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Attentat de Charlie Hebdo : 4 ans après, la menace pèse toujours sur les journalistes rescapés

Le 7 janvier 2015, deux terroristes islamistes entraient dans les locaux de Charlie Hebdo, assassinant 11 personnes dont huit membres de la rédaction. Quatre ans plus tard, les journalistes rescapés restent sous haute protection.

Il y a quatre ans jour pour jour, la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo était attaquée par un commando djihadiste composé des frères Chérif et Saïd Kouachi : 11 personnes étaient assassinées à la kalachnikov dans les locaux de l'hebdomadaire. Huit membres de la rédaction – les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, le correcteur Mustapha Ourrad ainsi que l'économiste Bernard Maris – perdaient la vie.

Nous avons vengé le prophète Mohammed !

Le policier Franck Brinsolaro, qui assurait la protection de Charb, Michel Renaud, cofondateur du festival Rendez-vous du carnet de voyage invité pour l'occasion, et Frédéric Boisseau, un agent de la société Sodexo, chargée de la maintenance du bâtiment, étaient également abattus dans l'enceinte du bâtiment. Dans leur fuite, un des deux terroristes tuait un gardien de la paix, Ahmed Merabet, sur le boulevard Richard-Lenoir.

L'enquête sur l’attentat des frères Kouachi n'est toujours pas terminée, comme en témoigne l'arrestation récente du djihadiste Peter Cherif à Djibouti, dans l'attente de son extradition vers la France.

A l'époque, l'attentat avait provoqué une vague d'indignation internationale et le mot-dièse #jesuischarlie avait essaimé, devenant à l'époque le plus partagé de l'histoire du réseau social. En hommage aux victimes, quatre millions de personnes défilaient en France, tandis que de nombreux chefs d'Etat étrangers se réunissaient dans les rues de Paris.

Le tort du journal satirique, aux yeux des assaillants ? Avoir «insulté le prophète», selon les mots prononcés par l'un des deux terroristes devant les membres de la rédaction. «Nous avons vengé le prophète Mohammed !», s'écriera également l’un des frères Kouachi en quittant les locaux.

Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo

Les deux islamistes armés avaient pour cette raison pris le soin de tuer en premier le dessinateur Charb, alors sous protection policière depuis 2012 après avoir reçu l'année précédente des menaces de mort suite à la parution d'un numéro spécial titré Charia Hebdo critiquant la victoire du parti islamiste Ennahdha en Tunisie.

Les locaux du journal avaient par ailleurs été incendiés par un jet de cocktail Molotov. Au lendemain de l'incendie, des commentateurs médiatiques – comme Houria Bouteldja et Rokhaya Diallo – avaient à l'époque signé une tribune intitulée «Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo».

Toujours en 2012, des caricatures du prophète Mahomet avaient été publiées – comme en 2006 – dans les pages de Charlie Hebdo. Dans un numéro hors-série, Charb racontait également la vie du prophète en bande dessinée.

Des journalistes toujours sous la menace

Le nom de Charb avait ensuite figuré en 2013 – aux côtés de dix autres personnes - dans le magazine en ligne Inspire, publié par Al-Qaïda dans la péninsule arabique, sur une liste présentée comme celle des personnalités recherchées pour «crimes contre l'islam». La représentation du prophète étant interdite dans l'islam, une bannière annonçait en-dessous de la liste : «Recherché mort ou vif pour crimes contre l’islam.» 

Un message qui n'a probablement pas échappé aux frères Kouachi qui, après avoir abattu le gardien de la paix Ahmed Merabet, s'étaient écrié : «On a tué Charlie Hebdo !» Si le journal a survécu à l'attentat, la rédaction de l'hebdomadaire a changé de visage. Et les menaces sont toujours vivaces à l'endroit de ses anciens membres, qu'ils aient ou non poursuivi leur collaboration avec le journal. Fabrice Nicolino, gravement blessé aux jambes et à l’abdomen lors de l'attaque, travaille toujours à Charlie Hebdo. Il y a quelques mois encore, il détaillait les mesures de sécurité drastiques continuant d'entourer les journalistes qui ont déménagé en septembre 2015 dans de nouveaux locaux ultra-sécurisés et situés dans un lieu tenu secret.

On peut encore se faire plomber par ces crétins

L'endroit possède également une panic room où les membres de l'hebdomadaire peuvent se réfugier en cas d'alerte. Le coût total des mesures de sécurité visant à protéger la rédaction s'élève à 1,5 million d’euros par an selon Riss, le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo. Cela ne suffit pas à empêcher les journalistes liés au journal satirique de subir de nombreuses menaces de mort. 

«On peut encore se faire plomber par ces crétins», confie ainsi Fabrice Nicolino, atteint par trois balles en janvier 2015. Le journaliste Philippe Lançon, qui a quitté la rédaction, vit toujours sous protection policière. Il a depuis reçu le prix Femina pour Le lambeau, un ouvrage dans lequel il relate sa lente reconstruction après sa grave blessure au visage. Se désolant que le slogan «Je suis Charlie» ait été galvaudé au fil du temps, il précise au quotidien Libération ce qu'il continue de signifier pour lui : se «sentir libre d’écrire et de lire ce qui [lui] chante».

