RT France : Vous avez récemment signé dans Le Monde une tribune allant à contre-courant des thèses formulées jusqu’ici par les écologistes. Eux font la promotion des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Or, à vous lire, un monde avec moins de gaz à effet de serre passe par le développement de l’énergie nucléaire...
François-Marie Bréon (F-M. B.) : Une chose est certaine : c’est une connerie de se forcer à fermer les centrales nucléaires à court terme. On a en France des centrales nucléaires qui fonctionnent. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – qui est une agence indépendante française – est chargée de dire si les centrales sont sûres. Elle dit justement que nos centrales sont sûres. Donc, je ne vois pas la raison pour laquelle on irait les fermer.
Dépenser des sommes absolument considérables pour fermer ces centrales nucléaires et développer des énergies renouvelables à la place, c’est vraiment de l’argent qui ne sert absolument à rien dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
C’est très bien de dépenser de l’argent pour lutter contre le changement climatique, mais il faut le dépenser de manière efficace
Je suis climatologue et persuadé que le changement climatique est quelque chose de grave. C’est très bien de dépenser de l’argent pour lutter contre le changement climatique, mais il faut le dépenser de manière efficace. Et si on veut le dépenser de manière efficace, ce n’est pas en développant des énergies renouvelables qu'on le fera. En revanche, il faut faire la promotion de l’isolation des bâtiments, des véhicules qui soient plus sobres en combustibles fossiles…
RT France : Dépenser de l'argent en France pour remplacer les centrales nucléaires par des éoliennes serait donc du gaspillage à vos yeux ?
F-M. B. : Je vais même être un peu plus sévère. Du fait de l’intermittence des énergies renouvelables (ENR) – que ce soit l'éolien ou les panneaux photovoltaïques – il y a des moments où elles produisent et d’autres moments où elles ne produisent pas. On peut compenser cette intermittence, typiquement en France, par des centrales au gaz [énergies pilotables]… Par voie de conséquence, le développement des ENR va, à mon avis, conduire en France à une augmentation des émissions de CO2. Or, on nous vend cela comme quelque chose qui va nous permettre de réduire les émissions de CO2.
RT France :Certains commentateurs prennent régulièrement le modèle de l’Allemagne pour la transition écologique et énergétique. Pour vous, clairement, l’Allemagne n’est pas le bon choix ?
F-M. B. : En Allemagne, ils ont une électricité qui est très carbonée avec une proportion de charbon importante. Si l'Allemagne développe les énergies renouvelables leur permettant de sortir du charbon, c’est une très bonne chose.
En Allemagne, on choisit de développer les énergies renouvelables non pas pour sortir du charbon mais pour sortir du nucléaire.
Sauf qu'en Allemagne, on choisit de développer les énergies renouvelables non pas pour sortir du charbon mais pour sortir du nucléaire. Pour le coup, c'est complètement neutre en carbone. D’ailleurs, les Allemands ont mis 300 milliards d’euros dans leur transition énergétique et l'effet est nul sur leurs émissions de CO2. Il s'agit donc vraiment d'une erreur à ne pas faire en France. Le cas de l’Allemagne est très différent du cas de la France, puisque la France, elle, a déjà une électricité peu carbonée.
RT France :Certains écologistes vont vous rétorquer qu’il existe un problème des déchets nucléaires en France, avec notamment une critique sur les enfouissements comme à Bure… Le nucléaire n'engendre-t-il pas une pollution ?
F-M. B. : Dans ce cas, on ne parle plus de climat. Mais discutons : est-ce que l’énergie nucléaire est quelque chose de mal dont il faut sortir au plus vite ? Concernant les déchets nucléaires, je n’ai absolument aucun problème moral avec l’idée de mettre des matières nucléaires à 500 mètres de profondeur dans un endroit bien choisi, c’est-à-dire étanche et stable géologiquement. Les périodes caractéristiques de la géologie se comptent en millions d’années. Il n'y a donc aucun souci : ce qui est stable aujourd’hui dans le sous-sol autour de Bure, là où on envisage de mettre les déchets nucléaires en France, c’est quelque chose de stable depuis 300 millions d’années. Je n’ai pas de doute que cela sera stable pendant encore au moins un million d’années.
