Fréquemment évoquée lors des primaires de la droite et de la gauche, la Russie ne pouvait être absente du premier grand débat entre prétendants à l'Elysée, le soir du 20 mars, sur TF1. Et, cette fois encore, ce thème a révélé de profondes divergences de points de vue entre candidats – et des «alliances» de circonstance peu habituelles.
Lorsqu'a été soulevée la question des frontières issues de l'ex-Union soviétique, le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a exprimé sa volonté de discuter, notamment avec la Russie, de leur redéfinition : «En Europe, la première chose à faire, c'est une conférence de sécurité de l'Atlantique à l'Oural, parce que toutes les tensions viennent du fait que, quand l'empire soviétique s'est écroulé, personne n'a négocié les frontières avec qui que ce soit», explique-t-il.
Poussé alors par son adversaire du Parti socialiste (PS) Benoît Hamon à détailler ses propos, l'ex-dirigeant du Front de gauche prend l'exemple de la Crimée : «La frontière entre la Russie et l'Ukraine est-elle à la fin de la Crimée ou avant ? Qu'est-ce qu'on applique ? [...] Pour ma part, je vois bien les liens entre la Crimée et la Russie mais on doit en parler.»
Ça ne sert à rien de se montrer armés jusqu'aux dents en face des Russes
Ces considérations ont effrayé le socialiste, qui les a jugées «extrêmement dangereu[ses]». Pour le vainqueur de la primaire de la «Belle alliance populaire», en effet, le rattachement de la Crimée à la Russie n'est pas «acceptable», et Moscou se rend ni plus ni moins coupable «d'entretenir une guerre» en Ukraine. «Ça ne sert à rien de se montrer armés jusqu'aux dents en face des Russes», lui rétorque Jean-Luc Mélenchon, ce à quoi Benoît Hamon répond que mieux vaut «arriver avec quelques arguments» lorsqu'il s'agit de traiter avec Vladimir Poutine...
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Fillon et Mélenchon d'accord sur la nécessité de dialogue avec la Russie
Le candidat de la France insoumise trouve néanmoins un appui inattendu, sur cette thématique, en la personne de François Fillon. Le candidat des Républicains assure en effet que le rétablissement de rapports de «confiance» entre Paris et Moscou est un projet qui le «rapproche» de Jean-Luc Mélenchon.
Semblant juger ce positionnement audacieux, le journaliste Gilles Bouleau demande alors à François Fillon de s'expliquer : «Vous pensez que la Russie de Vladimir Poutine, qui a annexé la Crimée en violation du droit international, est un partenaire digne de confiance ?» Le champion de la droite rétorque : «Nous mêmes, nous avons modifié des frontières», et notamment «par la force», comme au Kosovo. Ce territoire à majorité albanaise a en effet été reconnu comme Etat par une partie de la communauté internationale, après que l'OTAN a conduit des raids aériens contre les autorités serbes en soutien aux séparatistes albanais, dans la fin des années 1990.
Poursuivant sur sa lancée, le vainqueur de la primaire de la droite se livre à une attaque en règle du néoconservatisme à l'occidentale : «Nous pensons qu'on peut tout faire, qu'on peut envahir l'Irak, qu'on peut régler l'ordre dans toute une partie du monde... Mais nous pensons qu'il n'y a que nous qui avons le droit de le faire, parce que nous sommes "les combattants de la liberté"». Des propos dans la veine de ses prises de position sur la politique étrangère durant la campagne des primaires.
Le Pen à Fillon : «Et la Libye ?»
Dans le même ordre d'idées, François Fillon fait ensuite l'éloge du «droit des peuples à disposer d'eux mêmes»... ce dont Marine Le Pen profite pour rappeler sa fonction de chef du gouvernement, sous Nicolas Sarkozy, lorsque la France a co-organisé le renversement des autorités libyennes, en 2011.
Eludant ce sujet douloureux, le candidat de la droite développe ensuite des propos similaires à ceux de Jean-Luc Mélenchon sur les frontières héritées de l'ex-Union soviétique, déclarant que certaines d'entre elles avaient «séparé des peuples».
Plus tard dans la soirée, le Sarthois invoquera de nouveau la Russie, afin de la décrire comme un partenaire indispensable dans la guerre internationale menée contre le «totalitarisme islamique» – un autre sujet de désaccord entre les candidats de la présidentielle, qui ne devrait pas manquer d'être approfondi lors des futurs débats.
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