RT : Monsieur le général, vous êtes présent aujourd'hui à la Ve conférence sur la sécurité internationale de Moscou. Nous avons remarqué que, parmi les participants présents, il y avait de grandes différences dans la définition du terrorisme et la vision de ce qui est considéré comme une organisation terroriste. A votre avis, une telle divergence de vues sur la notion même de «terrorisme» peut-elle conduire à l'échec de la conférence ou est-elle un facteur permettant de trouver un dénominateur et une compréhension communs ?
Hossein Dehghan (H. D.) : Je crois que si nous examinons la situation politique, en mettant de côté les concepts politiques, nous pouvons très facilement parvenir à une compréhension commune du terme «terrorisme». Tout d’abord, l’Occident a toujours essayé de dépeindre comme terroriste toute personne, de n’importe quel coin du monde, qui cherche à s’opposer à ses objectifs et ses intérêts globaux. Nous ne sommes pas d’accord avec cette définition. La lutte des peuples ou des personnes pour leurs droits est juste. Nous ne considérons absolument pas cela comme du terrorisme. Prenons par exemple le peuple palestinien, les organisations palestiniennes qui luttent contre Israël... Pour nous, ils défendent une cause juste. Ces organisations veulent le rétablissement des droits historiques de leur peuple. Ils luttent contre les usurpateurs et les agresseurs.
Il existe une politique du deux poids deux mesures qui définit le terrorisme conformément aux intérêts des Etats-Unis
J’estime que la situation en Syrie n’est pas si difficile à comprendre. Les terroristes doivent être séparés du reste. Il y a des gens qui ont pris les armes, mais ne les dirigent pas contre le peuple. Cependant, nous considérons l’Etat islamique et le Front Al-Nosra comme des organisations terroristes. Nous croyons que le monde entier devrait aider l’Irak et la Syrie à détruire ces terroristes. Leur activité ne se limite pas à ces deux pays. Aujourd’hui, ces groupes menacent la Russie, les pays d’Asie orientale et d’Asie centrale. Toutes les régions mentionnées sont menacées par ces gangs. Je crois qu’on a besoin de s’unir pour les exterminer.
Il y a une certaine ambiguïté à lever : il n’existe pas de bon ou de mauvais terrorisme. Il existe une politique du deux poids deux mesures qui définit le terrorisme conformément aux intérêts des Etats-Unis et qui ne permet pas de lutter contre lui.
RT : Beaucoup affirment que les principaux signes de crise dans la région émanent du contexte de différends politiques, militaires et philosophiques entre Téhéran et Riyad. Peut-on espérer établir un dialogue entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui puisse mettre fin à ces divergences ?
Notre révolution portait un message clair d’assistance aux opprimés. Cela n’implique pas la lutte armée ni l’ingérence dans les affaires de ces peuples.
H. D. : Nous avons réfléchi à ce sujet. Je voudrais souligner qu’il n’y a pas de différences entre les chiites et les sunnites, selon nous. Nous sommes tous musulmans, nous croyons tous en Allah unique et en son prophète Mohammed, que Dieu le bénisse et lui accorde le salut. Nous acceptons tous le Coran comme la Sainte écriture – nous croyons en tout cela. Tous les problèmes que nous rencontrons sont causés par le wahhabisme et le salafisme. Lorsque le wahhabisme est apparu en Arabie saoudite, le monde islamique a fait face à tous ces problèmes. Les wahhabites cherchent à diviser les chiites et les sunnites. C’était la politique britannique depuis le départ : elle a été menée pour diviser le monde islamique.