Je trouve éthique l’idée d’avoir des déchets nucléaires qui sont bien gérés, comme c’est le cas en France aujourd’hui
D’autre part, l’argument des écologistes qui est de dire toujours: «On laisse ça aux générations futures»… Mais non ! On ne laisse pas cela aux générations futures. A partir du moment où l'on a mis les déchets en profondeur et l'on a refermé le site, on ne demande à personne de s’en occuper. Ce n’est donc pas quelque chose que l’on laisse aux générations futures. A contrario, d’ailleurs, des écologistes, qui eux affichent pour volonté «de laisser les déchets en surface, là où on peut les surveiller». Si on les laisse en surface justement, on demande aux générations futures de s’en occuper. Je ne veux pas de cela.
Je trouve éthique l’idée d’avoir des déchets nucléaires qui sont bien gérés, comme c’est le cas en France aujourd’hui, contrairement à tout un tas d’autres déchets qui viennent par exemple de l’industrie chimique. J’aimerais bien que les déchets qui viennent de l’industrie chimique soient aussi bien traités que ceux venant de l’énergie nucléaire.
RT France :Il n'y a donc pas de problème avec le nucléaire en France ?
F-M. B. : Pour la question des déchets, je ne vois vraiment pas où est le problème. L'autre argument qui est invoqué contre le nucléaire est la question des accidents. Il s'agit, pour le coup, de quelque chose pouvant être discuté. Des accidents il y en a eu, il est impossible de démontrer qu’il n’y en aura pas.
Donc, je peux comprendre qu’il y ait des gens qui s’opposent à l’énergie nucléaire à cause du risque d'accident. Sur cette question, c’est toujours une histoire d’analyse entre les risques et les bénéfices qu’on en retire. Il me semble que, de ce côté-là, le nucléaire présente beaucoup plus d’avantages que de risques. Typiquement, on pourrait parler des barrages hydrauliques. Les barrages ont tué beaucoup plus de gens dans le monde que les accidents nucléaires.
Je sais aussi que la voiture tue 3 000 personnes par an, personne ne dit qu’il faut arrêter la voiture.
Pourtant, je n’entends personne demander qu’on vide les barrages au plus vite parce qu’il y a un danger de côté-là. Je sais aussi que la voiture tue 3 000 personnes par an, or personne ne dit qu’il faut arrêter la voiture.
Malgré les risques du nucléaire, qui sont réels, je pense que les bénéfices que l’on en retire sont nettement en faveur de cette option-là. C’est pour cela qu’il faut absolument avoir une agence indépendante qui a le pouvoir de faire fermer les centrales, si elle estime que les mesures qui sont nécessaires ne sont pas prises. Je suis très satisfait de la situation en France aujourd’hui. Il y a une agence, l’ASN, qui a ce pouvoir fort. L'Autorité de sûreté nucléaire a déjà demandé plusieurs fois à EDF de faire fermer des centrales en attendant que les travaux soient faits. Je trouve cela très bien.
RT France :On a justement des centrales vieillissantes et le fait de les remplacer ou de les aménager coûte énormément d’argent, à l’image de Flamanville. Le reproche du coût n'est-il pas sensé lorsque l’on s'aperçoit du gouffre financier ?
F-M. B. : Sur la question économique, on a un acteur industriel dont le boulot est de nous fournir de l’électricité à bas coût ou au meilleur coût possible. Si EDF s’aperçoit que faire de nouvelles centrales coûte trop cher et qu’il est moins coûteux de développer des éoliennes, alors EDF suivra la logique économique.
Laissons l’acteur économique décider ce qui est le plus intéressant pour lui. En réalité, c’est une très bonne affaire de prolonger les centrales qui existent actuellement et ce, malgré les travaux qui restent à faire. Récemment, certains trouvaient très bien que le gouvernement mette 20 milliards d'euros sur la table pour développer les éoliennes en mer. Généralement, on trouve que 20 milliards c’est complètement dingue. Mais quand il s’agit de dépenser 20 milliards pour développer les éoliennes en mer, on trouve cela bien…
Tous les pays qui ont développé des énergies renouvelables en Europe ont, curieusement, l’électricité la plus chère
Je note aussi que tous les pays qui ont développé des énergies renouvelables en Europe ont, curieusement, l’électricité la plus chère. Il faudrait donc arrêter de nous dire que l’électricité renouvelable est moins chère que tout le reste. L’expérience montre ainsi que l’électricité renouvelable est plus chère que le nucléaire et est également plus chère, malheureusement, que les combustibles fossiles.
