Entretiens

Jacques Cheminade : «La situation est aussi grave que lors de la crise des missiles de Cuba»

Le candidat à l’élection présidentielle nous a reçu au siège de sa formation politique, Solidarité et progrès. Son constat grave sur la situation mondiale est nuancé par une bonne dose d’optimisme.

«Oui, je serai candidat en 2017.» Lundi 4 avril sur le plateau de France 2, c’est un homme motivé et sûr de ses idées qui s’exprime. Jacques Cheminade, président du parti Solidarité et progrès, rejoint à nouveau l’arène. C’est la sixième fois. En 1981, 1995, 2002, 2007 et 2012, il s’était déjà lancé dans la courses aux parrainages. Deux fois avec succès. En 1995 et en 2012, la France a appris à connaître, le temps d’une campagne, ce candidat iconoclaste que certains journalistes regardent avec curiosité. Lors de la dernière présidentielle, son programme sur la politique spatiale lui a valu les moqueries d’une partie de l’establishment médiatique, intellectuel et politique. Pourtant, le vieux briscard a des choses à dire. Economie, risques de conflits, «Panama papers», «Nuit debout», 2017, Jacques Cheminade nous a reçu afin d’évoquer une large palette de sujets.

Cheminade en «accoucheur de la nouvelle génération» ?

Le mouvement citoyen né de la mobilisation contre la loi Travail intéresse forcément les politiques de tous bords. Jacques Cheminade ne fait pas exception à la règle. S’il salut «l’envie de changement» des noctambules, il parle d’une colère «manipulée» par «différentes sources» et pas «seulement par l’extrême gauche». Il verrait bien cette mobilisation en terreau fertile où planter les graines de ses idées. Et pourquoi pas, les laisser germer. «Ils ne veulent plus du système mais n’ont aucune idée de comment le changer», analyse le candidat à propos des manifestants. C’est là qu’il intervient. En 2012, Jacques Cheminade avait fait 0,25% des voix. Il compte sur les événements à venir pour changer la donne et bousculer l’ordre établi. Histoire de faire entendre ses idées et pourquoi pas, les mettre en pratique. 

«Le 23 juin vous avez un vote sur le brexit. Le 26 juin l’Espagne votera à nouveau car personne n’arrive à former un gouvernement. L’Europe va être secouée. De plus, vous aurez à un moment ou à un autre, un effondrement du système monétaire et financier international. Les conséquences sociales seront terribles. Et reste le risque très élevé d’attentats terroristes

Pour le président de Solidarité et progrès, ces troubles sont de natures à changer la nature d’une élection. Il prend l’exemple de Bernie Sanders. «Aux Etats-Unis, qui aurait misé un cent sur sa candidature ?», s’interroge-t-il. De là à se mettre dans la peau du Bernie Sanders français, il y a un pas qu’il se refuse de franchir. Il se voit plutôt comme quelqu’un qui «désigne l’horizon», «un accoucheur de la nouvelle génération».

Pour se faire, il va devoir composer avec la nouvelle loi de modernisation de l’élection présidentielle votée début avril. Selon plusieurs observateurs, dont lui-même, son véritable but est de «verrouiller» les petits partis. Il n’hésite pas à la qualifier de «loi scélérate». Le texte ne respecterait pas l’équité qu’il prétend préserver et favoriserait «les gros, ceux qui sont en place». Le leader de Solidarité et progrès regrette tout particulièrement que cette modernisation des règles ne s’attaquent pas au montant alloué aux candidats qui, depuis son instauration par le général de Gaulle, n’a eu de cesse de baisser. Un système qui favoriserait «le régime des partis».

La refonte du système financier mondial, l’un des combats de sa vie

Il suffit de s’intéresser à l’analyse que fait Jacques Cheminade de l’affaire des «Panama papers» pour avoir un aperçu de son paradigme : «C’est une petite partie de l’iceberg. Ce n’est que la conséquence d’un système organisé autour de Wall Street et de la City.» Il fait remonter les causes aux années 50-60, «quand les banques anglo-saxonnes ont délocalisé leurs opérations dans ces systèmes offshore». «Ils ont imposé une dérégulation à l'échelle du monde. C’est ce système qui est à la base de la destruction de l’économie de toute la région transatlantique. Dans cette finance, on privilégie toujours le court terme à une vraie vision politique à long terme», souligne-t-il.

Jacques Cheminade évoque «la dimension politique» de l’affaire : «Il y a une volonté de discréditer Poutine et Xi-Jinping.» Il en profite pour tancer un David Cameron «éclaboussé par le scandale» qui organisera le 12 mai une grande conférence contre la corruption à Londres.

Son visage redevient sérieux au moment d’évoquer l’économie mondiale : «La question n’est pas de savoir si elle sera détruite, mais quand.» Pour repartir sur des bases saines, le président de Solidarité et progrès propose «d’imposer un nouvel ordre financier, monétaire, économique et international qui soit orienté vers la production réelle de biens et le développement économique».

