France

Demi-réponses, mystères et dénégations : ces zones d'ombre qui subsistent dans l'affaire Benalla

Malgré les nombreux articles parus dans la presse à propos de l'affaire Benalla, les commissions d'enquête parlementaires et l'entretien accordé par le principal intéressé à TF1, des interrogations demeurent et appellent de nouvelles réponses.

Alors que la commission d'enquête de l'Assemblée nationale achève ses travaux et que la majorité cherche visiblement à éteindre l'incendie politique du scandale Benalla, certains médias français comme Le Monde et Le Canard enchaîné continuent pourtant d'agiter le chiffon rouge en assénant une révélation après l'autre. Un constat s'impose : des zones d'ombres demeurent dans cette première grande affaire embarrassante pour le gouvernement dit du «nouveau monde».

Benalla et le GSPR : histoire d'une «police parallèle» ?

Les députés qui ont participé à la commission d'enquête ont à de nombreuses reprises interrogé les différents responsables du gouvernement et de la hiérarchie policière au sujet de la sécurité du président : quel est lien entre Alexandre Benalla et le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) ? N'avait-il réellement aucune autorité (même tacite) sur ses membres ? A l'instar de l'Insoumis Eric Coquerel, certains ont même évoqué une «police parallèle».

Une vidéo révélée par le syndicat UNSA Police le 22 juillet sur les réseaux sociaux montrait Alexandre Benalla à l'aéroport de Roissy tenir des propos virulents à un membre des forces de l'ordre qui accréditerait l'idée selon laquelle il avait au moins un ascendant vis-à-vis des services de sécurité. Après la perquisition de son bureau à l'Elysée, le journal Le Monde, qui a eu accès à des informations de source judiciaire, a fait état de documents qui semblent également conforter la thèse selon laquelle Alexandre Benalla avait au moins un droit de regard sur la réforme annoncée du GSPR.

Depuis l'élection de Macron, les chefs du GSPR étaient ostracisés par la présence de monsieur Benalla

Par ailleurs, les procès verbaux que Le Monde s'est procurés après la mise en examen de trois policiers semblent montrer qu'Alexandre Benalla prenait directement ses ordres d'Emmanuel Macron et que chacun en avait conscience au sein du GSPR. Un policier interrogé lors de sa mise en examen affirme ainsi : «Depuis l'élection de monsieur Macron, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République étaient ostracisés par la présence de monsieur Benalla». Selon les informations du quotidien issues de ces procès verbaux, le chargé de mission du cabinet élyséen communiquait «les souhaits et les volontés du président» lors de ses déplacements et était destinataire, «au quotidien, des télégrammes et notes confidentielles», ce qui confirme une information du Canard enchaîné.

Le policier précise qu'il existait un «lien direct téléphonique» entre le président et Alexandre Benalla, notamment lors du retour des Bleus à Paris : «Pour nous, monsieur Benalla [représentait] Emmanuel Macron pour tous les sujets de sécurité».

Pourtant, le secrétaire général de l'Elysée présentait une version assez différente devant la commission d'enquête du Sénat, le 26 juillet : Alexis Kohler avait ainsi soutenu que «la sécurité du président de la République [était] toujours assurée par le commandement militaire ou le GSPR» et qu'Alexandre Benalla «n'avait pas de responsabilités les concernant». Alexis Kohler avait également précisé : «Nous n'employons pas de vigiles privés pour assurer la sécurité du chef de l'Etat».

Malgré les scellés, l'appartement de Benalla a été nettoyé avant la perquisition

Alexandre Benalla ne s'est pas montré particulièrement coopératif lors de sa garde à vue, selon les informations du Parisien. Quand on lui a demandé de perquisitionner son domicile à Issy-les-Moulineaux, il a déclaré ne pas en avoir les clés, expliquant qu'il fallait les demander à sa compagne qui se trouvait à l'étranger, tout en refusant de communiquer son numéro de téléphone. Les policiers ont donc entrepris de forcer la porte mais n'y sont pas parvenus et ont dû apposer des scellés en attendant de trouver le serrurier qui pourrait les aider dans cette entreprise.

Pouvez-vous nous dire où se trouvent cette armoire et ces armes ? – Aucune idée.

Mais quand la police revient le lendemain pour ce faire, elle constate «l’intégrité du scellé», avant de s'apercevoir que certains objets ont disparu de l'appartement, notamment l'armoire forte où était censés se trouver trois pistolets et un fusil à pompe. Le capitaine de la brigade en charge du dossier interroge alors Alexandre Benalla : «Pouvez-vous nous dire où se trouvent cette armoire et ces armes ?» Réponse de l'intéressé : «Aucune idée. Elle a dû être emmenée dans un lieu par une personne mais ce n’est pas moi qui me suis occupé de cela.» Le chargé de mission de l'Elysée admet cependant que ce nettoyage a été réalisé à sa demande, selon les informations du Parisien et se justifie : «C’était simplement par mesure de sécurité.»