Je serais prêt à changer d’avis le jour où on me montrera que l’électricité renouvelable n'est pas chère. Elle a en plus un gros défaut : être intermittente. Elle nécessite soit d'avoir des moyens de stockage, soit des moyens de backup [soutien].
Il faut comparer le coût d’une énergie pilotable avec le coût d’une énergie intermittente plus son backup [soutien] associé. Là, la comparaison aura un sens
Ainsi, si on veut comparer le coût d’une production électrique, il ne faut pas comparer une énergie intermittente avec une énergie pilotable. Il faut comparer le coût d’une énergie pilotable avec le coût d’une énergie intermittente plus son backup associé. Là, la comparaison aura un sens. Quand on me compare le coût d’un kilowatt-heure sur le solaire, qui produit seulement en été et en journée, à une électricité qui vient d’un barrage hydraulique – que l'on choisit de mettre en on ou off – cela n’a aucun sens. Et pourtant, c’est ce qui est fait aujourd’hui.
RT France :Pour vous, en France, quelles seront les centrales nucléaires de demain ? Celles disposant de réacteurs à neutrons rapides ?
F-M. B. : Des réacteurs à neutrons rapides [qui consomment cent fois moins d’uranium pour produire autant d’électricité], on en a eu plusieurs : Phénix, qui a fonctionné pendant une trentaine d’années [à Marcoule dans le Gard], Superphénix [à Creys-Mépieu dans l'Isère] qui était beaucoup plus gros et a fonctionné pendant une dizaine d’années... Celui-ci a été fermé sur décision politique. En Russie, il y aussi un réacteur à neutrons rapides qui fonctionne aujourd’hui. Je ne doute pas que si l'on décidait de développer cela, on y arriverait. Toutefois, un réacteur à neutrons rapides, cela coûte plus cher qu’un réacteur normal.
Aujourd’hui, l’uranium n’est vraiment pas cher. De fait, les industriels, comme EDF, n’ont absolument aucune raison de s’acheter un réacteur à neutrons rapides. Les producteurs d’électricité auront intérêt à acheter des réacteurs à neutrons rapides le jour où le combustible coûtera cher. Cela arrivera si le monde entier se met à développer du nucléaire. Si, comme aujourd’hui, nous ne sommes que quelques pays à le faire, les réacteurs à neutrons rapides ne se développeront pas, pour des raisons économiques.
Même en remplaçant tout le parc automobile par de l’électrique, avec six réacteurs supplémentaires, on fera le boulot
J’aimerais personnellement qu'une grande partie des pays, qui utilisent aujourd’hui le charbon pour fabriquer l’électricité, à condition de disposer des structures sociales et scientifiques adéquates, développent le nucléaire. Mais l'on aura alors un problème de ressources en uranium et il faudra de fait développer les réacteurs à neutrons rapides.
RT France :En France, Superphénix a été malgré tout un échec, pas seulement pour des raisons politiques mais aussi écologiques, à cause de fuites ?
F-M. B. : Superphénix était un prototype donc, comme tous les prototypes, il y a eu des problèmes techniques. Un prototype sert aussi à cela : à identifier quels sont les problèmes techniques afin de les résoudre. Je rappelle que Superphénix, durant sa dernière année, a fonctionné en permanence pendant un an. Ensuite, il a été fermé sur décision politique. C’était un accord entre le PS et les Verts. Pour un prototype, j'estime que cela n’a absolument pas été un échec.
RT France :Avec les hausses des taxes sur les carburants, le gouvernement semble faire comprendre qu'il souhaite à l'avenir une utilisation massive de voitures électriques, en lieu et place des voitures thermiques. Si tous les Français parvenaient à rouler en voiture électrique, il faudrait logiquement de nouvelles centrales. Les centrales disposant de réacteurs à neutrons rapides pourraient-elles être une bonne alternative afin de construire moins de centrales ?
F-M. B. : Sauf que les réacteurs à neutrons rapides coûtent, encore une fois, beaucoup plus cher à construire. Finalement, je constate que les véhicules électriques sont très efficaces. Il n’y aura pas besoin de doubler le parc de réacteurs nucléaires. Même en remplaçant tout le parc automobile par de l’électrique, avec six réacteurs supplémentaires, on fera le boulot.
Propos recueillis par Bastien Gouly
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