Devenus incontournables dans le paysage politique français, les Gilets jaunes vont-ils voter comme un seul homme pour la même liste lors des élections européennes ? Rien n'est moins sûr.
Les reporters de RT France sont en effet allés à leur rencontre lors de l'acte 27 de leur mobilisation le 18 mai à Paris pour recueillir leurs confidences.
La plupart des Gilets jaunes rencontrés comptent bien aller voter le 26 mai et ceux qui sont décidés connaissent bien le projet politique des listes qu'ils vont plebisciter. «Le droit de vote est la seule liberté qui nous reste aujourd'hui», estime Christelle qui pense par ailleurs que le président de la République «ne devrait pas se mêler de ça» et n'a pas à dire pour qui voter. «Chacun votera pour qui il voudra», conclut-elle.
S'il y a une chose qui les unit pour ces élections, c'est de tous voter «contre Macron». Un seul leitmotiv transparaît en effet de ces entretiens, c'est que la liste présidentielle (Renaissance, conduite par Nathalie Loiseau) n'arrive pas en tête car une telle victoire permettrait à Emmanuel Macron et à son gouvernement de justifier leur politique.
Une victoire conforterait la politique du gouvernement
«Le but, c'est de voter contre Macron. Surtout qu'il n'arrive pas en tête parce que si c'est le cas, il va se glorifier en disant qu'il a raison dans sa politique et ça, non !», prévient Patrick, 63 ans, retraité du domaine médical. Bien conscient, comme l'annoncent les sondages, que la liste qui «ferait barrage à Macron c'est le Rassemblement national», Patrick ne se sent toutefois «pas prêt pour l'instant à aller jusque là». De gauche depuis toujours, il votera France insoumise.
Martine, la soixantaine, travaille dans un théâtre, hésite. Elle ne veut pas faire un vote de conviction qui «éparpillerait les voix pour que Macron s'en sorte une nouvelle fois». Faire barrage en votant RN ? Martine y pense. «Il pourrait y avoir une étape où voter contre Macron ce serait voter RN», se questionne-t-elle à voix haute. «Ça peut être une tactique, je me pose la question... ce ne serait pas du tout un vote de conviction», assure-t-elle.
Quid des listes jaunes ?
Parmi les Gilets jaunes que nous avons rencontrés, aucun n'a l'intention de voter pour l'une des listes jaunes présentées aux Européennes. «Elles manquent un peu de structure et il est peut-être un peu tard pour qu'elles se structurent», dit Philippe qui regrette également la multiplication des listes Gilets jaunes. «Ils auraient dû faire une seule liste, au moins pour rembourser leurs frais !», déplore-t-il. En attendant, lui votera pour le candidat qui aura une chance de l'emporter face à Emmanuel Macron.
Ce candidat, pour le moment, si l'on en croit les sondages, c'est Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national (RN). Sylvie, la cinquantaine, auxiliaire de vie, manifeste avec les GJ depuis le 17 novembre. Elle est un peu gênée d'avouer qu'elle va voter pour le RN, mais c'est une décision collective et stratégique : «On va voter pour faire basculer Macron. On s'est tous mis d'accord dans notre groupe de Gilets jaunes pour le contrer.»
Pour le RIC et le Frexit, par ici
Adrien, 30 ans, à la recherche d'un emploi, hésite à aller voter cette fois-ci. «Est-ce qu'en tant que Gilet jaune je dois respecter le gilet et rester en dehors de cette politique qui nous met dedans depuis très longtemps ou est-ce que je mets mon petit grain de sel pour empêcher Macron d'avoir trop de voix?» S'il se déplace, Adrien votera pour François Asselineau (UPR) qui veut le Frexit et le RIC.
Concernant Le Pen pour qui il a voté lors des deux dernières élections, Adrien n'ira pas la soutenir cette fois-ci. «A force de parler du plafond de verre, ils [le RN] ont réussi à le créer». En plus, Adrien affirme avoir changé d'avis sur l'immigration. «Aujourd'hui, je pense qu'il faut aider les pays d'origine de ces gens pour qu'ils se stabilisent. Jusqu'à maintenant nous faisons des guerres pour profiter des ressources. Je crois qu'il faut régler l'immigration à la racine».
