Le match semblait déjà plié dès le premier tour des législatives. Si ce n'est avant. La victoire d'Emmanuel Macron est totale, malgré une abstention encore une fois record qui pourrait la ternir. Avec entre 355 et 425 députés selon l'AFP, La République en marche (LREM) n'a même plus besoin de coalition – elle pourrait même se passer de l'appoint du MoDem – pour donner au chef de l'Etat une majorité présidentielle.
Mais, revers de la médaille, l'Assemblée nationale court le risque de devenir une simple chambre d'enregistrement. C'est la lecture que ne manqueront pas de faire les partis privés d'une «représentation nationale» à la hauteur de leurs espérances, comme le Front national (FN) ou La France insoumise (FI). 4 à 6 députés seulement pour le FN, 12 à 17 pour FI... les partis autres que LREM se retrouvent relégués aux marges de l'hémicycle. Seul Les Républicains, avec moins d'une centaine de députés limite la casse. Occupant presque tout l'espace, on trouve désormais un parti hypertrophié.
Si François Hollande, «président normal», aura affaibli la fonction présidentielle, Emmanuel Macron aura donc neutralisé, que ce soit volontairement ou non, la chambre basse du Parlement. Bien sûr, il n'y est pas arrivé seul. Il a bénéficié en cela de l'effacement des partis historiques, laminés par la présidentielle, mais aussi des hordes d'abstentionnistes. Cependant, à terme, l'exécutif pourrait faire face – paradoxalement – à une «chambre introuvable», comme en 1815. Une assemblée a priori aux ordres, et pourtant incontrôlable.
En effet, une fois passée la période de grâce, il faudra à Emmanuel Macron tenir sa majorité d'une main de fer pour éviter qu'elle ne se disloque. Car, en excluant l'opposition du palais Bourbon, LREM pourrait bien l'avoir intégrée en son sein. S'y retrouvent en effet, entre autres, d'anciens juppéistes, des socialistes de sensibilité sociale-libérale, mais surtout une pléthore de députés novices en politique, n'ayant en partage que l'étiquette LREM.
L'opposition et la majorité dans un seul et même parti
Depuis l'abandon du septennat, l'épée de Damoclès des législatives ne pèse plus sur le mandat du président : le désagrément d'une cohabitation, présenté comme un défaut de conception de la Ve République, a été écarté. Mais les électeurs ont depuis lors perdu le pouvoir de sanctionner l'action du président de la République. En d'autres termes : les élections législatives ne sont plus qu'une formalité, où les électeurs plébiscitent par automatisme le nouveau chef de l'Etat. Et si le Palais Bourbon devait adopter le rôle de contre-pouvoir à l'Elysée durant le mandat présidentiel, cela se ferait par un revirement des élus, non par la volonté des électeurs.
Alors certes, les abstentionnistes n'avaient qu'à faire entendre leur voix. Et, bien sûr, il incombait aux autres partis de mobiliser leur électorat. Avec le concept d'«opposition constructive», Les Républicains ont brouillé leur positionnement et se sont tirés une balle dans le pied, réveillant le réflexe du vote utile. Pourquoi en effet voter pour un parti politique qui s'inscrit dès avant la bataille dans une opposition molle ? Au Parti socialiste (PS), les choses au moins étaient claires. A l'exception de quelques éléphants, comme Jean-Christophe Cambadélis, tenus de garder la «vieille maison», tous les candidats socialistes «macron-compatibles» avaient déjà franchi le Rubicon, abandonnant la bannière socialiste ou l'arborant le plus discrètement possible.
Désormais, ce sont les futurs courants de LREM, qui ne manqueront pas de se constituer dès les premières difficultés venues, qui seront en mesure d'incarner l'opposition. Les électeurs qui ne leur ont pas donné mandat pour s'opposer au programme d'Emmanuel Macron, compteraient alors les points, relégués au rang de spectateurs du jeu politique au sein du léviathan LREM.
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Une telle confiscation ne semble pas gêner les grands vainqueurs de la séquence électorale de 2016. Pour Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au Numérique et tombeur de Jean-Christophe Cambadélis, la majorité présidentielle pourra toujours débattre avec elle-même. «Vous allez voir des gens qui vont débattre, qui ne seront pas toujours d'accord. On va enfin remettre de la vie et du débat à l'Assemblée», a-t-il ainsi prophétisé le 16 mai dernier sur France 2. Et d'ajouter : «Ce qui a fait En Marche!, c'est ce débat interne».
CQFD : les Français et les médias ne seront autorisés qu'à commenter de l'extérieur les «débats internes» du Parlement, lequel sera géré comme un parti politique. En l'occurence : La République en Marche.
Alexandre Keller