Le 24 octobre 2016, avant que la séquence de l'élection présidentielle ne débute pour de bon, le gouvernement de Manuel Valls décide de faire disparaître du paysage la jungle de Calais à coups de bulldozers. Devant les caméras du monde entier, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve s'essaie à la tâche difficile qui consiste à concilier fermeté et humanité.
Un an après presque jour pour jour, le bilan de l'opération est pour le moins mitigé, malgré la mise en avant de quelques success stories de migrants. «Pour les 7 400 personnes parties en Centre d'accueil et d'orientation [dont plus de 1 900 présentés comme des mineurs, d'après l'AFP], l'évacuation s'est très bien passée», plaide ainsi Christian Salomé, président de l'Auberge des migrants, une association qui vient en aide aux réfugiés.
Selon les chiffres de l'Office français d'immigration et d'intégration (Ofii), 42% de ceux des migrants qui ont demandé l'asile l'ont obtenu, 7% ont été déboutés et 46% attendent toujours une décision définitive, le reste étant orientés vers des projets autres que l'asile, tels que l'aide au retour dans le cadre du programme européen ERIN (Réseau européen de réinsertion). Chez ceux identifiés comme mineurs, seuls 515 ont pu gagner la Grande-Bretagne.
Déplacement et éparpillement du problème
Avec l'évacuation de la jungle de Calais, le gouvernement de Manuel Valls poursuivait plusieurs buts. Déminer la question de la crise migratoire avant la présidentielle de 2017, et, à défaut d'améliorer le quotidien des Calaisiens, tenter de remédier à la situation humanitaire déplorable des migrants. En novembre 2015, le Conseil d'Etat avait en effet condamné l'Etat français pour sa gestion du «bidonville» de Calais, le mettant en demeure de procéder à l'installation d'infrastructures sanitaires.
Pourtant, un an après, les problèmes de sécurité dans les environs de Calais sont toujours d'actualité, alors que de nombreux migrants refluaient vers l'ex-jungle, quelques semaines seulement après son évacuation. Le 2 septembre, trois policiers étaient blessés alors qu'une cinquantaine de migrants prenaient d'assaut des poids lourds, dans le but de passer au Royaume-Uni, profitant d'un embouteillage sur la rocade de Calais.
Entre autres incidents récurrents, témoignant d'une situation qui risque toujours de devenir incontrôlable, une rixe géante impliquant au moins une centaine de migrants africains éclatait dans la zone industrielle de Calais en juillet dernier. Les CRS avaient dû être déployés pour mettre fin à l'affrontement entre Erythréens et Ethiopiens, armés de bâtons et de pierre, à l'occasion de la distribution de repas.
Après François Hollande, c'est désormais Emmanuel Macron qui s'essaie aussi au «en même temps» de la fermeté articulée à l'humanité. Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb appelait ainsi dès le mois de juin à couper les «routes» de l'immigration. «Pour avoir une grande humanité il faut une grande fermeté [...] On ne peut pas accueillir avec humanité lorsque tout à coup on a un afflux migratoire considérable», argumentait-il, conjurant le spectre d'une nouvelle jungle à Calais. Le ministre avait même en cela recueilli l'approbation des identitaires anti-migrants, lesquels lui avaient proposé leur aide, tandis que les associations d'aide aux migrants se scandalisaient.
Et pourtant, malgré la dispersion des migrants sur le territoire national, y compris dans les beaux quartiers de Paris – au grand dam des habitants confrontés à des nuisances – le problème demeure. Au lieu de s'abriter dans des abris de fortune, certains migrants préfèrent dormir dans les bois, à même le sol sur des cartons. Un an après l'évacuation de la jungle, le problème est juste un peu moins visible.
Alexandre Keller