France

Quatre ans après l'attentat de Charlie Hebdo, où en est la menace djihadiste en France ?

Si différents signaux laissaient envisager une accalmie sur le front du terrorisme islamiste en France, décembre 2018 a été riche en rebondissements ; alors que la France honore les morts de Charlie Hebdo, la menace semble à nouveau bien réelle.

Les leçons nécessaires ont-elles été tirées après la vague d'attentats islamistes qui ont ensanglanté le territoire français au cours de la dernière décennie ? Malgré les attaques de Trèbes le 23 mars, puis celle du quartier de l'Opéra à Paris le 12 mai, le djihadisme armé, qui était considéré en décrue à la fin de l'année 2018, après une montée en puissance consécutive à l'attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, a finalement semblé renaître de ses cendres au mois de décembre : à Strasbourg, le 11 décembre, Chérif Chekatt a tué cinq personnes dans le quartier du marché de Noël, avant d'être abattu le 13 décembre.

Ensuite, le djihadiste Peter Cherif, alias Abou Hamza, a été interpellé à Djibouti le 16 décembre. Il était soupçonné depuis au moins 2017 de participer au djihad armé au sein d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) au Yémen. Ce proche des frères Kouachi, auteurs de l'attentat de Charlie Hebdo, issu comme eux de la filière des Buttes-Chaumont, était en fuite depuis 2011 après s'être échappé de prison en Irak.

Enfin, le visage français de Daesh, Fabien Clain, alias Omar, a été identifié sur un enregistrement sonore publié le 28 décembre 2018, intitulé «Est-ce que tu réalises ?», dans lequel cet autre djihadiste bien connu des services faisait des allusions voilées au mouvement des Gilets jaunes et rendait hommage à des femmes djihadistes supposément tuées à l'occasion de frappes aériennes en Syrie qu'il attribuait à l'Hexagone. D'après Jean-Charles Brisard, président du Centre d'analyse du terrorisme (CAT), Fabien Clain, 40 ans, serait retranché à Hajin, en Syrie, dans l'une des dernières enclaves de Daesh, et exhortait dans cet enregistrement les sympathisants de Daesh à «venger ceux qui meurent» dans les frappes de la coalition arabo-occidentale menées par Washington. L'islamiste appelait également à «faire trembler la terre des injustes et que la guerre frappe à leur porte».

L'auteur et chercheur Romain Caillet a pour sa part estimé que les allusions au mouvement des Gilets jaunes permettaient de dater l'enregistrement.

Le mois de décembre 2018 a donc partiellement démenti les impressions qui pointaient à l'automne. Le 17 octobre 2018 encore, le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT), Jean-Pierre Bosser, livrant ses réflexions sur l'avenir du plan Sentinelle (dit Sentinelle III) devant les sénateurs réunis pour la commission des Affaires étrangères, Défense et Forces armées, laissait entendre que la menace terroriste était moindre sur le territoire national : «Je m'interroge, un an après la mise en œuvre de ce Sentinelle rénové, sur le visage que pourrait prendre Sentinelle III [...] parce que la menace diminue et si les services de renseignement confirment cette situation, je pense que le moment est venu de ne pas inscrire Sentinelle dans une sorte de plan "Vigipirate" permanent.»

La position du CEMAT était ensuite partiellement confortée par l'ancien patron des renseignements et nouveau bras droit de Christophe Castaner, Laurent Nunez, qui dans une interview publiée par Le Journal du dimanche du 11 novembre, livrait le nombre de «projets d'attentats islamistes» déjoués depuis novembre 2013 : 55, «dont six cette année». Ce chiffre semblait lui aussi confirmer une décrue du phénomène islamiste. Le nouveau secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur attribuait en partie cette respiration à la croissance des moyens mis en place : «Nous sommes mieux armés qu’hier. Juridiquement et budgétairement.»

Mais ensuite, les meurtres de Strasbourg le 11 décembre, suivis de l'arrestation de Peter Cherif puis de l'enregistrement attribué à Fabien Clain, ont semblé renvoyer la France au commencement de la décennie 2010... Voire même avant : lorsque les frères Clain, Fabien et Jean-Michel, constituaient le réseau d'Artigat qui fut le premier à envoyer des djihadistes en Irak en 2007, selon l'analyse de Romain Caillet dans son ouvrage intitulé Le Combat vous a été prescrit (en collaboration avec Pierre Puchot).

La France a appris de ses erreurs et est mieux armée face au djihadisme islamiste aujourd'hui : les services de renseignement embauchent plus de personnel chaque année et la réaction des forces de l'ordre est plus coordonnée qu'auparavant face aux délinquants radicalisés qui commettent des exactions terroristes, tel que Chérif Chekatt.

Ce qu'on refuse de faire, c'est de travailler en prévention, sur l'idéologie qui est servie par ce terrorisme

Cependant, sur le fond, certains analystes estiment que la République française ne s'est pas encore attaquée au cœur du problème. Interrogé par RT France, l'ancien cadre du service Action de la DGSE, Gilles Sacaze, estime qu'un travail nécessaire n'a pas encore été entrepris sur le territoire français : «Ce qu'on refuse de faire, c'est de travailler en prévention, sur l'idéologie qui est servie par ce terrorisme ; c'est de fermer des lieux de radicalisation, des mosquées qui sont ouvertement hostiles à la France, à l'Occident et à la République [...] ; [de] déchoir de leur nationalité les personnes qui ont la double-nationalité et de renvoyer chez eux ces gens qui participent à la radicalisation.»

Ce 7 janvier, date anniversaire de l'attentat de Charlie Hebdo, Emmanuel Macron rencontrait le Conseil français du culte musulman (CFCM). Selon Ahmet Ogras, le président du CFCM, interrogé par Libération, «il s’agit officiellement de faire un tour d’horizon des dossiers de l’islam de France. Mais ce qui est au cœur des discussions, c’est la question de la loi de 1905.»

Selon le journal quotidien, la «consolidation de la loi 1905», annoncée au début du mois de novembre 2018 par des fuites dans la presse, vise notamment «à intégrer davantage la religion musulmane dans le dispositif de la loi de 1905.» Or, selon l'Elysée, cité par l'AFP, la démarche tournerait autour de cinq axes, parmi lesquels : «Lutter contre les discours fondamentalistes et extrémistes». Sur ce dernier point, il s'agit, selon les propos du vice-président du CFCM Anouar Kbibech, qui s'exprimait à la sortie de la rencontre avec Emmanuel Macron, de «prévenir et sanctionner les discours djihadistes, dans tel ou tel lieu de culte», et de «conforter les associations gestionnaires de mosquées [...] pour éviter des actions de déstabilisation de telle ou telle tendance».

L'inquiétude des analystes tels que Gilles Sacaze a-t-elle finalement été entendue ? Selon le journal Libération, ce «dossier pourrait vite devenir explosif». Pour sa part, l'exécutif, confronté à la question de l'islam, garde peut-être à l'esprit un chiffre datant du 28 septembre 2018 : 20 459 personnes étaient alors signalées dans le fichier pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Parmi elles, 3 391 étaient de nationalité étrangère et 619 avaient une double nationalité, selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice sollicité par le député Les Républicains des Alpes-Maritimes Eric Ciotti. L'élu niçois plaidait à cette occasion pour l’expulsion de tous les étrangers fichés au FSPRT et précisait : «Ces chiffres témoignent du niveau élevé de la menace terroriste, qui est permanente, protéiforme et évolutive.»

Antoine Boitel

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