C'est un séisme qui pourrait bien changer le paysage politique français à tout jamais. Si l'élimination de Benoît Hamon était annoncée, l'échec de François Fillon, crédité de 19,94% des voix selon les résultats quasiment définitifs, signe la défaite électorale des deux grands partis qui ont structuré la vie politique de la Ve République.
Pour reprendre le terme que martèle depuis des années le Front national et qui a fait florès, puisqu'elle a été reprise sous des formes diverses par Nicolas Dupont-Aignan et François Bayrou, lequel parlait de «sarkhollandisation», est-ce donc la fin de l'«UMPS» ? Les électeurs, dans leur envie de faire table rase, semblent avoir fait leur l'expression destinée à dénoncer la proximité idéologique et politique, voire la collusion, entre le Parti socialiste et l'UMP de jadis, aujourd'hui Les Républicains. Et François Hollande, président le plus impopulaire de la Ve République, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Manuel Valls avaient déjà fait les frais du «dégagisme» ambiant lors de la pré-campagne.
Le changement, c'est maintenant, mais ce sont les électeurs qui l'ont fait
Pour en arriver à cette situation inédite, il fallait que les électeurs se détournent à la fois des Républicains et des socialistes. Pour expliquer ce rejet, de nombreuses raisons peuvent être avancées, dont la fameuse «usure du pouvoir». Mais ce n'est pas le cas de François Fillon, dont le parti n'avait pas été aux affaires depuis cinq ans, et qui aurait dû bénéficier du mouvement pendulaire perpétuel de l'alternance. D'autant que le candidat républicain avait su se présenter en homme neuf et faire oublier qu'il avait été le Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans.
En novembre 2016, vainqueur surprise et incontesté de la primaire à droite, François Fillon avait donc devant lui un «boulevard». Les instituts de sondages le voyaient alors non seulement qualifié pour le second tour mais aussi élu largement – à 67 % – face à Marine Le Pen. Mais les révélations du Canard Enchaîné fin janvier 2017 et le feuilleton de l'«Affaire Fillon» allaient empoisonner la campagne du candidat républicain jusqu'au bout, l'empêchant de transformer l'essai de la primaire
En ce qui concerne le PS, en revanche, les raisons qui ont abouti à la marginalisation du grand parti de Jean Jaurès sont plus profondes et vont au-delà de la simple usure du pouvoir.
La revanche des «sans-dents»
Nombreuses – et connues – sont les occasions de divorce entre le Parti socialiste et le peuple de gauche, mais aussi, plus largement, avec ses électeurs potentiels. Pêle-mêle, on se rappellera la faillite morale de la gauche de gouvernement, de Jérôme Cahuzac à Bruno Le Roux, en passant par le «phobique administratif» Thomas Thévenoud. Faillite économique aussi, avec l'échec d'une «inversion de la courbe du chômage» durable, à laquelle François Hollande aura lié très imprudemment son sort. Faillite sécuritaire encore, avec l'arrivée brutale du terrorisme dans le pays.
Faillite sociale, enfin, puisque le «social-isme» n'aura pas su, malgré le discours de façade, réduire les inégalités. Pire, l'imposition par la force de la loi Travail d'inspiration libérale et bruxelloise, alias loi El Khomri, à coups de 49-3, a définitivement révélé le visage libéral d'un parti qui n'a de social plus que le nom.
Pour anecdotique qu'elle soit, l'expression des «sans-dents», employée dans l'intimité pour désigner les pauvres par François Hollande selon Valérie Trierweiler, résume assez bien la rupture entre une «aristocratie» socialiste, mondialiste, bien pensante et moralisatrice d'une part, et le «peuple», d'autre part.
En définitive, cet échec moral et politique vient cruellement en écho à l'anaphore de 2012 du candidat Hollande : «Moi, président...». Echec auquel il faut ajouter des erreurs de stratégie politique à proprement parler, comme le maintien d'une primaire à gauche, destinée initialement à relégitimer un François Hollande, lequel dans le même temps ne s'est pas opposé, pour dire le moins, à l'émergence du phénomène Emmanuel Macron.
De quoi échauder les électeurs des primaires, déboussolés et trahis, à qui les médias ont expliqué qu'ils avaient choisi de mauvais candidats. Et de quoi braquer le reste de l'électorat, resté en observation. Et, pour couronner le tout,
Les primaires, rendez-vous manqués avec le peuple
Dès 2011 pour le PS, et en 2016 pour Les Républicains, les deux partis historiques avaient présenté les primaires comme une avancée démocratique. On allait enfin demander leur avis aux électeurs, plutôt que de leur laisser à choisir entre des candidats désignés par les appareils.
Et, de fait, les électeurs se sont pris de passion pour ces primaires. On leur avait donc octroyé le droit de donner leur avis ? Ils allaient le donner. On voulait leur imposer Alain Juppé à droite ? Les quelque quatre millions d'électeurs de la primaire à droite choisiraient finalement François Fillon. A gauche, ce sera Benoît Hamon plutôt qu'un Manuel Valls, grillé entre autres par la loi Travail, sa dérive sociale-libérale, et sa théorie des «gauches irréconciliables».
A droite comme à gauche, les électeurs aux primaires se sont donné des candidats incarnant à leurs yeux un recentrage sur les fondamentaux de leurs partis respectifs. Une droite traditionnelle et conservatrice pour François Fillon, une gauche anti-libérale, protectrice, et utopiste – dans le bon sens du terme – pour Benoît Hamon.
Seulement voilà, la classe politique alliée aux médias a une fois de plus tenté de passer outre la volonté des électeurs. Une fois de trop et de façon trop visible. Les candidats choisis par les votants ont été broyés, attaqués, contestés, et finalement disqualifiés.
Ainsi de François Fillon qui n'a dû son maintien dans la course qu'à sa ténacité et à sa démonstration de force du Trocadéro. Ainsi de Benoît Hamon lâché par les caciques du Parti socialistes qui, à l'instar de Manuel Valls, s'étaient pourtant engagés à soutenir le candidat de la «Belle alliance».
Car le candidat du Parti socialiste a cumulé les handicaps. Tout à la fois comptable du bilan de François Hollande en tant qu'étiqueté «PS», mais aussi ancien frondeur et critique de l'action du président et de son gouvernement, Benoît Hamon a, malgré lui incarné les contradictions irréductibles de la gauche de gouvernement. Comme l'avoue François Hollande, la «gauche n'est belle que dans l'opposition». Le réel – l'exercice du pouvoir –, en déduit-on, serait donc son ennemi.
En Marche ! : ultime avatar de l'«UMPS» ?
De son côté, Emmanuel Macron a réussi son pari. Inconnu du public en 2014, jamais élu, il a su séduire23,86% des votants selon les résultats quasiment définitifs publiés le 24 avril, notamment sur le théme du renouvellement, et du dépassement du clivage droite-gauche. Cependant, les ralliements massifs des caciques du Parti socialiste au mouvement En Marche !, destiné à devenir un nouveau parti après la présidentielle, les rumeurs d'accords électoraux entre le PS et En Marche ! pour les investitures aux élections législatives ont fait tomber le voile. Le premier tour de l'élection présidentielle signe certes la fin du clivage gauche-droite, mais surtout l'émergence de l'opposition entre mondialistes et souverainistes.
Alexandre Keller