Le slogan de notre révolution en Iran, c’était l’unité du monde islamique. Nous faisons tout notre possible pour y arriver. Nous essayons d’atténuer toutes les divergences entre les différents courants de l’islam. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite a choisi d’emprunter un mauvais chemin. Elle n’agit pas dans l’intérêt des Arabes. Cette orientation vise à saper ses relations avec la République islamique d’Iran, qui chercherait à prendre le contrôle de certains pays par sa présence et par son ingérence dans leurs affaires. Cela ne fait pas partie de notre politique étrangère de quelque manière que ce soit. Il est important pour nous que les peuples musulmans soient forts, que les pays islamiques soient puissants, que les pays islamiques et leurs peuples ne vivent pas sous le joug de la tyrannie, qu’ils puissent vivre conformément à leurs convictions et dans la paix. Notre révolution portait alors un message clair d’assistance aux opprimés. Cela n’implique pas la lutte armée ni l’ingérence dans les affaires de ces peuples. Je veux souligner qu’il n’y a rien de tel dans la politique internationale de l’Iran. Ce message ne signifie pas que l’Iran, par la force, cherche à trouver sa place parmi les autres Etats. Les choses ne sont pas comme ça, nous n’avons jamais poursuivi de tel but. Nous ne violons pas les frontières de nos voisins, ni leurs droits. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires des autres.
La République islamique d'Iran n'a pas d'unités militaires luttant sur le sol syrien
RT : Dans le dossier syrien, la République islamique d'Iran a accordé une grande assistance à la Syrie et y a perdu des hommes. On entend dire que les dépenses militaires de l'Iran affectées à la Garde révolutionnaire (GRI, Corps des Gardiens de la révolution islamique) ont dépassé les dépenses consacrées à l’armée traditionnelle. Est-ce vrai ?
H. D. : Vous voyez, nous sommes venus en Syrie à la demande du gouvernement légitime de Syrie. Tout ce que nous y faisons est fait en accord avec la volonté de son gouvernement. Ce n'est en aucun cas une intervention militaire et nous n'acceptons aucune intervention allant au-delà des limites de l'assistance demandée par le gouvernement légitime du pays. Et même en ce qui concerne les armes, la Syrie nous en achète conformément au traité qui lie nos deux pays. C'est pourquoi tout cela est une guerre psychologique visant à terroriser le peuple syrien. On dit que l'Iran a certains intérêts là-bas, c'est pourquoi il y est actif. On dit qu'il y a des centaines de morts. Mais, comme vous le savez, toute guerre implique des sacrifices. Notre présence en Syrie est consultative et parfois liée à la formation. La République islamique d'Iran n'a pas d'unités militaires luttant sur le sol syrien. Ce n'est pas pour cela que nous sommes là.
Si l'Amérique changeait de politique et agissait comme un Etat normal, comme les autres pays, nous pourrions parler de liens
RT : Est-il vrai que l'un des pays de la région fait des efforts de médiation pour établir des contacts entre l'Iran et les Etats-Unis ? Le président iranien Hassan Rohani est connu pour être un négociateur flexible. En 1985, il avait eu l'occasion de négocier avec les Américains, lorsqu'il était conseiller en politique étrangère. Il a également négocié avec succès le dossier du programme nucléaire iranien. S'il remporte la prochaine élection présidentielle, il pourrait atteindre une compréhension mutuelle avec l'administration américaine. Pensez-vous qu'il soit vraiment possible qu'Iraniens et Américains se comprennent ?
H. D. : Nous n'acceptons pas l'idée d'un Etat médiateur et il n'est pas acceptable, pour quiconque, d'être notre médiateur. Dans la situation actuelle, nous n'avons rien à dire à l'Amérique, qui se mêle des affaires des autres partout. Il ne peut y avoir de dialogue visant à renforcer des liens. Je pense que si l'Amérique changeait de politique et agissait comme un Etat normal, comme les autres pays, nous pourrions parler de liens. Mais les Etats-Unis tels qu’ils sont aujourd’hui ne peuvent pas être notre partenaire. Quant aux tentatives de Hassan Rohani d'établir des liens avec Washington, c'est de la fiction. Notre politique étrangère n'est pas ambiguë. Hassan Rohani est sans aucun doute fidèle aux politiques de son Etat.
RT : Vous attendez-vous à ce que de la position des Etats-Unis évolue en fonction des résultats de l'élection présidentielle iranienne ? Les Etats-Unis vont-ils vraiment miser sur la victoire d'un candidat en particulier ? Ou poursuivront-ils une politique hostile à l'égard de l'Iran, indépendamment de qui sera au pouvoir ?