Pour Nadine, la quarantaine, la seule solution c'est le Frexit. C'est donc pour la liste portée par François Asselineau et Zamane Ziouane qu'elle mettre un bulletin. «Je vais voter UPR parce qu'il n'y a qu'une seule solution c'est de sortir de cette Europe qui n'en a rien à faire des peuples européens et qui engrange beaucoup de pauvreté et de misère sociale», nous explique cette fonctionnaire. «Les Grandes orientations de politique économique européennes (Gopé) nous amènent vers une grande précarité sociale.»
A gauche envers et contre tout
Thibault votera France insoumise car ils proposent «vraiment des changements» à ses yeux et qu'il y a «de l'écologie dans leur programme ainsi que de la justice sociale», et cela lui semble important.
Frédéric, 24 ans, travaille dans l'éducation nationale et son choix s'est porté sur la liste de Yann Brossat du parti communiste (PCF). «C'est une liste qui représente toute la diversité du peuple. Elle contient plus de 50% d'ouvriers et d'employés. Avec les Gilets jaunes, on voit de plus en plus qu'il y a un décalage entre les politiques qui sont issus de l'oligarchie et les citoyens et les travailleurs, donc mon objectifs est de faire élire des députés-ouvriers pour avoir des députés proches du peuple.»
Pour Christian Pfohl, producteur de cinéma et initiateur de la pétition «Nous ne sommes pas dupes», un appel d'artistes en faveur des Gilets jaunes, le débat est actuellement entre voter et ne pas voter. «Je pense qu'il y a un besoin de voter pour augmenter le besoin d'électeurs, le vote blanc n'étant pas reconnu». Selon lui, voter pour n'importe qui c'est réduire la liste de Macron. Pour sa part, il voter Verts (EELV) «parce qu'il a toujours voté Verts»
A ses côtés, un autre Gilet jaune dit qu'il votera pour Lutte ouvrière (LO) car ce sont «les seuls qui défendent les salariés et les chômeurs».
Les petites listes ou rien
Nora, gardienne d'immeuble, manifeste également depuis le 17 novembre. Elle n'est pas encore fixée. Elle hésite entre Hadama Traoré et sa liste «Démocratie représentative», qui porte la voix «des plus démunis», selon elle, et une liste qui défend les animaux dont vient de lui parler un ami Gilet jaune. Les grands partis ? «Absolument pas ! c'est tous des menteurs», répond-elle. Si elle se rend bien compte que ces listes ont peu de chances de porter leurs fruits au parlement européen, Nora ne veut pas que sa voix soit perdue et fera, malgré tout, un vote de conviction.
Dans la même veine, David, 41 ans, manifeste depuis l'acte 4 avec les Gilets jaunes mais lui n'ira peut-être pas voter, car pour lui, dégager seulement Macron ne suffit pas : «Moi, je veux voter mais aucun ne me convient. Je veux dégager Macron mais je veux surtout dégager le système et les autres candidats font partie du même système. Macron nous a joué la comédie, qu'est-ce qui nous assure que les autres aussi ne jouent pas la comédie?»
Donc pour résumer, les Gilets jaunes rencontrés par nos équipes iront majoritairement voter le 26 mai. Il est certain qu'aucun d'entre eux ne votera Renaissance. Ils ne voteront pas tous pour la même liste, loin s'en faut, et chacun a une stratégie propre : votre pour une liste qui le convainc ou voter contre une autre qu'il exècre. La plupart d'entre eux veulent un changement profond dans la manière de faire de la politique. D'où peut-être l'absence du parti socialiste (PS) et des Républicains (LR) dans les intentions de vote que nous avons pu recueillir marquant un désavœu supplémentaire, s'il en fallait, pour les partis traditionnels.
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