France

Pourquoi le Frexit ne fait-il pas recette ? (ENTRETIENS)

Division des forces pro-Frexit, opinion française globalement défavorable à une sortie de la France de l'UE : le projet mené par l'UPR et les Patriotes a du plomb dans l'aile alors que Bruxelles subit des critiques de toute part. Un paradoxe ?

Après le Brexit de 2016 (la sortie du Royaume-uni de l'Union européenne votée par référendum), les partisans anti-UE de l'Hexagone pouvaient espérer une contagion par-delà la Manche. Dans une interview à la BBC, Emmanuel Macron a lui-même écarté le 21 janvier 2018 toute idée de référendum sur le sujet en France, certainement par crainte de voir un résultat similaire. «Si la France avait tenu un référendum, le résultat aurait peut-être été le même», déclarait-il.

Pourtant, sondage après sondage depuis un an, les deux principaux hommes politiques pro-Frexit, François Asselineau pour l'UPR et Florian Philippot pour les Patriotes, pataugent dans les intentions de vote. Alors que ces deux partis mènent campagne pour une sortie de la France de l'UE, le premier voit son estimation à 2,5% des suffrages, le second à 1,5%, selon la dernière enquête IFOP-Fiducial du 8 mai.

Les deux formations ne semblent pas profiter d'une opinion générale plutôt critique vis-à-vis de Bruxelles. A croire l'institut BVA du 26 mars, 43% des Français ont en effet une opinion «mauvaise» sur l'UE et 54% estiment même que la construction de celle-ci est «artificielle». Les Français sont également «méfiants» à l'égard de l'Union européenne, comme l'analyse le site spécialisé dans les questions européennes, Toute l'Europe, à travers un sondage TNS de novembre 2018. Les partis historiquement les plus europhiles, à savoir Europe-Ecologie Les Verts, les centristes autour de Nathalie Loiseau, voire Les Républicains, apportent eux-mêmes des critiques sur l'état actuel de l'UE.

On est dans l’avion Union européenne qui est en train de se crasher

Le vote français lors du référendum de 2005, défavorable à 54,67% à la construction européenne de par son «non» au projet de «traité établissant une constitution pour l'Europe», aurait pu être aussi, près de 15 ans plus tard, une solide base électorale. Pourtant, le Frexit ne trouve preneur.

Le Frexit fait-il peur aux Français ?

Est-ce parce qu'il est vu comme un projet trop radical pour les Français ? La France reste la troisième puissance économique européenne (derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni) et elle a mieux absorbé la crise de 2008 en comparaison avec ses voisins portugais, espagnols ou italiens, où la pauvreté a explosé en quelques années. Sortir de l'UE serait possiblement vu par les Français comme une menace sur leur situation comparativement plus enviable, notamment financière. Une explication de la peur d'un saut dans le vide sans parachute que pourrait représenter le Frexit ? Florian Philippot, ex-FN et fondateur des Patriotes, considère au contraire «que la sortie de la France de l’Union européenne, c’est le parachute». «Aujourd’hui on est dans l’avion Union européenne qui est en train de se crasher», prolonge la tête de liste aux élections européennes du 26 mai.

«Que faites-vous dans ce cas-là ?», poursuit-il, en argumentant : «Vous prenez le parachute même si vous n’avez jamais fait de parachute de votre vie […] C’est votre seule chance de survie […] Là on va au crash démocratique – il n’y a plus de démocratie dans l’Union européenne, au crash social, au crash économique, au crash sur les services publics, au crash en matière d’immigration. Il faut prendre le parachute et trouver une capacité de puissance publique et une capacité de démocratie. C’est tout ce qu’offre l’Etat-nation, c’est-à-dire tout ce qu’offre la sortie de la France de l’Union européenne.»

Même son de cloche au sein de l'UPR. Le responsable national de l'UPR pour l'Economie, Charles-Henri Gallois, voit dans le Frexit, une «idée de libération». Si la mayonnaise Frexit ne prend pas, c'est davantage dû, selon lui, à «l’atmosphère médiatique en France». «Grosso modo du berceau à la tombe on vous explique que l’UE c’est formidable», s'offusque le conseiller économique du parti. Un matraquage intellectuel que Charles-Henri Gallois constate lorsqu'il observe les justifications de la majorité des Français pro-UE pour promouvoir leur vision de l'Europe. Il juge de fait que ceux-ci tiennent des arguments «irrationnels», comme «l'Europe c'est la paix». «Alors que cette paix n’a strictement rien à voir avec l’UE mais avec la dissuasion nucléaire des pays développés. On n’est pas dans quelque chose de rationnel mais dans quelque chose de religieux et de croyances», étaye-t-il.

