«L’Arabie saoudite veut à la fois plaire aux Américains et régler ses comptes avec le Qatar»

«L’Arabie saoudite veut à la fois plaire aux Américains et régler ses comptes avec le Qatar»© Faisal Nasser Source: Reuters
Un homme passe devant les bureaux de Qatar airways à Riyad, en Arabie saoudite
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En rompant ses relations diplomatiques avec le Qatar, l’Arabie saoudite fait d’une pierre deux coups : elle se fait passer pour un allié fiable dans la lutte antiterroriste et envoie un message au Qatar, selon le géopolitologue Alexandre Del Valle.

RT France : Pourquoi l’annonce de la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d'une part, et le Qatar, d'autre part intervient maintenant ?

Alexandre Del Valle (A. D. V.) : Je pense que la venue de Monsieur Trump n’y est pas totalement étrangère, de même que les attentats islamistes commis en Grande-Bretagne depuis moins de trois mois. Premièrement, Trump est quand même un homme de négociations et de rapports de forces. Il a témoigné un énorme respect, presqu’exagéré envers l’Arabie saoudite, cela a choqué ceux qui l’avaient élu pour lutter contre l’islamisme radical. Mais je pense que Trump n’est pas dupe, il a dû dire à ses alliés saoudiens : «Nous vous soutenons contre l’Iran, nous vous soutenons de manière impressionnante en renouvelant le pacte du Quincy (alliance américano-saoudienne conclue en 1945 par Ibn Saoud et Roosevelt) mais, en échange, montrez plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et son financement, notamment pour la Syrie, et faites la paix en Israël et en Palestine.» Et cela tombe bien parce que les intérêts de l’Arabie saoudite sont tournés contre ceux des Frères musulmans qui sont appuyés par le Qatar. 

Secundo, l’Arabie saoudite a très peur que ses alliés anglo-saxons, américains et anglais, ne lui demandent des comptes et la démasquent dans son persistant double jeu, donc pour faire croire qu’elle a changé, elle lance cette offensive diplomatique «anti-terroriste» contre le Qatar qui poussera peut-être les Etats-Unis et surtout la Première ministre Theresa May (qui avait refusé d’ouvrir un dossier compromettant contre les Saoudiens), très remontée, à ne pas trop interpeller l’allié saoudien et son double ou triple jeu (aide aux salafistes anti-occidentaux en tout genre et promotion partout du salafisme fanatique, mais lutte contre les Frères musulmans et alliance avec les pays de l’OTAN). 

L’Arabie saoudite fait d’une pierre deux coups : elle fait croire qu’elle correspond à un allié fiable face au terrorisme et à l’islamisme, alors qu’elle reste le financier du salafisme mais en même temps elle envoie un message au Qatar qui continue à aider les Frères musulmans

RT France : Qu'est-ce que cela signifie pour l'Arabie saoudite ?

A. D. V. : En fait, l’Arabie saoudite continue à promouvoir son modèle salafiste-wahhabite. De manière plus réfléchie, peut-être, mais elle profite surtout de cet instant (Qatar au centre de polémiques et attentats en Grande-Bretagne) pour faire une opération de publicité : «Je fais croire que je lutte contre le terrorisme en accusant le Qatar d’être son bailleur de fonds.» Ainsi, l’Arabie saoudite fait d’une pierre deux coups : elle fait croire qu’elle correspond à un «allié fiable» face au terrorisme et à l’islamisme alors qu’elle reste le pourvoyeur du wahhabo-salafisme, mais en même temps, elle envoie un message au Qatar, proche des Frères musulmans qui sont la première menace intérieure pour l’Arabie saoudite. Riyad craint en effet vraiment les Frères musulmans, sa bête-noire, qui sont le modèle islamiste sunnite le plus subversif, bien plus dangereux socialement que le salafisme wahhabite classique car plus populaire, plus libre et très hostile au pouvoir monarchique pro-américain en place. L’Arabie saoudite veut donc à la fois plaire aux Américains (et aux Anglais) et régler ses comptes avec un pays qui appuie une organisation séditieuse sur son territoire.

L’Arabie saoudite fait donc à mon avis une énorme opération de publicité pour faire croire qu'elle lutte contre l’islamisme radical

RT France : Qu’est-ce que cela signifie pour la région ?

A. D. V. :  Cela ne change pas grand-chose. C’est un phénomène qui est déjà en œuvre depuis plusieurs années. Monsieur Abdelfattah al-Sissi [le président égyptien] est un peu au centre de la lutte, avec les Emirats arabes et Bahrein qui coopèrent depuis plusieurs années déjà contre les Frères musulmans, ainsi qu'une grande partie de l’islam politique, notamment en Libye. Il y a une position commune des Emirats et de l’Egypte pour contrer la subversion islamiste des Frères musulmans. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. Le moment est choisi parce qu’on est en pleine recherche de solutions en Palestine-Israël, en Irak et en Syrie, et en même temps, Trump a quand même appelé très clairement ses alliés à se responsabiliser et à véritablement lutter contre l’islamisme radical. Certains Etats sont assez cohérents et sérieux dans cette démarche et cette guerre idéologico-sécuritaire, comme les Emirats, le général Haftar en Libye, Bahrein et l’Egypte sont réellement dans ce combat. L’Arabie saoudite ne l’est pas vraiment, car même si les Saoud le voulaient, ce pays est un Etat schizophrène dont le bras fanatique wahhabite ignore le pragmatisme anti-terroriste des Saoud. Cet Etat bicéphale, composé de l'alliance d'une tribu pro-occidentale, les Saoud, et d'une secte ultra-fanatique et totalitaire, les Wahhab ou Al-Sheikh, ne peut pas être efficace et sincère par nature dans son «combat» contre le totalitarisme islamiste, puisqu’il en est le créateur moderne, le sponsor, l’idéologue et le bras financier. Elle fait donc à mon avis une énorme opération de publicité pour faire croire qu'elle lutte contre l’islamisme radical, alors qu’elle est son principal sponsor et concepteur. C’est une publicité à moindre frais et une nouvelle façon de prendre les «alliés» occidentaux, naïfs, pour des imbéciles, ce que ne sont pas les Egyptiens et les Emiratis...

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