L’accord commercial entre l'UE et le Royaume-Uni pris au piège de la frontière irlandaise
Le Royaume-Uni a finalement accepté de payer près de 50 milliards d’euros pour solder sa sortie de l’UE. Mais un imbroglio juridique lié à la frontière irlandaise bloque les négociations sur l'accord commercial qu'il tente de négocier avec l'UE.
Le Premier ministre britannique Theresa May et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker déjeuneront le 4 décembre, à Bruxelles, pour discuter de l’avancement des négociations sur le Brexit. L’enjeu de cette rencontre est crucial pour l’ouverture de la phase 2 des négociations, laquelle porte sur un accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE). Celui-ci est attendu avec impatience par les plus grandes entreprises notamment financières, britanniques ou internationales installées au Royaume-Uni, car un Hard Brexit, c’est-à-dire une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord commercial, nuirait à leurs relations d'affaires avec le continent.
C’est au point que la livre sterling a connu une hausse significative, face au dollar, le 29 novembre dernier, lorsque le Financial Times, quotidien de référence de la City, a annoncé : «La Grande-Bretagne s’est inclinée devant les exigences de l’Union européenne et a accepté d’honorer intégralement ses engagements financiers tels qu’ils ont été définis par Brxuelles.» Le montant de la facture du divorce pourrait représenter plus de 50 milliards d’euros.
La résolution juridique des problèmes à la charge exclusive du Royaume-Uni
Mais Londres est loin d’être sorti d’affaires. Parmi les trois dossiers sur lesquels l’Union européenne attend des «progrès suffisants», selon la formule consacrée, restent encore deux dossiers : celui du sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni, et surtout, le règlement du problème de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Un casse-tête juridique à la charge quasi-exclusive du Royaume Uni.
En effet, depuis 1923 existe entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande un accord sur l’Espace de voyage commun (Common Travel Area Act) comparable à l’espace Schengen en ce qui concerne les règles de franchissement de la frontière entre les deux Etats, réduites au strict minimum. Il a été révisé et enrichi depuis, à plusieurs reprises, et complété en 1998, 25 ans après l’adhésion de l’Irlande et du Royaume-Uni à l’union européenne, par l’accord du Vendredi saint (Good Friday Agreement).
Les deux accords britanno-irlandais prévoient plus de 100 domaines de coopération politique, économique, sociale et administrative, qui régissent la vie quotidienne des six millions et demi d’habitants de l’île d’Irlande (Nord et Sud). Par exemple, les citoyens d'Irlande du Nord, sont libres de devenir irlandais ou d'avoir les deux citoyennetés. Par ailleurs, une personne habitant à proximité de la frontière, aujourd’hui abstraite, est libre de se faire soigner de l’autre côté, si c’est là que se trouve l’hôpital le plus proche, aux mêmes conditions que dans son pays de résidence.
L'économie Britannique plombée par l'affaiblissement de la livre Sterling#economie#RoyaumeUni#France#Europe#Brexithttps://t.co/kjZeC9y69m
— RT France (@RTenfrancais) 24 novembre 2017
Mais, le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, remet automatiquement en cause la validité de ces accords, dans la mesure où ils ont été soit transposés en droit européen, soit lui sont intégrés pour leur mise en œuvre et y font directement référence.
Or le 7 septembre, dans ses orientations politiques, le Conseil européen avait statué que «l’accord du Vendredi saint et le processus de paix [devaient] être protégés dans tous leurs aspects». Le même jour, Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission européenne, avait déclaré : «Nous souhaitons minimiser […] les conséquences, pour l'île d'Irlande, de la décision du Royaume-Uni de quitter l'UE. Toutefois, comme la décision de quitter l'UE est celle du Royaume-Uni, c'est à ce dernier qu'il appartient de proposer des solutions pour surmonter les défis auxquels l'île d'Irlande doit faire face.»
Cela signifie clairement que, bien que la déchéance de la portée des accords entre l’Irlande et le Royaume-Uni soit liée en partie à leur intégration dans le droit européen, c’est au Royaume-Uni d’imaginer le cadre juridique pour le maintien de l’ensemble de leurs dispositions. Mais, pour régler les innombrables problèmes juridiques posés par le Brexit, encore faudrait-il en connaître la liste.
.@MichelBarnier#Brexit#EPlenary « Nous n’avons pas encore réalisé aujourd’hui sur ces 3 sujets le progrès suffisant... » @Europarl_ENpic.twitter.com/bqDP17Z2Cx
— Daniel Ferrie (@DanielFerrie) 3 octobre 2017
Personne ne connaît la liste des problèmes juridiques à résoudre
Et l'on en est encore loin. Par exemple, il a été demandé à Karen Wheeler, directrice générale de la coordination frontalière pour le Service des recettes et douanes de Sa Majesté, le 22 novembre, dans le cadre des auditions du comité des Comptes publics : «Apparemment nous avons une situation problématique avec l’Irlande du Nord et la frontière terrestre ; il y a 300 points de passage où les hommes et les marchandises peuvent circuler librement. De votre point de vue et selon le programme de votre équipe, quels sont les enjeux spécifiques associés au programme de ces changements entre le Royaume-Uni et la République d’Irlande ?». Or, Karen Wheeler n'a pu que répondre : «Je ne suis pas vraiment capable de le dire.»
Selon nos informations, on n’est guère plus avancé à la Commission européenne, où l’on continue néanmoins d’exiger du Royaume-Uni qu’il propose des solutions «souples et imaginatives» à une série de problèmes qui n’ont été délimités et énumérés dans aucun document de référence. Une étude juridique commandée par le comité des affaires constitutionnelles du Parlement européen (AFCO), donne la mesure de ce flou et du caractère hypothétique de la résolution de cet imbroglio juridique : «Il est certainement possible de contenir au maximum l’effet de rupture que le retrait du Royaume-Uni aura sur le précieux contexte partagé d’intégration basée sur l’Union européenne dans lequel l’accord a été mis en œuvre.»
En attendant, la pression s’accroît sur le Royaume-Uni. Ainsi le 9 novembre, un haut diplomate de l'UE avait déclaré à l’AFP : «Tout est prêt [pour commencer des négociations commerciales] dès le 1er janvier», mais il avait ajouté : «Si nous n'avons pas tout scellé fin novembre ou la première semaine de décembre [sur les préalables des 27], cela reporte à février ou mars.»
L'Irlande pourrait opposer son veto
Enfin, si l’Irlande n’obtenait de la part du Royaume-Uni la satisfaction de ses exigences, elle pourrait opposer son veto à l’accord recherché par le Royaume-Uni. D'ailleurs, le président du Conseil européen Donald Tusk a prévenu le 1er décembre que si la proposition britannique pour régler la question de la frontière irlandaise après le Brexit était «inacceptable pour l'Irlande», elle le serait également pour l'UE.
[Le Premier-ministre irlandais] ferait mieux de la boucler sur le Brexit et de devenir adulte !
Dans ce contexte, insultes et réactions outragées fusent de la part des partisans du Brexit excédés par cette situation. Récemment le Sun s’en prenait violemment à Leo Varadkar le jeune (38 ans) Taioseach, ou Premier ministre irlandais, en écrivant en une qu’«il ferait mieux de la boucler sur le Brexit et de devenir adulte». Le fait est que la petite Irlande, avec ses quatre millions et demi d’habitants, se trouve en position, avec le soutien de la Commission européenne, d’autoriser ou non les négociations commerciales voulues par le Royaume-Uni en déclarant, quand elle le voudra, que les discussions ont fait des «progrès suffisants».