Les souverainistes sont faibles de leur manque de réflexion

Charles-Henri Gallois note en outre que l'Angleterre est plus ouverte sur le sujet européen avec, lors du référendum pour ou contre le Brexit en 2016, «un bon équilibre au sein des médias», entre ceux favorables et ceux opposés au Brexit. L'UPR est sceptique quant à une pareille honnêteté médiatique dans l'Hexagone. «Si demain en France vous aviez le même référendum, il y aurait 100% des médias, qui seraient pour le maintien», appuie Charles-Henri Gallois. «On est donc face à une propagande intense de 60 ans d’âge qui sévit en France et il faut donc lutter contre cela», ajoute le cadre de l'UPR qui se scandalise du peu de médiatisation de l'UPR et de son leader François Asselineau.

Le Frexit fait-il aussi peur aux souverainistes ?

Si Florian Philippot estime également que la pédagogie est nécessaire pour développer l'idée du Frexit, il pointe du doigt la responsabilité des partis, parfois décrits comme souverainistes. Ceux-ci auraient un problème «profond de conviction et de doctrine». Selon lui, «les souverainistes sont faibles de leur manque de réflexion» en n'assumant pas leur position. Ils seront «audibles s’ils disent des choses vraies et percutantes», prévient-il en critiquant les eurocritiques qui promettraient, dans un «discours mensonger», que l'Europe pourrait être réformée de l'intérieur : «Si les souverainistes se fourvoient pour des raisons sondagières ou électoralistes, ils n’auront jamais aucune chance d’arriver au pouvoir. Et Macron ou ses sbires gagneront à tous les coups.»

D'après Florian Philippot, les souverainistes font d'ailleurs l'erreur de se fier trop souvent aux sondages pour adapter leur programme politique, comme par exemple leur réticence sur la sortie de l'euro : «C'est La France insoumise, Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen. C'est presque pitoyable. C'est un manque de courage. C'est presque honteux devant les défis de l'histoire, devant la gravité de la crise qui frappe la France. C'est honteux de réagir comme cela aujourd'hui.»  «Même si c'est difficile, même s'il faut convaincre les Français, même s'il faut prendre son bâton de pèlerin, il faut garder la vérité de ce qui est la réalité, c'est à dire qu'on ne peut pas s'en sortir avec l'euro et l'Union européenne», insiste-t-il.

Les derniers sondages sont effectivement peu favorables aux idées de Frexit. Celui de l'Ifop du 7 mai montre que 77% des Français se déclarent favorables au maintien de la France dans l’Union européenne, 23% défavorables. Il conforte celui du 6 février 2019, toujours de l'Ifop où il est affirmé que 60% s’opposent «à suivre leur voisin britannique sur le chemin d’une sortie de l’Union européenne».

Toutefois, le Frexit peut aussi souffrir d'un problème de visibilité, lié aux forces politiques elles-mêmes. Tant Les Patriotes que l'UPR ont fait du Frexit l’étendard de la bataille européenne... mais les deux mouvements s'opposent avec virulence.

Les Frexiters divisés, Les Patriotes et l'UPR embrouillés

Florian Philippot assure de son côté avoir tenté de faire liste commune avec l'UPR et «de faire une liste 50% UPR et 50% Patriotes». L'UPR, pour sa part, conteste avoir reçu une telle proposition : «La seule chose qui compte pour lui est de garder son mandat de député européen, avec la protection et la confortable rémunération qui vont avec.», peut-on lire dans un communiqué de presse du parti.

Le 16 avril, l'ex-vice président du Front national déclarait déjà qu'il «n'a eu de cesse d'essayer de parler à François Asselineau» mais que ce dernier ne voulait pas d'une entente, et serait «extrêmement fermé».

