France

«Vous avez fait du peuple un ennemi de l’Etat» : le philosophe Lordon décline l'invitation de Macron

Pour clore le Grand débat, deux mois après son lancement, Emmanuel Macron a invité des intellectuels à se joindre à lui lors d'une soirée à l'Elysée. Dans une lettre ouverte, le philosophe Frédéric Lordon a expliqué avoir décliné l'invitation.

Emmanuel Macron a échangé, jusque tard dans la nuit du 18 au 19 mars, pendant plus de huit heures, avec les 64 intellectuels qui ont accepté son invitation pour la onzième séance à laquelle il a participé en personne depuis le début du grand débat national. La soirée était organisée en partenariat avec la radio France Culture.

Une rencontre qu'a toutefois boudée un des invités du chef de l'Etat : le philosophe Frédéric Lordon. Celui-ci a défendu sa position dans une lettre ouverte publiée sur l'espace des blogs de Mediapart le 18 mars. L'intellectuel avait profité de l’événement «Le Grand Débarras» organisé le 14 mars à la Bourse du travail de Paris, pour lire sa lettre devant un auditoire pour le moins gaiement captivé.

«Vous comprendrez que si c’est pour venir faire tapisserie le petit doigt en l’air au milieu des pitres façon BHL [...] je préférerais avoir piscine», commence ainsi l'universitaire de gauche.

Vous et vos sbires ministériels venus de la start-up nation [...] vous détruisez le langage

Acerbe, le philosophe n'épargne le locataire de l'Elysée à aucun moment. Déplorant les codes de langage d'un grand débat qu'il estime orwellien, Frédéric Lordon accuse l'exécutif  de mentir en permanence. «Vous et vos sbires ministériels venus de la start-up nation [...] vous détruisez le langage» tonne-t-il avant d'afficher son indignation sur la rhétorique gouvernementale utilisée pour justifier de récentes réformes.

«Quand madame Buzyn [ministre de la Santé] dit qu’elle supprime des lits pour améliorer la qualité des soins ; quand madame Pénicaud [ministre du travail] dit que le démantèlement du code du travail étend les garanties des salariés [...] quand vous-même présentez la loi sur la fake news comme un progrès de la liberté de la presse», s'indigne le philosophe.

Vous avez fait du peuple un ennemi de l’État

Rappelant les commentaires de la presse internationale ou encore ceux de l'ONU sur le maintien de l'ordre en France dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, Frédéric Lordon dénonce la responsabilité du chef de l'Etat dans le climat de violence actuel : «Vous avez fait du peuple un ennemi de l'Etat», regrette-t-il.

Le philosophe en arrive à un constat peu rassurant pour les membres de l'exécutif qu'il qualifie de «démolisseurs». C'est alors, qu'après avoir évoqué les risques d'un retour de bâton, le philosophe conclut : «Il reste une solution simple, logique, et qui préserve l’intégrité de tous : monsieur Macron, il faut partir. Monsieur Macron, rendez les clés.»

Huit heures de discussion

Diffusée en direct sur les réseaux sociaux, la rencontre entre le chef de l'Etat et les intellectuels ayant répondu présents, a duré près de huit heures, au cours desquelles ont été abordées de nombreuses thématiques, du domaine sécuritaire à l'environnement, en passant par la culture.

Aujourd'hui, on a des gens qui ne savent plus pourquoi ils sont dehors, sauf [pour] détruire

S'adressant à ses interlocuteurs, le chef de l'Etat n'a pas manqué de condamner les récents rassemblements de Gilets jaunes dans la capitale. «On ne peut pas s'arrêter à la tyrannie d'une irréductible minorité», a-t-il déclaré, ajoutant plus tard au sujet des casseurs : «Aujourd'hui, on a des gens qui ne savent plus pourquoi ils sont dehors, sauf [pour] détruire.»

Le président de la République s'est par ailleurs appliqué à défendre ses réformes, notamment celle de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui aurait été exigée par des grands patrons du CAC40 lors d’une réunion secrète à l'Elysée, selon une information de France info. «On est rentré dans ce débat sur une taxe que payaient trop certains. Je ne crois pas qu'on s'en sorte en en faisant payer d'autres», a-t-il estimé.

Après avoir privilégié la sourde oreille face à l'émergence du mouvement des Gilets jaunes, Emmanuel Macron avait affiché, à travers le Grand débat national annoncé lors de ses vœux du Nouvel an, sa volonté de «permettre à toutes et tous de débattre de questions essentielles». Toutefois, A l'occasion d'une réunion de groupe LREM à l'Assemblée nationale le 5 mars avec la presse, le Premier ministre concédait : «Le risque déceptif est important.» Quel pessimisme...

Fabien Rives

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