Enquêtes parlementaires, suspensions de travaux législatifs, défiance ouverte envers le locataire de l’Elysée : à gauche comme à droite de l'échiquier politique, l'affaire Benalla a provoqué l'indignation et les actions de l'opposition visant à mettre l'Etat face à ses responsabilités, se sont multipliées. Le résultat : une forme de «convergence» entre diverses familles politiques, comme l'assume d'ailleurs le leader des Insoumis Jean-Luc Mélenchon.
Macron, précurseur de la convergence droite-gauche ?
6 avril 2016 : alors ministre de l’Economie, l’ancien associé-gérant de la banque Rothschild Emmanuel Macron annonçait le lancement du mouvement En Marche! avec entre autres, l’objectif affiché de construire une identité «et de droite, et de gauche». Un peu plus d’un an plus tard, l’initiative s’avérait être un franc succès, tant avec la victoire à l’élection présidentielle de son fondateur qu’avec l’écrasante majorité obtenue dans la foulée par son mouvement aux législatives. Une victoire qui s’est notamment appuyée sur une convergence – autour d’Emmanuel Macron – de personnalités politiques issues d'une certaine droite et d'une certaine gauche.
Si la présence de transfuges est prégnante au sein du gouvernement, elle l'est aussi à l'Assemblée nationale, à l'image de l'ancien socialiste Richard Ferrand, aujourd'hui chef du groupe des députés LREM, ou de l'ancienne LR Aurore Bergé, également députée du parti présidentiel à ce jour. Cette coalition autour d'Emmanuel Macron a constitué un socle sur lequel il s'est appuyé pour mener une politique tantôt à droite du point de vue économique, tantôt à gauche sur nombre de sujets sociétaux.
Quand les foudres s'abattent sur l’exécutif
18 juillet 2018 : l’identification d'Alexandre Benalla, chargé de mission auprès du chef de cabinet de l'Elysée, dans une scène compromettante filmée le 1er mai place de la Contrescarpe, est à l’origine de la première crise politique d’ampleur que traverse l’exécutif depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. A droite comme à gauche, un concert de protestation s’est opéré face à ce que d’aucuns qualifient aujourd'hui de scandale d’Etat.
Aussi, l'affaire Benalla a rebattu les cartes en faisant passer au second plan, au moins momentanément, la scission droite-gauche au profit d'une scission entre pro et anti-Macron, avec d'un côté une véritable levée de boucliers au sein l’opposition, et de l’autre, un effort de cohésion dans la stratégie de défense adoptée par le camp pro-Macron. Quitte à y voir une convergence allant des Insoumis au Rassemblement national ?
Réagissant au souhait exprimé par la députée insoumise Danièle Obono de voir «toutes les oppositions qui sont présentes […] devant les caméras» au sortir de la séance de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale du 25 juillet, l’élu LREM Sylvain Maillard avait en tout cas saisi l’occasion pour dénoncer «l'union nauséabonde de La France insoumise et du FN». Selon une vidéo tournée par le Huffington Post, il semble pourtant que la députée ne s'adressait pas spécifiquement à Marine Le Pen, qui s'était toutefois avancée dans le champ des caméras.
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Vers une convergence gauche-droite au sein de l’opposition ?
Au lendemain de la médiatisation de l'affaire Benalla par Le Monde, des mouvements remarquables ont pu être observés sur l’échiquier politique français. En effet, dès le 19 juillet, les partis d’opposition réunissaient leurs forces pour obtenir la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. A l’occasion de l’audition du 23 juillet de Gérard Collomb, l’opposition avait fustigé à l'unisson les propos du ministre de l’Intérieur, réclamant unanimement que le chef d’Etat français sorte de son silence. A l'image d'une opposition médusée par l'attitude d'Emmanuel Macron, le 25 juillet, le député de l'Essonne Nicolas Dupont-Aignan n’hésitait pas à claquer la porte de la salle d'audition de l'Assemblée nationale du général Eric Bio-Farina, dénonçant «une mascarade».
Le 28 juillet, on apprenait que deux motions de censure allaient être défendues à l’Assemblée nationale le 31 juillet pour mettre en cause la responsabilité du gouvernement dans l’affaire Benalla.
