Après l'annonce par le gouvernement d'une nette baisse du nombre de participants à l'acte 5 de la mobilisation des Gilets jaunes (66 000 dans toute la France, selon l'exécutif), certains commentateurs assurent aujourd'hui que le mouvement citoyen est sur le point de s’essouffler. Qu'en est-il ?
L'acte 5 et les obstacles d'une mobilisation
Si la participation à ce nouveau rassemblement des Gilets jaunes était indéniablement en baisse par rapport aux actes précédents, force est de constater que les éléments de dissuasion se sont multipliés ces dernières semaines.
Ainsi, les épisodes de violences en marge des précédentes mobilisations, qui ont pu décourager certains citoyens souhaitant manifester pacifiquement, ont également suscité la multiplication de mesures dites préventives, mises en place par la police.
De fait, le 8 décembre, lors de l'acte 4 des Gilets jaunes, 1 723 individus avaient été mis en garde à vue à travers la France. Ces interpellations avaient été accompagnées d'opérations de filtrage sur plusieurs axes routiers en direction de la capitale. A l'échelle nationale, certains coups de filets ont même été jugés excessifs, comme l'expliquait le 9 décembre Le Parisien, citant les propos de l'avocat Sahand Saber : «Les policiers ont [...] interpellé des profils qui ne correspondent en rien à celui des casseurs. Et cela [...] donne encore plus le sentiment [aux Gilets jaunes] qu’on veut les faire taire», estimait l'homme de loi alors qu'il commentait le déroulement de l'acte 4.
A Paris, des mesures strictes de restriction des transports en commun ont en outre été décidées. En vue de l'acte 5, la RATP avait annoncé la fermeture de 45 stations de métro et de RER. Quant aux stations ouvertes, le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner s'est félicité de la mise en place de «contrôles préventifs menés toute la journée dans les gares parisiennes».
Autre élément non négligeable survenu avant l'acte 5 : le très médiatisé appel à cesser le mouvement après l'attaque de Strasbourg du 11 décembre. En effet, au-delà du camp Macron, des personnalités politiques qui avaient jusqu'alors soutenu les Gilets jaunes, tout comme certains éditorialistes, ont évoqué la menace terroriste pour appeler à une interruption du mouvement citoyen.
Toulouse, Lille, Bordeaux... Des vagues jaunes bien présentes
Ces éléments n'ont néanmoins pas empêché plusieurs rassemblements en province de rencontrer un franc succès, malgré le froid hivernal, à l'image des Gilets jaunes mobilisés dans le centre-ville de Toulouse.
De nombreux Girondins ont par ailleurs investi les rues de Bordeaux.
Une marée jaune a aussi progressé dans les rues de Lille.
Des Bretons ont bravé la pluie à Brest.
Une forte mobilisation a également été constatée à Avignon.
Une fraternité qui se développe
Au-delà de l'évolution de la participation aux points officiels de ralliement desdits actes de la mobilisation des Gilets jaunes, l'action n'a cessé de se poursuivre localement, partout en France. Ainsi, se maintiennent depuis près d'un mois les fameux points de filtrage aux abords de nombreux ronds-points, péages ou encore centres commerciaux.
Et, contrairement à l'idée reçue selon laquelle le mouvement citoyen serait sur le point de s’essouffler, les exemples d'un soutien local de la population ne manquent pas.
En témoigne par exemple, comme le rapporte Le Parisien ce 15 décembre, la générosité d'automobilistes qui prennent le temps de s'arrêter sur une opération «circulation sur une voie», mise en place aux abords de Melun (Seine-et-Marne) par une trentaine de Gilets jaunes. «De la brioche, des tickets restaurant et même des pizzas» énumère le quotidien de la capitale qui explique comment les automobilistes offrent aux Gilets jaunes «de quoi affronter le froid dans de meilleures conditions».
