur décision des militants rassemblés en Assemblée générale le 11 octobre, sans que la police n'ait rien tenté pour les déloger. 

Deux poids, deux mesures avec les Gilets jaunes ?

Le même jour, une tentative de blocage des Champs-Elysées par XR était maîtrisée sans violence par les forces de l'ordre. «Ce que je constate là, c'est qu'à la différence des Gilets jaunes on est escortés par les CRS [...] Tout se passe de manière très tranquille, on aurait aimé que pour les Gilets jaunes ça se passe de la même manière», remarquait alors auprès de Brut le Gilet jaune François Boulo, présent par hasard au moment du passage du cortège.

Même constat de Maxime Nicolle, qui a dit à RT France lors de l'acte 48 des Gilets jaunes à Toulouse avoir «un peu de mal à comprendre», pourquoi XR, qui bénéficie selon lui de l'appui de «madame Hidalgo [maire de Paris]», pouvait bloquer le centre de Paris sans «répression aucune». 

Selon lui, des Gilets jaunes qui scandaient : «Insultez pas la police ! Asseyez-vous, restez pacifiques», ont été attaqués bille en tête par les forces de l'ordre. De fait, à douze mois du lancement du mouvement des Gilets jaunes, contenu et réprimé avec une violence ayant choqué le monde entier, la différence de traitement envers Extinction Rébellion saute aux yeux de tous les observateurs.

«Si nous ne subissons pas beaucoup de répression (malgré les appels de notre chère Ségolène Royal), c'est que l'écologie est un sujet qui est difficilement attaquable par les puissant.e.s car ils/elles font leur beurre dessus», argumentait la section Île-de-France du mouvement le 8 octobre sur sa page Facebook, conscient de ce deux poids, deux mesures.

«De plus, les images du gazage du pont de Sully ont fait le tour du monde et ont rendu la tâche des forces de l'ordre bien plus difficile», pouvait-on lire plus loin dans le communiqué de l'organisation, s'affichant solidaire des «victimes de violences policières (GJ, comité Adama, etc.)». 

Va te faire foutre avec ton 17 novembre

Présents notamment lors de la marche pour le climat du 21 septembre et lors du blocage du centre commercial Italie 2 par XR, une partie des militants Gilets jaunes ont semble-t-il fait le choix de prendre fait et cause pour le climat.

Même si la naissance inopinée du mouvement en novembre 2018 – sur la question notamment des augmentations des taxes sur le carburant – était au départ largement considérée comme antagoniste des revendications écologistes. 

«Va te faire foutre avec ton 17 novembre», pouvait-on lire début novembre 2018 dans un long message au vitriol, disparu depuis, posté sur Facebook par un «père de famille» opposé au mouvement naissant des Gilets jaunes. Partagé des dizaines de milliers de fois, le message s'adressait à la deuxième personne du singulier au mouvement, lui reprochant de vouloir bloquer le pays «parce que tu paies ton putain de diesel plus cher». Une revendication jugée inadmissible devant l'urgence écologique. 

Des mois plus tard, la convergence affichée par certains Gilets jaunes avec la cause climatique s'est accentuée avec la baisse d'affluence constante des militants des ronds-points centrés sur un objectif de lutte contre les hausses de taxes. Quant à Extinction Rebellion – qui préconise la neutralité carbone et donc une réduction drastique de l'usage des voitures thermiques d'ici 2025 – peut-il sentir des affinités avec un mouvement né d'une critique de l'augmentation du prix du diesel ?

Filles de bonne famille et militants professionnels à l'origine du mouvement 

A la question idéologique s'ajoute la question sociale. Les face-à-face entre les bloqueurs et les bloqués par XR, souvent dépendants de la voiture pour raison professionnelle, ont largement fait réagir sur les réseaux sociaux. 

Communication bien huilée, logo se voulant impactant, site Internet ergonomique, consultable en plusieurs langues, le professionnalisme de XR se constate à tous les niveaux. 

Là où les porte-paroles des Gilets jaunes se gênaient mutuellement, multipliant les déclarations contradictoires ou maladroites, les militants de XR renvoient en général les journalistes vers les organisateurs pour recueillir des propos sur les revendications. Alors que le mouvement revendique dans l'hexagone un mode d'action collégial, horizontal, sans chefs identifiés, il est l'œuvre au niveau international de militants chevronnés.

