Une personne aidant un migrant sans intérêt ni contrepartie financière ou pour des raisons humanitaires ne sera désormais plus passible d’une condamnation. Voici les conclusions de l’avis émis par le Conseil constitutionnel le 5 juillet et rendu public le 6.
Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 11 mai 2018 par la Cour de cassation. Elle posait des questions relatives au séjour des étrangers et du droit d'asile du militant Cédric Herrou par le biais de son avocat Me Spinosi.
Les sages de la rue Cambon, parmi lesquels figurent Laurent Fabius et Lionel Jospin, ont considéré qu’une aide désintéressée au «séjour irrégulier» ne saurait être passible de poursuites, au nom du «principe de fraternité». C'est la première fois que cette notion prend une valeur constitutionnelle.
«Il découle de ce principe la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national», a affirmé Laurent Fabius. «A l'instar de la liberté et de l'égalité qui sont les deux autres termes de la devise de notre République, la fraternité devra être respectée comme principe constitutionnel par le législateur et elle pourra être invoquée devant les juridictions», a-t-il poursuivi.
Il découle de ce principe la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire
L'Assemblée nationale avait déjà assoupli le «délit de solidarité» pour certaines personnes venant en aide aux migrants, ne l’étendant toutefois pas à l’action militante ou à celle de l’Etat. Mais les sénateurs s’étaient opposés à ce mouvement. Après l’annonce du Conseil, le texte initial contenu dans le projet de loi asile immigration sera rétabli. Le principe de fraternité devra être respecté par tous, des administrations au législateur.
A rebours des législations anti-migrants qui se durcissent dans l’Union européenne, cette décision consacre le principe de fraternité, inscrit dans la devise de la France aux cotés de liberté et égalité. Elle vient donner raison à Cédric Herrou, le symbole de la solidarité avec les migrants, cet agriculteur qui avait fait passer des clandestins dans la vallée franco-italienne de la Roya, et s’était retrouvé plusieurs fois aux prises avec la justice pour être venu en aide à des migrants. Il avait été condamné en appel à quatre mois de prison avec sursis et s'était pourvu en cassation.
Quelques rares critiques de la «fraternité»
Sur l’échiquier politique, il s’est trouvé peu de voix pour critiquer le principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Toutefois Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN), a exprimé son désaccord, en faisant référence au fugitif Rédoine Faïd.
Eric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, et Guillaume Larrivé, député LR de l'Yonne ont publié un communiqué commun dans lequel ils s’indignent de l’effacement du délit de solidarité : «La décision que vient de rendre le Conseil constitutionnel, relative au délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, pose deux problèmes majeurs auxquels les élus de la Nation ne peuvent pas se résigner. [... ] Cela n’est pas acceptable. Le moment est venu de mettre un terme à ces dérives.»
Le député des Alpes-Maritimes dénonce en outre le fait qu'«aider des migrants en situation irrégulière à se maintenir illégalement sur le territoire français alors qu’ils n’en ont pas le droit ne saurait être toléré et doit rester un délit puni par la loi».
Cependant, les commentaires de satisfaction ont afflué dans la journée du 6 juillet. En premier lieu, celui de Cédric Herrou, qui a initié cette réflexion du conseil constitutionnel.
De nombreux politiques de tous bords ont loué la décision
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a déclaré dans un texte que cette décision confortait la position du gouvernement sur le projet de loi asile. Mais le ministre a tenu à préciser le cadre de la «fraternité» pour en soustraire sans ambages les militants ou opposants politiques : «Dans le contexte actuel, il est plus que jamais de la responsabilité des Etats de maîtriser leurs frontières, et les personnes qui pour des motifs divers contestent cette maîtrise des frontières ne doivent pas être couvertes par une telle exemption pénale.»
La maire de Paris Anne Hidalgo a remercié le Conseil constitutionnel. Un large tissu d'humanitaires et de bénévoles distribuent nourriture et équipements aux migrants dans la capitale, où de nombreux sans-abris exilés vivent dans des conditions sanitaires épouvantables. Loin des frontières, Paris n'en demeure pas moins l'une des villes subissant de plein fouet la crise migratoire depuis trois ans.
«Le "délit de solidarité" ? Censuré et strictement encadré», se réjouit le député PS Boris Vallaud.
Le député LREM Florent Boudié s'est félicité du rétablissement de la réforme que le Sénat avait rejetée.
Le maire de Grenoble Eric Piolle (EELV), soutien de longue date de Cédric Herrou, crie victoire. «Que de temps perdu, de violences inutiles... Grenoble ville refuge, terre d'accueil, continuera ses actions de solidarité envers les exilés», écrit-il sur Twitter.
Plus étonnant, même Gilbert Collard, député RN, salue la décision du Conseil, tout en appelant à la vigilance concernant le caractère désintéressé du geste.