Contrastant avec l'ampleur de la majorité dont disposera La République en marche (LREM) à l'Assemblée nationale à l'issue du premier tour de l'élection présidentielle, le nombre d'électeurs inscrits ayant effectivement voté pour les candidats du parti présidentiel ou pour le MoDem s'établit autour de 18,8%. En raison du scrutin majoritaire, ces résultats permettent toutefois à la majorité présidentielle d'obtenir 60% des sièges au palais Bourbon.
Certes, la très forte prime majoritaire du mode de scrutin n'est pas nouvelle. Mais, à titre de comparaison, les Français ayant voté pour la majorité présidentielle socialiste en 2012 représentaient environ 22,4% des inscrits – un chiffre traduit à l'Assemblée par une majorité de 57% des sièges. Autrement dit, la très forte démobilisation des électeurs, qui a permis à l'abstention de battre un record en atteignant 57%, se solde par un déficit accru de représentativité.
Ce phénomène ne risque pas d'enrayer la défiance croissante des Français envers leurs institutions. D'autant que la promesse électorale d'Emmanuel Macron d'introduire une «dose» de proportionnelle pour les élections législatives semble avoir été remise à plus tard. Dès l'annonce des résultats, nombreux étaient ceux qui réclamaient, à l'instar de Marine Le Pen ou du Parti communiste français une réforme du code électoral. Cette promesse présidentielle éternellement déçue depuis François Mitterrand, à l'exception des législatives de 1986 organisées pour la première et dernière fois au scrutin proportionnel, permettrait sans doute d'accroître la représentativité du Parlement, mais ses opposants arguent qu'elle menacerait la constitution d'une majorité stable et rendrait le pays ingouvernable.
L'explosion du vote blanc : une réaction face à l'absence de choix ?
C'est un phénomène relativement nouveau qui semble avoir émergé à l'occasion du second tour de la présidentielle. Un nombre croissant d'électeurs, face à l'absence d'un candidat qui leur corresponde, avaient refusé de choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, sans toutefois renoncer à aller voter : plus de quatre millions d'électeurs avaient glissé un bulletin blanc ou nul dans l'urne.
Symbole d'un refus activement exprimé d'arbitrer un duel entre deux offres politiques jugées insatisfaisantes, le vote blanc et nul a connu un nouveau pic le 18 juin. Celui-ci représente plus de 9% des suffrages exprimés, soit près de deux millions de voix. A titre de comparaison, le Parti socialiste n'a attiré que 1,68 millions d'électeurs.
La carte électorale des bulletins blancs et nuls livre quelques renseignements sur le lien étroit existant entre cette tendance et la configuration politique dans chaque circonscription. Ainsi, dans la première circonscription de l'Aube, où se jouait la seule triangulaire du pays (opposant le Front national, les Républicains et LREM), le nombre de bulletins blancs est l'un des plus faibles (4,32%). A l'opposé, dans la deuxième circonscription de l'Aveyron, le nombre de bulletin blancs explose pour atteindre les 33%, seule la candidate LREM étant en lice après l'abandon de son adversaire LR. Dans les circonscriptions traditionnellement très socialistes de la Creuse, de la Corrèze et de la Haute-Vienne, l'absence du candidat PS au second tour au profit de duels entre LR et LREM a conduit 15% des électeurs à voter blanc ou nul.
Des critiques contre la légitimité de la nouvelle Assemblée
Des critiques vis-à-vis de la représentativité de la nouvelle Assemblée se sont rapidement faites entendre dans les heures ayant suivi l'annonce des résultats. «Les Français ne sont pas correctement représentés», a par exemple estimé Florian Philippot, battu dans sa circonscription de Moselle, sur le plateau de BFM-TV. Selon lui, le mode de scrutin autant que le fort taux d'abstention «posent un gros problème démocratique». Profitant de l'occasion pour minimiser la victoire de LREM, David Rachline, sénateur FN du Var a, de son côté, qualifié la «vague Macron» de «vaguelette» sur CNews.
Allant plus loin encore dans l'analyse des significations de la démobilisation électorale, Jean-Luc Mélenchon, élu dans la quatrième circonscription de Marseille, a estimé que les abstentionnistes avaient sciemment choisi de manifester leur mécontentement. «Il faut que, dorénavant, la force de l'abstention devienne la force de la Révolution citoyenne», a-t-il martelé après l'annonce des résultats, prenant à rebours le discours consistant habituellement à ne voir dans l'abstention qu'un désintérêt inversement proportionnel à la vitalité démocratique des institutions. «C'est une grève générale civique», a ajouté le leader de la France insoumise, estimant que la nouvelle majorité n'était «pas légitime» pour remettre en cause l'«ordre social».
Toutefois, dans les rangs de LREM, on veut croire à l'existence d'un réel soutien à la majorité. «On se réjouit d'avoir une majorité forte pour accompagner l'action du gouvernement», a déclaré le Premier ministre Edouard Philippe au micro de RTL au lendemain du vote. Toutefois, l'optimisme n'était pas de mise pour tous les membres de la majorité présidentielle, certains préférant se montrer plus modestes. «La vraie victoire sera dans cinq ans quand le vote extrême n'existera plus», a estimé le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, précisant que l'action de son gouvernement au cours du quinquennat poursuivrait l'objectif de faire renouer les Français avec la confiance politique. Faire de la réconciliation des citoyens avec leurs représentants un des enjeux de la réussite de son gouvernement – un chantier colossal dont tout reste à faire.
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