Comment ? En passant notamment par ce qu’il appelle «la nouvelle route de la soie». «Les Chinois sont habiles. Ils mettent progressivement en place des structures comme la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures ou la banque de développement avec ses alliés des BRICS. D’un autre côté ils achètent massivement de l’or physique, tout comme la Russie d’ailleurs, dans une logique d’anticipation de l’explosion du système monétaire. On voit que peu à peu, se dessine une alternative au système en place, dominé par l’Occident», explique-t-il. Son espoir réside dans la mise en place d’un système orienté vers du crédit productif public qui aille directement à l’industrie «comme cela pouvait être le cas en France sous de Gaulle tout en ne négligeant pas la politique sociale».

Jacques Cheminade prône une intégration économique à un niveau international. Un schéma dans lequel la France aurait «des atouts dans le numérique, la robotique et le nucléaire». En résumé : une coopération de Nations qui s’accordent pour mettre en place de grands projets physiques et humains de développement. Le projet nécessiterait la mise en place d’un «nouveau Bretton Woods». Un système monétaire international basé «sur une référence qui serait un panier de matières premières».

Lorsqu’on lui demande si la Chine acceptera de traiter un pays comme la France en partenaire, au lieu de tenter d’imposer sa domination, Jacques Cheminade fait cette réponse : «A l’époque de Mao-Zedong, qui était un ignoble dictateur, le général de Gaulle a tout de même reconnu la Chine car quand on cherche l’indépendance, on ne met pas tous ses oeufs dans le même panier. On peut être un allié extrêmement critique des Etats-Unis tout en cherchant une référence en Chine, en Russie ou en Inde. La Chine dit qu’elle veut être un partenaire dans une relation d’égal à égal. J’ai envie de la croire car si on ne fait pas ce système de partenariat à l’échelle du globe, on court à la guerre.»

La troisième guerre mondiale, c’est pour demain ?

La guerre justement, il la craint. «Les gens ne s’en rendent pas compte, mais la situation est aujourd'hui aussi grave que lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.» Il s’explique : «Les Etats-Unis sont dans une stratégie d’endiguement de la Russie. Si la situation continue de s’envenimer, ils n’excluent pas un recours à l’arme nucléaire. Et les Russes disent la même chose en cas de menace sur leurs intérêts vitaux ou ceux de leurs alliés.» Il rappelle le projet de bouclier anti-missiles américain positionné à proximité de la Russie et qui irrite fortement Moscou. «Il suffirait d’une étincelle, d’une escalade pour avoir une guerre nucléaire.»

Pour réaliser son projet, Jacques Cheminade souhaite sortir de l’Union européenne, de l’euro et de l’OTAN, «trois choses associées». «On ne peut pas rester dans un système qui nous détruit. Je suis pour une vrai politique européenne de développement mutuel», assène-t-il. L’occasion de citer à nouveau de Gaulle : «L’Europe des patries et des projets.» Il fait un distinguo clair entre le nationalisme «qui représente l’animosité envers les autres» et le patriotisme «qui permet d’agir en coordination avec d’autres Nations pour faire une politique meilleure». «Charles de Gaulle disait "l’Europe de l’Atlantique à l’Oural", moi je dis "l’Eurasie de Lisbonne à Vladivostok"», souligne-t-il. Quitte à composer avec la souveraineté : «S’il y a de réels projets de développement, alors il faudra des délégations de souveraineté.»

Un nouveau plan Marshall pour les migrants

C’est une différence fondamentale avec le programme du Front national. Et ce n’est pas la seule. «Chez Solidarité et progrès on est dans une tradition d’accueil», aime-t-il rappeler. Concernant la crise migratoire, Jacques Cheminade pointe la responsabilité des élites occidentales : «A partir de la guerre en Irak, on a désintégré ces pays, cette crise était prévisible.» Il regrette «qu’on ait créé cette situation sans avoir mis les moyens d’y répondre». Et se désole : «Avec le budget alloué à l’apprentissage du français, seuls 25% des primo-arrivants peuvent en bénéficier. On ne peut même pas leur apprendre la langue. Et on a rien fait pour les camps qui se trouvent en Jordanie, au Liban ou en Turquie. Ils sont dans un tel état qu’il était certain que ces gens voudraient s’en aller et venir en Europe.»

Jacques Cheminade propose ni plus ni moins qu’un nouveau plan Marshall visant à aider les pays d’origine de ces migrants à se développer et ainsi leur permettre de rentrer chez eux. Autre point essentiel : la victoire contre Daesh. Il tacle le bilan d’un Laurent Fabius qui «n’aurait rien vu, ou trop vu avec les yeux de Washington et de Londres». Il salue l’intervention russe qui a permis «de stabiliser la situation et d'éviter la désagrégation de la Syrie». Selon lui, il est essentiel de s’attaquer aux finances de l’Etat islamique, notamment aux circuits qui permettent à l’organisation de blanchir de l’argent. Tout un programme.