«La seule liste capable de battre celle d'Emmanuel Macron, c'est la nôtre» : sortis de la bouche de Marine Le Pen, ces mots n'ont certes pas de quoi surprendre. Et pourtant, cette déclaration, faite ce 27 avril à l'AFP par la présidente du Rassemblement national (RN) en marge d'un déplacement dans son fief de Hénin-Beaumont, alors que les derniers sondages donnent son parti au coude-à-coude avec La République en marche (LREM), révèle le caractère délicat de la nouvelle position dans laquelle la formation politique se trouve depuis le début quinquennat d'Emmanuel Macron.
Après avoir longtemps fait figure d'outsider susceptible de renverser la table, le parti de Marine Le Pen s'est relativement dédiabolisé aux yeux des médias, a su se dépersonnaliser en promouvant de nouveaux visages, comme celui du jeune Jordan Bardella, sa tête de liste pour les européennes, et est parvenu à s'implanter localement au fil des dernières élections municipales, régionales et départementales. Le RN fait désormais partie intégrante de la vie politique française, si bien que sa présence quasi systématique en tête des intentions de vote ne surprend plus personne.
Le RN peut donc se montrer confiant. Il se trouve néanmoins confronté aux difficultés inhérentes à la nouvelle position qu'il occupe, à commencer par la banalisation de son discours, qui fait planer sur lui le risque d'une concurrence dans la radicalité. Jadis unique pourfendeur de l'Union européenne, le mouvement a renoncé à promouvoir la sortie de l'euro et le Brexit. François Asselineau ou Florian Philippot ne manquent pas de souligner cet abandon, profitant de l'occasion pour se présenter comme les uniques véritables opposants à Bruxelles.
En outre, s'ils ne proposent pas de sortie de l'UE, la France insoumise, le Parti communiste français ou encore Debout la France défendent des positions extrêmement critiques à l'égard de la politique et des institutions de l'UE. Cette situation inédite, dans laquelle au moins 5 des 12 principaux candidats aux européennes affichent des positions eurosceptiques ou anti-UE, ne permet assurément plus au RN de se démarquer par sa seule hostilité à Bruxelles, comme il le faisait encore il y a quelques années.
Marine Le Pen redoute-t-elle dès lors de se faire déborder sur son aile souverainiste ou de voir son électorat se lasser ? «L'enjeu des européennes, c'est de mobiliser nos électeurs», concède la présidente du RN. Lorsqu'elle juge nécessaire de rappeler que son parti est le seul capable de s'opposer à Emmanuel Macron, son discours prend des airs d'appels au vote utile face à une éventuelle dispersion des voix.
La lente transformation du RN
La stratégie du parti a d'ailleurs sensiblement évolué. Lors des dernières élections européennes de 2014, les attaques contre une UE jugée antidémocratique suffisaient à lui garantir un large électorat contestataire – le RN était alors arrivé en tête avec près de 25% des voix. Désormais, n'ayant plus le monopole de l'euroscepticisme, il concentre ses attaques sur le chef de l'Etat et veut faire du vote de mai prochain un scrutin national. Objectif ? Rassembler «ceux qui n'ont pas envie d'accorder une victoire à Emmanuel Macron, victoire sur laquelle il surferait pour accélérer une politique qui est aujourd'hui très durement ressentie pas les Français», estime Marine Le Pen.
Mais s'il réserve à l'Hexagone sa rhétorique de campagne, le RN, en coulisses, s'active à l'échelle européenne. Ainsi, Marine Le Pen met en avant ses discussions qu'elle assure fructueuses avec le Vlaams Belang en Belgique, Matteo Salvini en Italie, ou une nouvelle formation politique prônant le «Tchexit» en République tchèque. Récemment encore, elle rencontrait le président du Parti populaire danois à Copenhague, s'enthousiasmant : «Au Danemark, ils sont actuellement au gouvernement et ils vont nous rejoindre dans le cadre du grand groupe qu'on veut constituer.» En réalité, le parti danois en question soutient la coalition au pouvoir mais n'y siège pas. Une légère imprécision qui révèle toutefois le souci qu'a la présidente du RN de rassurer quant à un éventuel isolement de son parti et de soigner la notabilisation au moins apparente de sa formation politique.
Ces considérations d'alliance, encore étrangères à l'ex-FN il y a encore quelques années, sont un signe supplémentaire indiquant que le parti joue désormais dans la cour des grands et doit donc composer avec les nouveaux défis qui s'imposent à lui, à l'échelle nationale mais également européenne. Or, pour l'heure, l'hypothèse d'une «union des droites» en France reste une chimère et les pourparlers européens de Marine Le Pen en vue d'un groupe au Parlement de Strasbourg peinent à aboutir.
Le RN n'est plus le challenger dont l’irrésistible ascension fait frissonner les grands partis, mais il ne remplit pas encore toutes les conditions qui feraient de lui un vrai parti d'establishment comme les autres. Au milieu du gué, il n'a plus le choix s'il veut continuer sa transformation : il lui faut battre LREM aux prochaines élections européennes. «Les sondages, même s'il ne faut pas avoir les yeux braqués dessus, démontrent quand même une très belle dynamique, donc nous allons continuer, et peut-être même redoubler d'efforts dans le mois qui nous sépare des élections», se réjouit Marine Le Pen.
Si LREM devait arriver devant le RN le 26 mai prochain, tout ne serait certes pas perdu pour ce dernier, mais il deviendra alors manifeste que sa stratégie s'essouffle et qu'il ne parvient pas réellement à passer à l'échelon supérieur. Après avoir échoué à capter les dividendes électoraux du mouvement des Gilets jaunes, et alors que la mouvance identitaire se montre plus active que jamais sur les réseaux sociaux et sur le terrain, non sans afficher sa préférence pour Marion Maréchal, le RN se verra confronté à une difficulté de taille. Pendant ce temps, Emmanuel Macron approchera de la mi-mandat, et l'horizon de la présidentielle de 2022 commencera déjà d'apparaître au loin.
Hadrien Galassier