Le syndicat de police Vigi, partie civile dans le dossier, a demandé que la juge d'instruction sollicite le parquet pour une autorisation d’enquêter sur des soupçons de dissimulation de preuves. Selon eux, le scellé aurait pu être remplacé et le coffre déplacé pendant la nuit. Par qui ? Dans quel but ? Les réponses à ces questions devront attendre.

Les avantages d'un simple chargé de mission ?

Concernant les avantages dont aurait joui Alexandre Benalla dans le cadre de sa collaboration à l'Elysée, certaines interrogations ont trouvé des explications un peu courtes et d'autres sont toujours sans réponses.

Premièrement, le chargé de mission du cabinet de la présidence a voulu éteindre toute polémique sur le plateau du 20h de TF1 le 27 juillet en annonçant son salaire et a admis «un contrat [...] rémunéré 6 000 euros net», précisant : «C’est le salaire de tous les chargés de mission», soit près de 7 800 euros en brut. Une estimation toutefois pas si éloignée de celle qui avait circulé dans les médias et qui faisait état d'une rémunération de 10 000 euros... Mais d'éventuelles primes n'ont pas encore été évoquées.

Par ailleurs, concernant le logement d'Alexandre Benalla, le doute subsiste encore sur son adresse réelle : allait-il bénéficier d'un appartement au sein de la résidence Alma sur le Quai Branly à Paris, comme l'avait avancé Le Monde ou résidait-il à demeure à Issy-les-Moulineaux ? Les deux en même temps ? L'intéressé a simplement confirmé la rénovation du logement qui lui avait été proposé par le directeur de cabinet Patrick Strzoda, mais il s'agissait selon lui d'«un appartement de 80 mètres carrés, pas 300 comme ça a été dit». Cette information a également été corroborée par une enquête de Mediapart.

De même, Alexandre Benalla bénéficiait-il d'une voiture de type Renault Talisman avec chauffeur, équipée d'options réservées à la police ? Ce point avait particulièrement fait enrager les membres des forces de l'ordre qui peinent souvent à maintenir leur flotte de véhicules en état de marche.

L'Elysée a confirmé à la presse que le simple chargé de mission s'était présenté à la fourrière Chevaleret à Paris le 27 juillet pour récupérer ce véhicule géré par le commandement militaire du palais de l'Elysée, tout en précisant qu'Alexandre Benalla l'avait fait «de sa propre initiative». La fourrière aurait refusé de le lui remettre.

Cerise sur le gâteau : selon une information de Valeurs actuelles publiée ce 2 août, Alexandre Benalla aurait en outre bénéficié d'un passeport diplomatique qui lui aurait été délivré le 24 mai 2018, soit quelques jours seulement après la fin de la sanction dont il aurait écopé à la suite de son comportement place de la Contrescarpe le 1er mai. Pour mémoire, selon la version de l'Elysée, la carrière d'Alexandre Benalla venait de subir un coup dur et il avait été rétrogradé.

Des trous dans le CV de Benalla ?

Enfin, le parcours d'Alexandre Benalla avant son arrivée à l'Elysée avec Emmanuel Macron ne laisse pas d'interroger. S'il a été établi que l'ancien ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg ne l'avait gardé à son service qu'une semaine en 2012 à cause d'un accident de circulation après lequel celui qui était à l'époque chauffeur aurait commis un délit de fuite, le doute demeure sur les occupations d'Alexandre Benalla entre cette période et 2015.

Comme l'a révélé un article du Monde, «on retrouve enfin ce très jeune homme au Journal officiel au printemps 2015. Par arrêté du premier ministre de François Hollande, ce titulaire d’un master de droit est admis dans la quarantaine d’étudiants et de jeunes professionnels de moins de 35 ans autorisés à suivre la session "jeunes" de l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice (IHESJ)». Le quotidien précise : «[Alexandre Benalla] a travaillé plusieurs années pour le groupe Velours, spécialisé dans la sécurité privée et fondé par d’anciens policiers. D'après le registre du commerce marocain, il devient le codirigeant d’une antenne montée par l’entreprise à Casablanca, en octobre 2015, qui cesse vite son activité avant d’être dissoute en 2017.»

Mais de cette période qui précède le retour d'Alexandre Benalla sur les radars administratifs, rien ne semble filtrer. Une chose est certaine : à la fin de l'année 2016, il est nommé, responsable de la sécurité du candidat d'En marche !, un poste qui lui a probablement permis d'accéder au cabinet de l'Elysée, après l'élection d'Emmanuel Macron.

Quelles étaient les occupations d'Alexandre Benalla entre 2012 et 2015 ? Où était-il à cette période ? Ses camarades Vincent Crase, Ludovic Chaker ou peut-être même le garde du corps Makao ont-ils des réponses à ces questions ? Autant de points d'interrogation qui pourraient le cas échéant se transformer en points d'exclamation au cours des mois qui viennent.

Antoine Boitel

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