H. D. : Les paroles restent des paroles. Tout le monde dit ce qu'il veut. Mais la réalité est complètement différente. Si les Américains se croient capables d'influencer les élections, c'est une grande illusion, parce que notre peuple est conscient, il sait qui est son ennemi et il ne fait pas ce que souhaite l'ennemi, bien au contraire. Les Américains, les Britanniques et leurs différents canaux d'information cherchent à imposer la position d'une partie au détriment de l'autre, mais nous leur disons que ce n'est pas tout à fait comme cela que ça se passe. Notre peuple prend des décisions en fonction des circonstances dans lesquelles il vit, c'est pourquoi il va voter. Nos concitoyens ne se préoccupent pas trop des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, parce qu'ils sont pleinement conscients que ces pays ne leur viendront pas en aide en cas de problème. Les Iraniens doivent eux-mêmes assurer leur grandeur, ce qu'ils font depuis déjà plus de trente ans. Notre peuple se dirige consciemment sur une voie claire, à la poursuite de ses objectifs, dans le cadre des conditions dans lesquelles il vit, sans pour autant perdre de vue son but principal.
Ceux qui viendront à Astana vont confirmer par leur présence qu'ils rejettent le terrorisme
RT : Au début du mois de juin, il y aura une autre série de pourparlers inter-syriens à Astana. On sait que l'Iran est l'un des trois pays garants de la trêve. Qu'attendez-vous de cette prochaine session, étant donné que les précédentes séries de pourparlers à Astana n'ont pas abouti à des résultats tangibles ? Quel pourrait être le rôle politique de l'Iran dans la résolution pacifique de la crise syrienne ?
H. D. : Tout d'abord, les pourparlers à Astana sont des négociations positives visant à réunir l'ensemble de l’opposition. Les négociations continueront avec la participation des dissidents et des partisans de la Syrie. Il est important que les parties impliquées dans ces négociations soient syriennes et pas celles qui représentent les pays soutenant le terrorisme international. Les parties prenantes aux négociations d'Astana ne défendent pas le terrorisme, comme c'était le cas à Genève. Quant à Astana, celui qui vient et qui dit qu'il n'est pas terroriste peut y participer. De cette façon, on peut comprendre qui est terroriste et qui ne l'est pas. C'est grâce à ces négociations que la sincérité des intentions dans la lutte contre le terrorisme peut être confirmée. Ces négociations permettront de voir qui sont ceux qui détruisent et tuent les gens. Ce sont eux les terroristes. Ceux qui viendront à Astana vont confirmer par leur présence qu'ils rejettent le terrorisme. Ceux qui viendront à Astana auront néanmoins leurs propres revendications et des opinions opposées. L'objectif d'Astana est de rendre le processus de négociation influent. Les négociations doivent se poursuivre et doivent aboutir. La question la plus importante à l'ordre du jour est le maintien du cessez-le-feu en Syrie. Il doit être garanti. Il faut aussi évoquer la distribution de l'aide humanitaire, le déblocage des routes ainsi que la libre-circulation de la population. Le cessez-le-feu doit aussi évidemment assurer la cessation des hostilités et les transferts d'armements. Une fois la situation plus calme, les négociations politiques pourront commencer. Tout cela doit être fait, et les gens doivent en même temps avoir le droit de décider de leur propre destin.
RT : Une fois Daesh détruit en Syrie et en Irak peut-il y avoir une sorte de triple alliance entre l'Irak, l'Iran et la Syrie ?
H. D. : Des rumeurs concernant la création du «croissant chiite» ou même de la «lune sunnite» se propagent en effet. Mais ces rumeurs visent à créer des problèmes au sein des communautés musulmanes. C'est absolument inacceptable.
RT : Il ne s'agit donc pas de créer un «croissant» (allusion au croissant chiite : Iran, Irak, Syrie et Liban), parce qu’il y a dans ces pays une pléiade de nationalités et de dénominations différentes ?
H. D. : Nous saluons la création du système islamique mondial. Quel rapport avec la «lune» et le «croissant» ? Nous sommes une grande Oumma. C'est ce que nous défendons.