«Je suis pour le socialisme, je suis pour le capitalisme et pour le macronisme parce que je suis un opportuniste» : en pastichant Jacques Dutronc, Manuel Valls pourrait-il se retrouver dans ces paroles ? Quatre constats, dans la vie politique de Manuel Valls, donnent une réponse à cette question et éclaircissent son parcours.
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Manuel Valls, à l'épreuve du pouvoir
Nul doute, Manuel Valls a un logiciel politique qui s'est enrayé depuis ses débuts. Ce rocardien de la première heure, membre du parti socialiste – auquel il adhère depuis son adolescence – et pro-européen, Manuel Valls a pourtant défendu le non lors du référendum pour le traité constitutionnel européen de 2005. Il expliquait alors vouloir «construire une alternative forte au libéralisme». Au fur et à mesure de la campagne, il se rallie pourtant en faveur du traité. De fait, après la victoire du non en 2005, et dès les années qui ont suivi le référendum, Manuel Valls poursuit les virages politiques.
Semblant suivre la pente naturelle du Parti socialiste, Manuel Valls se rapproche très nettement du social-libéralisme après le congrès de Reims de 2008. Il mettra en application cette doctrine lors de sa nomination en 2014 en tant que chef de gouvernement par François Hollande. Le pacte de responsabilité, la loi Macron ou encore la loi travail El Khomri sont les signes d'un deuxième tournant de la rigueur pour le PS (après celui de 1983) : apologie de la politique de l'offre, originellement identifiée comme une référence économique de la droite, et abandon de toute relance économique keynésianiste, chère à la gauche.
Le camouflet de la présidentielle
Malgré l'impopularité de François Hollande et du gouvernement, Manuel Valls est convaincu de recevoir le soutien des socialistes et d'une partie de la gauche pour la présidentielle de 2017. Candidat à la primaire socialiste, il pense que les frondeurs socialistes du dernier quinquennat (2012-2017) sont minoritaires au sein de la base militante. Il s'appuie également sur les enjeux sociétaux pour faire valoir sa légitimité politique et se démarquer d'un mauvais bilan économique.
Sa position forte pour la laïcité, sa dénonciation du burkini ou du voile islamique, l'opposent à son principal adversaire dans la primaire, Benoît Hamon.
Sauf que Manuel Valls a sous-estimé le mécontentement dans l'électorat de gauche... Il est sévèrement battu au second tour, ne recueillant que 41% des voix. Une humiliation pour l'ancien Premier ministre qui refuse de soutenir le candidat vainqueur, Benoît Hamon, reniant ainsi la règle de la primaire et son engagement (formulé avant de se présenter à l'élection).
Du parti socialiste au macronisme, Manuel Valls est mis au placard
Manuel Valls s'écarte peu à peu du PS. Il voit également pointer les élections législatives. Par voie de conséquence, il préfère miser sur Emmanuel Macron, craignant la chute électorale du Parti socialiste. Il soutient le fondateur d'En Marche, en mars 2017, espérant que le centriste – ancien ministre de l'Economie sous le gouvernement Valls – lui rende la pareille pour les législatives de juin. Ce nonobstant, le nouveau parti d'Emmanuel Macron refuse de lui accorder un soutien officiel pour les législatives. Toutefois, Emmanuel Macron lui fait une faveur : aucun marcheur ne se présentera contre l'ancien Premier ministre. Révélateur : sur son affiche de campagne, Manuel Valls ne fait aucune référence au socialisme ou à la gauche, encore moins au Parti socialiste. Le divorce avec le socialisme est alors pratiquement prononcé.
Sa victoire sur le fil aux législatives en 2017 est en outre une (énième) claque politique pour lui. Certes, il a gagné mais ce succès s'est fait dans la confusion. Député de la première circonscription de l'Essonne depuis 2002, il bénéficiait de soutiens d'anciens membres de son gouvernement (comme Jean-Yves Le Drian ou Bernard Cazeneuve) et de personnalités de la droite (comme Serge Dassault). Il n'obtient que 50,3% des voix au second tour face à la candidate de La France insoumise Farida Amrani, soutenue par... Benoît Hamon. Celle-ci tentera de faire invalider l'élection pour fraudes mais le Conseil constitutionnel confirmera le résultat en décembre 2017. Après sa victoire étriquée aux législatives, Manuel Valls déchire sa carte du PS.
En tant que social-libéral, il s'inscrit logiquement à l'Assemblée nationale dans le groupe de La République en marche. Cela n'empêche pas les marcheurs de ne lui laisser aucune place, ni politiquement, ni médiatiquement, lui préférant des soutiens macroniens de la première heure (Gérard Collomb, Benjamin Griveaux, Richard Ferrand, Aurélien Taché ou Amélie de Montchalin).
Ses ambitions barcelonaises, un simple tremplin pour son avenir politique ?
Sans perspective politique à court terme en France, Manuel Valls brille par son inexistence à l'Assemblée nationale, rongeant son frein. Ce qui ne lui empêche pas de conserver le désir de tutoyer de nouveau les sommets. Maire d'Evry entre 2001 et 2012, et député de l'Essonne, Manuel Valls se lance un pari risqué en briguant la mairie de Barcelone pour 2019, se détachant, en conséquence, de son territoire électoral. Peu importe, Manuel Valls veut appliquer son centrisme européen à une action médiatiquement et politiquement forte.
Il s'agirait d'ailleurs d'une première : aucun ancien politique français et Premier ministre français n'a encore administré la mairie de l'une des plus grandes villes européennes. Cette candidature lui permet, en outre, de lui conférer l'image d'un européen convaincu et d'un progressiste. Elle lui donne une cohérence politique, Manuel Valls se faisant ainsi le promoteur de l'existence éventuelle d'une identité européenne. Un travail que l'élu de la République française a forgé depuis plusieurs mois en affirmant son identité et attache catalane.
En recherche d'histoire, Manuel Valls prend aussi le risque de se prendre une nouvelle gifle. Reste en effet à voir si les Barcelonais, touchés par la crise économique et l'austérité imposée par la Troïka, et qui avaient massivement voté pour une administration soutenue par le parti se revendiquant populiste Podemos, seront réceptifs à la trajectoire de Manuel Valls.
Bastien Gouly