J'étais également impliquée dans les questions de genre et de racisme

La co-fondatrice du mouvement, Gail Bradbrook – 47 ans et docteur en biophysique moléculaire – a derrière elle 20 ans de militantisme professionnel pour différentes causes. Elle a ainsi été entre 2003 et 2017 directrice de Citizens Online, une organisation caritative pour «l'inclusion numérique».

«J'ai toujours été intéressée par la façon dont les choses évoluent lors des mutations sociales. Jeune femme, j'étais impliquée dans la lutte pour les droits des animaux. J'étais également impliquée dans les questions de genre et de racisme», déclarait-elle à la BBC début septembre. 

Dans la même interview, elle expliquait que l'idée de créer XR lui était apparue lors d'une prière pour les «préceptes des mutations sociales» alors qu'elle effectuait une retraite sous l'emprise de psychotropes. Dans son œuvre, elle a été secondée entre autre par Roger Hallam, un ancien agriculteur biologique ayant ensuite entrepris entre 2017 et 2019 un doctorat en «désobéissance civile» au prestigieux King's College de Londres.

Autres co-fondatrices, Tasmin Osmond, fille de l'aristocratie anglaise et militante du mouvement Occupy London (2011 - 2012) ou encore Laura Reeves, ancienne employée des Nations Unies, par ailleurs fille de millionnaire selon le Daily Mail. La sociologie privilégiée de certains fondateurs de ce mouvement se retrouve aussi dans ses sympathisants : ainsi, quelle ne fut pas la surprise de voir la princesse Esmeralda de Belgique arrêtée à Londres le 10 octobre lors d'une action de XR.

Le lendemain, c'est au tour de l'octogénaire Jane Fonda, ancienne actrice et militante écologiste, de se voir interpeller à Washington au cours d'une manifestation sauvage devant le Capitole, pas directement liée à XR mais portant sur la dénonciation du réchauffement climatique. 

Riches mécènes vs. dons de particuliers ? 

Devant les critiques formulées dans les commentaires sur les réseaux sociaux, la branche française de XR, a tenu à clarifier sur Facebook sa politique de financement et à se distancier de sa grande sœur britannique. Car la subvention de 350 000 dollars offerte à XR par le Climate Emergency Fund (CEF) ne passe pas auprès de certains commentateurs. Ce fonds, créé par l’investisseur Trevor Neilson, la documentariste Rory Kennedy [fille de Robert Kennedy] et l'héritière Aileen Getty – dont la famille a fait fortune dans le pétrole – a alloué 800 000 dollars à la subvention de projets de défense de l'environnement à travers le monde. 

XR France a de son côté a indiqué avoir refusé les dons du CEF, mais accepté «partiellement» un don du groupe de pop britannique Radiohead. La majorité de son financement viendrait, selon ses dires, de particuliers. Autre nom agité sur les réseaux sociaux contre XR : celui du milliardaire américain d'origine hongroise et philanthrope controversé George Soros, fondateur de la fondation Open Society, un des plus gros pourvoyeurs de financements destinés à des organisations œuvrant présumément à l'érection d'une «société plus juste».

Venez nous rejoindre à Châtelet pour qu'on en discute ! Ensemble on est plus fort.e.s !

Le 8 octobre, Libération rappelait cependant qu'aucune preuve de subvention de XR par l’Open Society n'avait été établie et que le responsable des finances de XR au niveau international, Andrew Medhurs, avait démenti avoir reçu l'aide de la fondation. L'ombre du milliardaire plane cependant au-dessus des mouvement pour l'action contre le réchauffement climatique, comme l'a souligné Valeurs Actuelles le 2 octobre sur la base du travail d'un organisme conservateur américain.

Selon cette organisation, qui se donne pour mission de neutraliser la «propagande» de gauche dans les médias, 22 organisations partenaires «internationales ou nord-américaines» de la «Grève étudiante pour le climat» ayant eu lieu entre le 20 et le 27 septembre [aux côtés d'XR], ont été financés par le réseau Open Society à hauteur d'«au moins» 24,8 millions de dollars entre 2000 et 2017.

Sur la défensive, Extinction Rebellion France évoquait, toujours dans son long message du 8 octobre, des comptes Facebook propageant «des rumeurs pour décrédibiliser notre mouvement et les alliances que nous tentons de créer avec les mouvements sociaux». «Venez nous rejoindre à Châtelet pour qu'on en discute ! Ensemble on est plus fort.e.s !», enjoignait le message à l'attention de ses sympathisants. Pendant ce temps, des milliers d'automobilistes, coincés dans les embouteillages engendrés par ces blocages, prenaient leur mal en patience dans l'indifférence politique quasi-générale. 

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Lucas Léger