Présentées respectivement par Les Républicains et par les trois groupes de gauche (Insoumis, socialistes et communistes), ces motions pourraient être votées par les autres familles politiques que celles qui en sont à l'origine. Mais si certains ne semblent pas hostiles à la démarche, d’autres s’y sont d’ores et déjà opposés.
J’assume une convergence quand il s’agit [...] de faire respecter la norme républicaine
Jean-Luc Mélenchon s’était pour sa part montré enthousiaste à propos d’une convergence de circonstances, à l’image de ses propos rapportés le 23 juillet par Le Monde : «J’assume une convergence quand il s’agit de protéger l’Etat et de faire respecter la norme républicaine.»
Le sujet Benalla-Macron [...] est si invraisemblable qu’il nous saute aux yeux à tous de la même façon
Quant aux Républicains, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a expliqué que, selon lui, l'affaire Benalla avait engendré une réaction légitimement commune au sein de l’opposition. C’est du moins ce qu’il ressort de ses propos cités dans le même article du Monde : «Le sujet Benalla-Macron ou Macron-Benalla est si invraisemblable qu’il nous saute aux yeux à tous de la même façon.» Concernant la potentielle signature de la motion de gauche par des élus LR, le député Les Républicains Sébastien Huyghe a affirmé : «Il faudra voir précisément ce qu'il y a dans le texte. Mais nous sommes sur la même longueur d'onde. Si elle ne vise qu'à défendre nos institutions et qu'elle ne sert pas des intérêts plus politiques, nous pourrons la voter.»
La majorité des Français exprime aujourd'hui une défiance à l'égard du Président de la République
Du côté du Rassemblement national, Marine Le Pen a affirmé le 27 juillet qu’elle voterait les motions de censure qui seront présentées par les partis d’opposition, s’expliquant ainsi : «La majorité des Français exprime aujourd'hui une défiance à l'égard du Président de la République et du gouvernement qui ont couvert des faits [liés à l’affaire Benalla].»
Le PS, principal récalcitrant
Chez les socialistes, Olivier Faure, Premier secrétaire du PS, a fait savoir le 30 juillet que les députés de son parti, favorable à une motion de censure commune LFI-PCF-PS, ne joindraient pas leur voix à la motion déposée par les Républicains : «Non pas que nous n'en partagions pas le sens, mais nous ne voulons pas donner le sentiment que nous pourrions à cette occasion nous regrouper sur un même texte, pour faire ensemble front commun contre le gouvernement et pour le remplacer ensemble.»
Si seul le Parti socialiste exprime catégoriquement son refus de signer la motion proposée par Les Républicains, il est à noter qu'avec ou sans les députés du groupe Nouvelle Gauche (incluant les députés socialistes), un remaniement du gouvernement reste peu probable en l'état, celui-ci étant provoqué uniquement après l'adoption de la motion de censure à la majorité de l'effectif total de l'Assemblée, soit 289 voix. Le parti présidentiel comptabilisant 314 députés, les autres groupes politiques cumulés ne représentent de fait que 263 députés.
Au delà, la convergence de la gauche et de la droite (du moins celles participant à l'opposition) pourra-t-elle, en fonction des rebondissements de la crise politique que traverse actuellement l'exécutif français, participer à terme à redessiner le paysage politique ?
Une autre inconnue réside dans l'évolution comportementale des élus du parti présidentiel, celui-ci n'étant pas à l'abri de frondes parlementaires, comme l'a montré la loi asile et immigration.
Sur l'affaire Benalla, deux députés LREM ont déjà osé exprimer publiquement des remontrances. Sonia Krimi, députée de la Manche, confiait le 21 juillet à LCI être «abasourdie» : «On avait été élus pour la transparence. Ça ressemble au vieux monde.» Paul Molac, député du Morbihan, expliquait deux jours plus tard à France Bleu : «Nous avons fait campagne sur le fait que la politique devait être plus propre, et je m’aperçois que c'est le pire du monde d'avant.»
Le 24 juillet, devant une foule de marcheurs accrochés à ses lèvres, Emmanuel Macron avait pour sa part tenu à resserrer les rangs : «Parfois, nous nous sommes trompés à trop surligner nos différences [...] Les tireurs couchés d'un jour finissent abattus avec les autres quand ils décident de tirer sur les camarades.» Un avertissement aux députés de la majorité ?
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