Le mouvement a également fait naître une solidarité entre citoyens qui ne se seraient peut-être pas côtoyés naturellement dans un autre contexte. Comme l'explique par exemple la journaliste Florence Aubenas, dans son reportage Gilets jaunes : la révolte des ronds-points, réalisé après avoir été à la rencontre de nombreux Gilets jaunes sur les routes de France. A Marmande, dans le Lot-et-Garonne, le mouvement a par exemple permis à Adelie, 28 ans, de «parler à des gens auxquels elle n’aurait jamais osé adresser la parole».
«On a retrouvé la fraternité sur les rond-points», s'est félicité Martin, agriculteur de l'Indre, ce 15 décembre alors qu'il expliquait son implication en tant que Gilet jaune, au micro de RT France.
Par ailleurs, au-delà de cette fraternité entre citoyens, des esquisses de solidarité interprofessionnelle ont pu être constatées la semaine précédant l’acte 5 du mouvement citoyen. A l’image du blocage du dépôt pétrolier de Fos-sur-mer organisé par les dockers des Bouches-du-Rhône.
C'est d'ailleurs ces actions ciblées que le gouvernement semble désormais vouloir stopper. A l'issue de la manifestation du 15 décembre, Christophe Castaner a ainsi affirmé : «Les ronds-points doivent être libérés et la sécurité de tous redevenir la règle.»
Le «RIC», revendication majeure du mouvement
Enfin, du point de vue idéologique, le mouvement s'est développé depuis plusieurs semaines. Après avoir été à la rencontre de Gilets jaunes sur plusieurs ronds-points de France, Etienne Chouard, professeur d'économie et de droit, disait ceci concernant le mouvement des Gilets jaunes à l'antenne de RT France le 10 décembre : «Les humains opprimés se révoltent contre ceux qui les maltraitent.» Et le professeur marseillais de se féliciter de l'attitude adoptée par les Gilets jaunes qu'il a rencontrés : «Il n'a pas fallu une semaine pour qu'ils prennent de la hauteur par rapport à l'aspect législatif de leurs revendications [...] ils comprennent et réfléchissent aux causes de leur impuissance politique.»
De fait, lors des derniers actes de la mobilisation citoyenne et de façon plus marquée lors de son dernier épisode, on a vu fleurir pancartes et banderoles revendiquant la mise en place d'un référendum d'initiative citoyenne (RIC). Il prévoit de redonner voix au peuple dans le débat politique, «dans tous les domaines et à tous les niveaux territoriaux afin que les citoyens puissent avoir le dernier mot pour imposer leurs décisions», selon les termes d'une pétition relayée par des groupes de Gilets jaunes, qui regroupe plus de 60 000 signatures.
Nous faisons le serment de ne pas nous séparer avant d'avoir obtenu la présentation devant le peuple français par référendum du référendum d'initiative citoyenne.
Réunis à Versailles, devant la salle historique du jeu de Paume, un des hauts lieux de la Révolution française de 1789, des Gilets jaunes l'ont d'ailleurs scellée dans leur serment, tel que l'avaient fait leurs aînés, 229 ans plus tôt : «Nous faisons le serment de ne pas nous séparer avant d'avoir obtenu la présentation devant le peuple français par référendum du référendum d'initiative citoyenne (RIC), du recul des privilèges d'Etat et de la baisse des prélèvements obligatoires.»
Faiblit, faiblit pas ?
Les chiffres annoncés par le gouvernement, au sujet de la mobilisation de l'acte 5, tendent à démontrer l’affaiblissement des manifestations hebdomadaires des Gilets jaunes. Cependant, il serait prématuré de parler d'essoufflement du mouvement dans sa globalité : sur le terrain géographique où les actions locales se poursuivent jour et nuit, il semble se maintenir. Sur le plan idéologique, il évolue également, avec l'émergence d'une revendication commune d'ordre constitutionnel : le fameux RIC. Après un mois de mobilisation et cinq actes marquants, une question demeure : comment et sur quel terrain le mouvement des Gilets jaunes est-il amené à se développer ?
Fabien Rives