Peut-on critiquer l'islam sans risque ? Charlie Hebdo s'interroge

Au cours des quatre années écoulées, d'autres dessinateurs ont arrêté de collaborer avec le journal. C'est le cas de Luz, qui avait sorti la bande dessinée Catharsis en mai 2015 avant de quitter la rédaction. Coco, qui avait ouvert la porte aux djihadistes sous la menace, travaille toujours à Charlie. Tous, anciens ou actuels salariés de l'hebdomadaire sont encore sous intense protection policière. Le directeur de la publication, Riss, confie son spleen dans les colonnes de la Montagne : «Des gens refusent de travailler avec [nous]. Parfois, ils ont peur pour leur vie. Parfois, notre ligne éditoriale ne leur convient pas…». La une commémorative des quatre ans de la tragédie transcrit le malaise qui hante la rédaction et ses anciens membres rescapés.

«Vous êtes encore là ?», s'interroge ainsi le numéro anniversaire du journal satirique. Craignant un retour des «anti-Lumières», Riss, écrit dans son édito : «Depuis quatre ans, la situation à l'égard du totalitarisme islamiste n'a fait que se dégrader. Comme la créature d'Alien qui pond ses œufs sans interruption, le blasphème a fait des petits. [...] Tout est devenu blasphématoire».

Pire, selon le patron du journal endeuillé, la situation se serait détériorée pour qui veut critiquer l'islam, car désormais, l'hostilité à l'égard des détracteurs de cette religion ne serait plus uniquement le fait «d'extrémistes religieux mais aussi d'intellectuels».

«Ce ne sont pas seulement nos histoires personnelles [qu'on oublie], c'est aussi ce qu'a signifié ce qui nous est arrivé. On a l'impression qu'on tourne le dos à ça, alors qu'à notre avis ces phénomènes de réactions rétrogrades sont toujours présents, encore plus qu'il y a 4 ou 5 ans», pointe-t-il encore.

L'islam doit se  soumettre aux lois de la République

En témoigne les multiples messages de haine et d'appels à la violence envers le journal diffusés après la publication en 2016 de propos de Riss qui affirmait : «[Les attentats de Bruxelles] sont la dernière phase d’un processus. On nous colle le nez sur les gravats de l’aéroport de Bruxelles, et pendant ce temps-là, personne ne regarde ce que raconte Tariq Ramadan [...] qui vient défendre l’islam, mais qui vient surtout dissuader toute critique à l’égard de l’islam.»

Un an plus tard, le journal consacrait sa une à l'islamologue, accusé d'agressions sexuelles, établissant un lien entre celles-ci et l'islam. Le dessin représentant Tariq Ramadan en érection avec la légende «Je suis le 6e pilier de l'islam» a de nouveau mis le journal à l'épreuve de nombreuses menaces de mort. La sécurité de son équipe était renforcée dans la foulée.

La une de la semaine suivante, dénonçant une éventuelle complaisance entre Edwy Plenel et Tariq Ramadan, amenait le fondateur de Mediapart à accuser le journal, affirmant : «La une de Charlie Hebdo fait partie d'une campagne générale de guerre aux musulmans.» Cette énième polémique naissant, Riss accusait Edwy Plenel de «condamne[r] à mort une deuxième fois Charlie Hebdo».

L'«islamophobie», nouvelle arme des anti-Charlie ?

En 2018, la problématique reste sensible. Et pour preuve, en déclarant en décembre 2018 : «L'islam doit se soumettre aux lois de la République», l'ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui a vu sa sécurité de nouveau renforcée.

Celle qui considère que «le voile fait partie du package idéologique qui mène au terrorisme» reçoit encore aujourd'hui des centaines de tweets de menaces de mort, d'appels à la violence et au viol ainsi que de nombreuses insultes de la part d'intégristes musulmans. Alors que de nombreux intellectuels musulmans (sans pour autant défendre ceux qui la menacent), ont taxé la femme d'«islamophobe», elle n'a reçu que peu de soutien de ceux qui étaient «Charlie» il y a quatre ans. La Coordination contre le Racisme et l'islamophobie a même porté plainte contre Zineb El Rhazoui.

Il y a quelques jours, elle s'est fait vilipender sur RMC par la chroniqueuse Rose Améziane, qui soutenait face à elle qu'on pouvait «critiquer l’islam en France» sans risque de représailles et que cette religion se soumettait, comme les autres, à l'humour. Elle invitait alors Zineb El Rhazoui à «sortir un peu» de chez elle pour en faire l'expérience. Un conseil difficilement applicable pour celle qui serait aujourd'hui l'une des femmes les plus protégées de France.

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