«Je ne peux pas le forcer», regrette-t-il. L'un des bras droit de François Asselineau, Charles-Henri Gallois, assume qu'une union avec Florian Philippot poserait problème sur plusieurs points. «Florian Philippot ne propose pas la sortie de l’Otan», débute le trésorier de l'UPR. Dans une interview publiée le 9 mai sur Marianne, le chef des Patriotes a pourtant bel et bien assuré qu'il souhaitait une sortie «à terme» de l'alliance militaire transatlantique.

L’UPR, cela fait 12 ans qu’elle prend soin d’être hors du clivage gauche droite. Là, vous avez quelqu’un qui a été six ans vice-président du Front national

Pour Charles-Henri Gallois, le principal problème reste malgré tout l'étiquette d'extrême droite collée sur le parti lancé par l'ancien bras droit de Marine Le Pen, rendant quasi impossible pour l'UPR «une alliance avec un seul parti qui est composé à peu près de 90% d’ex-FN». «L’UPR, cela fait 12 ans qu’elle prend soin d’être hors du clivage gauche droite. Là, vous avez quelqu’un qui a été six ans vice-président du Front national et 90% des membres des Patriotes sont des ex-FN. Vous pouvez décréter que vous êtes au delà du clivage gauche-droite, mais il faut quand même une certaine légitimité.», note-t-il.

«Il est évident que si vous faites une alliance avec un parti considéré comme d’extrême droite, vous déportez complètement le mouvement de ce côté-là», complète-t-il.

Charles-Henri Gallois donne par ailleurs pour justification la classification établie par le ministère de l'Intérieur. Beauveau a en effet étiqueté les candidats Les Patriotes aux législatives partielles de 2018 comme d'extrême droite, à l'instar de la candidate Sophie Montel sur le territoire de Belfort : «Le ministère de l'Intérieur n’attribue pas des étiquettes comme cela à la va-vite. Il analyse le programme et à la lecture de notre programme, il nous a classé en liste divers parce qu’il reconnaissait que notre programme était en dehors du clivage gauche-droite. Le ministère de l’Intérieur a en revanche donné l'étiquette d'extrême droite aux Patriotes.»

Il reconnaît toutefois que l'UPR a bel et bien proposé un rapprochement avec Florian Philippot... lorsque ce dernier a décidé de quitter le Front national le 21 septembre 2017. «François Asselineau a tendu la main à l’époque, en lui disant qu’on était ouvert à accueillir des individus de tout bord à l’UPR.» Mais le parti a semble-t-il été vexé à l'époque par l'attitude de Florian Philippot : «A l’époque, non seulement, il n’a pas voulu discuter, mais il a aussi totalement ignoré l’UPR. Et sur tous les plateaux de télévision, sur lesquels il était invité, il claironnait en disant qu’il était le seul à vouloir le Frexit : une sorte d’OPA hostile.»

Les relations sont actuellement au plus bas entre les deux formations, l'UPR reprochant également à l'eurodéputé d'avoir récemment tenté une alliance avec Debout la France, un parti ne partageant pas l'idée d'une sortie de l'UE.

[En 2017, Florian Philippot] claironnait en disant qu’il était le seul à vouloir le Frexit : une sorte d’OPA hostile

Ces querelles ne font probablement pas une bonne publicité pour le Frexit. Cependant, Charles-Henri Gallois reste positif et persuadé que «le temps joue» en leur faveur. «Vous savez, l’UPR se développe énormément sur internet et de plus en plus de Français s’informent par cet intermédiaire, au détriment des médias traditionnels», se rassure-t-il. Sans aucun doute, les militants UPR monopolisent les pages commentaires de certains sites et font montre d'un activisme certain sur les réseaux sociaux. «On a cette force de frappe sur internet et cela aurait été évidemment accéléré si l'UPR passait dans les grands médias afin de toucher un autre public, notamment un public plus âgé.», déplore le conseiller économique de François Asselineau.

Si le Frexit semble ne pas encore toucher un public majoritaire, ses soutiens gardent en tête un point de référence marquant dans l'histoire politique française : le référendum de 2005, le dernier en date. A l'époque, si les sondages, à deux mois du scrutin, donnaient une large victoire en faveur de la ratification du traité constitutionnel, il n'a fallu que quelques semaines pour que l'opinion bascule et rejette le projet européen.

Bastien Gouly

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