Privatisation du rail ? La Grande Bretagne l’a fait... et c’est un échec pour les usagers
Prix six fois supérieurs à la moyenne en Europe, retards, service déplorable, grèves : les conséquences de la privatisation du rail il y a plus de 20 ans en Angleterre seront-elles les mêmes en France, où le gouvernement entend réformer la SNCF ?
L'ouverture à la concurrence des lignes TGV en 2020 et des lignes TER d'ici à 2023, qui a notamment coûté aux cheminots leur statut, serait-elle un pas vers une privatisation progressive du rail français ?
Au Royaume-Uni en tout cas, le processus a été lancé en 1993 et le résultat pose question.
Une hausse des prix incontrôlable
En 1993, le secrétaire d'Etat britannique au Transport John MacGregor vantait les bienfaits de la privatisation : «Je ne vois aucune raison pour laquelle les tarifs devraient augmenter plus rapidement avec des entreprises privées. Au contraire, ils seront plus flexibles et baisseront.» Mais en réalité, entre 1995 et 2015, le prix d'un billet de train au Royaume Uni a augmenté en moyenne de 117%. Le prix des billets annuels a augmenté de 27% entre 2010 et 2017 selon des calculs du parti de gauche Labour, communiquées par le quotidien anglais The Guardian. Selon les estimations, les Anglais dépenseraient environ six fois plus que les Européens en moyenne pour leurs déplacements en train.
Un grand nombre de trains a été supprimé au Royaume-Uni, et c'est ce que préconise le rapport Spinetta sur la SCNF remis au gouvernement français. Pour protester contre les restrictions économiques, les grèves s’enchaînent en Grande-Bretagne et on a pu dénombrer 33 jours de grèves pendant l'année 2016 selon La Tribune. La situation est la plus critique dans le Sud, où, pour l’anecdote, le train de 7 heures 29 sur la ligne Brighton-Londres n'est pas arrivé une seule fois à l'heure en 2014...
Here's how rubbish our fragmented rail system is.
— Ianeditz (@ianeditz) 1 mars 2018
We have booked a train ticket from Bromley Cross to Euston on Saturday but the local trains are on strike.
The replacement bus will mean we will miss our connection at Picadilly
Our @VirginTrains ticket is non transferable :-(
Le Royaume-Uni a connu une grève monstre en décembre 2016 qui a touché 300 000 voyageurs. Le Premier ministre Theresa May avait déclaré à l’époque que les grèves provoquaient un chaos «totalement inacceptable» et témoignaient d'un «mépris pour les gens ordinaires». A l'origine de cette immense paralysie des chemins de fer, la volonté de supprimer la tâche de fermeture et ouverture des portes dévolue au chef de train pour la conférer au conducteur.
Comme l’a expliqué à RT France le syndicaliste de Sud Rail Bruno Poncet à propos du cas de la France : «Les boites privées, pour gagner en profit, vont rogner sur la sécurité.».
Quelles compagnies assurent les transports aujourd’hui en Grande-Bretagne ?
25 sociétés ont mis la main sur le rail anglais, dont certaines détenues partiellement ou en totalité par des entreprises étrangères, comme la Deutsche Bahn (Allemagne) ou Keolis, filiale de la SNCF.
Le chiffre d’affaires de ces franchises a atteint 12,4 milliards de livres en 2016 (environ 14 milliards d'euros), pour des dépenses de 12,1 milliards de livres (plus de 13,5 milliards d'euros). Les opérateurs se sont partagé 327 millions d’euros de bénéfices en 2015-2016. A noter que l'Etat octroie aussi des subventions aux lignes déficitaires pour un montant de 4,6 milliards d'euros en 2015-2016. Ce qui constitue pour les Britanniques une double peine : des billets à des prix exorbitant d'un côté et une partie de leurs impôts réservée aux compagnies privées de l’autre.
Seul l’entretien des voies est revenu dans le giron du service public après deux accidents mortels survenus l'un en octobre 1999 à Ladbroke Grove qui avait fait 35 morts et 558 blessés, et l'autre à Hatfield, en octobre 2000 qui avait fait 4 morts et 70 blessés. En cause : la vétusté des rails.
La renationalisation en question
Selon un sondage de 2016, commandé à l'agence Survation par l'association We Own It qui milite pour la renationalisation des services publics, 58% des Britanniques estiment que la privatisation du rail fut un échec. La renationalisation est aussi souhaitée par certaines personnalités politiques comme Jeremy Corbyn, le chef du Parti travailliste, qui l'a inscrite au menu de ses programmes. «Le parti travailliste mettra fin à 20 ans d'expérimentations de la privatisation du rail qui a fait passer les bénéfices devant les passagers», a-t-il écrit sur son compte Twitter en mars 2017.
Labour will end the failed twenty year experiment with rail privatisation which puts profiteers before passengers https://t.co/zuKEyATqeF
— Jeremy Corbyn (@jeremycorbyn) 27 mars 2017
Vers une privatisation du rail en France ?
Le Premier ministre Edouard Philippe, s’il a annoncé que le statut de cheminot allait être supprimé pour les nouvelles recrues, a aussi promis que la SNCF ne serait pas privatisée et que les petites lignes ne seraient pas supprimées. Le rapport Spinetta recommandait de faire passer la SNCF en société Anonyme pour mettre un frein à la dette galopante de l'entreprise. Néanmoins ce procédé pourrait sous-entendre un désengagement progressif de l’Etat car il prévoit une ouverture du capital.