Daesh serait en pleine reconstruction et gagnerait du terrain. C'est la thèse défendue par de nombreux experts qui jugent l'organisation terroriste plus forte que jamais, même si elle n'a plus d'existence physique.
Si l’Etat islamique (EI) a été délogé des territoires conquis en Irak ou en Syrie, et qui constituaient son califat autoproclamé, il reste actif dans une dernière poche en Syrie, de laquelle ses combattants n'ont pas encore été chassés. Toutefois, aujourd’hui, l’heure n’est plus à la conquête géographique mais bien à une restructuration et à une recapitalisation qui lui permettrait de gagner en puissance. Cette thèse est défendue par de nombreux experts qui estiment que Daesh, préparé à la perte de ses territoires, a entamé une mue afin destinées à se convertir en organisation clandestine.
Le déploiement d'une puissante organisation clandestine
«L'EI avait anticipé sa défaite sur le champ de bataille, la perte de son califat, et s'était préparé en conséquence», a expliqué le 13 décembre, lors d'une conférence à Washington, Bruce Hoffman, professeur à l'université Georgetown. «Des centaines de combattants djihadistes ont pu fuir la Syrie, ont soudoyé des garde-frontières pour entrer en Turquie et, de là, ont disparu. Sous la surface, l'EI a toujours joué le temps long», a-t-il poursuivi.
Se préparer à une future insurrection à grande échelle, à la fois en Irak et en Syrie
Dans un rapport intitulé «La Seconde Résurgence de l'EI», Brandon Wallace et Jennifer Cafarella, de l'Institute for the Study of War (ISW), estiment que «l'EI a déjà restructuré ses opérations pour redevenir une insurrection régionale».
L'organisation djihadiste «a trouvé de nouvelles sources de revenus et a reconstruit un système de contrôle et de commandement sur ce qui lui reste de forces afin de se préparer à une future insurrection à grande échelle, à la fois en Irak et en Syrie», écrivent-ils.
Le trésor de guerre réinvesti
L'EI est parvenu à exfiltrer une partie de son trésor de guerre et l'a investi dans plusieurs pays de la région, selon l'ISW. Ce réseau de «sociétés écrans» comprendrait notamment «des vendeurs de voitures, des magasins d'électronique, des pharmacies et des bureaux de change».
Seth Jones, du Center for Strategic and International Studies (CSIS), assure à l'AFP «ne pas croire à la défaite de l'EI. Ils sont redevenus clandestins. Ils ont fait ce que doit faire toute armée face à une opposition mieux équipée, avec des forces navales et aériennes».
«Que faut-il faire dans ce cas-là?», demande-t-il. «Tu te disperses, n'opères plus en formations importantes, tu passes sous terre, tu construis ton réseau clandestin, tu commets des assassinats ciblés, tu emploies des explosifs improvisés et tu attends que l'occasion se présente».
Des combattants prêts à frapper
Des chiffres rassemblés par le CSIS montrent que, dans certaines provinces irakiennes, comme celle de Kirkouk, le nombre d'attaques attribuées à l'EI a doublé en 2018 par rapport à l'année précédente, avec une moyenne de 75 attaques par mois. Des chefs de tribu, des officiels, des policiers et des militaires isolés sont régulièrement assassinés.
Dans une interview accordée le 28 novembre à la chaîne de télévision Kurdistan 24, le leader kurde irakien Massoud Barzani a affirmé que «Daesh n'[était] pas vaincu et ne le [serait] pas aisément». «Ils étaient sur terre, maintenant ils sont sous terre», a-t-il ajouté. «Ils sont revenus dans de nombreux endroits bien plus forts qu'avant», a-t-il conclu.
Dès que la coalition cessera ses raids aériens, nous reviendrons immédiatement.
Des journalistes du New York Times sont parvenus à joindre en Syrie, via WhatsApp, un combattant de l'EI qui se fait appeler Yehya. «Croyez-vous que les Américains peuvent vaincre le califat?», demande-t-il dans l'édition du 10 décembre. «C'est une guerre d'attrition. Dès que la coalition cessera ses raids aériens, nous reviendrons immédiatement. Nous ne sommes pas vraiment partis. Nous sommes toujours en Syrie, même dans les endroits où vous croyez que nous ne sommes plus. Nos commandos-suicide sont prêts à l'action. Nos informateurs sont actifs.»
«Guerre d'attrition» ou guerre d'usure : l'expression revient dans la bouche de l'universitaire Bruce Hoffman. «Et franchement, nous sommes en train de la perdre», estime-t-il. «Il y a aujourd'hui un quart de million de combattants salafistes-djihadistes dans le monde. Quatre fois plus qu'en 2001.»
«Face à eux, nous avons remporté des succès militaires importants, mais ils ont dans leur ADN la capacité à se régénérer, à continuer d'attirer des recrues», a-t-il poursuivi. «Qui aurait pensé, juste après le 11 septembre 2001, que 17 ans plus tard nous serions toujours en train de combattre ?», a-t-il conclu.
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