Convergence entre Gilets jaunes et activistes du climat : l'histoire d'un paradoxe
Simultanément à l'acte 45 des Gilets jaunes, des marches pour le climat se sont tenues dans plusieurs grandes villes de France. L'occasion pour certains d'y voir le début d'une convergence des luttes. Mais qu'en est-il réellement ?
L'organisation de marches pour le climat à l'occasion du 45e acte de la mobilisation des Gilets jaunes le 21 septembre, a permis à nombre de commentateurs de mettre en lumière le concept de convergence entre les deux mouvements.
«Convergence en marche», «fusion des luttes sociales et climatiques»...
Sur les réseaux sociaux par exemple, plusieurs comptes se revendiquant pro-Gilets jaunes se sont réjouis d'«une convergence en marche» (Collectif Carton jaune) ou encore d'«une impressionnante marche pour le climat en convergence avec les Gilets jaunes» (Révolution permanente).
«Cette journée est symbolique pour nous, pour la convergence des luttes entre le climat, les retraites», a de son côté estimé Eric, présent dans le cortège parisien et décrit par l'AFP comme un Gilet jaune cadre venu de Toulouse. Même sentiment chez Yoann qui a encadré le cortège de la marche pour le climat à Paris le même jour. «Il y a eu une réelle convergence, pour une fois, même si c'est pas génial, en tant que non violent on a été traité comme des Gilets jaunes», a-t-il expliqué au micro de RT France.
#MarchePourLeClimat : une «réelle convergence» avec les #GiletsJaunes#Paris#Acte45@Dkhalifa_RT
— RT France (@RTenfrancais) September 21, 2019
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Un enthousiasme également présent chez certaines personnalités politiques de l'opposition, comme la sénatrice écologiste Esther Benbassa, qui a considéré que «l'amorce d'une convergence [était] visible, désormais, entre Gilets jaunes et écologistes», et s'est félicitée que le mouvement des Gilets jaunes allait «changer». Constat partagé par le député insoumis Eric Coquerel qui, tout en caractérisant la marche pour le climat comme «une manifestation massive, rejointe par de nombreux cortèges», affirmait, de son côté, que «la convergence se [faisait]».
Invitées sur le plateau de RT France, la fondatrice de QG le média libre, Aude Lancelin, ainsi que Manon Le Bretton, membre des Constituants, ont également commenté les événements du jour, évoquant notamment une «fusion» des luttes sociales et climatiques.
Le concept fait en outre son chemin jusque dans les rangs de la majorité présidentielle. Contrastant singulièrement avec l'engouement des partisans d'une convergence, certains ne cachent pas leur irritation chez les macronistes. A l'image du député LREM Pieyre-Alexandre Anglade qui, faisant référence aux échauffourées de la journée, a fustigé «les ultras de toutes sortes encouragés par des irresponsables qui appellent à la "convergence des luttes"». «Leur seul but est le chaos politique», a-t-il ajouté, notant au passage que les manifestations pour le climat dans le reste de l'Europe s'étaient déroulées sans heurts.
Une convergence déjà sollicitée par Emmanuel Macron ?
A l'heure où les commentaires abondent dans le sens d'une potentielle convergence entre militants du climat et Gilets jaunes, qu'en est-il vraiment ? Si seuls les prochains actes de la mobilisation permettront d'évaluer l'ampleur d'un tel phénomène, certains éléments de contexte pourraient d'ores et déjà contenir l'emballement de certains à ce sujet.
Tout d'abord, la potentielle «convergence des luttes» entre Gilets jaunes et activistes du climat rappelle le message qu'Emmanuel Macron avait lui-même adressé aux Français, dès le mois de novembre 2018. Alors qu'il s'exprimait pour la première fois depuis la naissance du mouvement citoyen, il avait demandé de ne pas dissocier «la fin du monde et la fin du mois». «Ce que je veux faire comprendre aux Français c'est que nous devons traiter les deux», avait alors déclaré le chef de l'Etat.
Sauf à penser qu'après avoir renouvelé les critiques à l'encontre d'Emmanuel Macron dans les semaines et mois qui ont suivi cette déclaration, les Gilets jaunes s'accorderaient aujourd'hui à valider un constat dressé dix mois plus tôt par le président de la République, difficile d'anticiper donc, la forme que pourrait prendre ladite convergence.
Aurait-elle vocation à rassembler jusqu'au sein de la majorité présidentielle les macronistes les plus attachés à la transition écologique ? Voire au chef de l'Etat qui a érigé l'écologie en priorité de «l'acte deux» de son quinquennat ?
« L’écologie est au cœur de l’acte II du quinquennat. »
— En Marche (@enmarchefr) July 3, 2019
Découvrez la tribune co-signée par un collectif réunissant des membres du réseau « Transition écologique En marche ! », les députés @LaREM_AN@b_abba, @JCColasRoy et l’eurodéputé @pcanfin.https://t.co/9k0RFZEEqS
Par ailleurs, et c'est peut-être ici le cœur du paradoxe, rappelons que c'est bel et bien une taxe écologique qui est à l'origine du mouvement des Gilets jaunes. En effet, le 17 novembre 2018, par centaines de milliers, des Français décidaient, de part et d'autre du territoire, de descendre dans la rue afin d'exprimer leur colère face à la hausse annoncée des taxes sur le carburant, présentée dans le cadre du programme de transition écologique du gouvernement. Péages d’autoroute, ronds-points ou encore parkings de centre commerciaux : une mobilisation inédite voyait alors le jour.
«On est en train de crever» : au cœur de la mobilisation des #GiletsJaunes à #Sedan (REPORTAGE)
— RT France (@RTenfrancais) November 17, 2018
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Enfin, il intéressant de noter que des événements pro-climat ont déjà été organisés simultanément à des manifestations de Gilets jaunes, sans pour autant faire exploser les chiffres de la mobilisation citoyenne sur la durée. De fait, alors qu'un rassemblement pour le climat baptisé «La marche du siècle» s'est déroulé le 16 mars 2019 – le même jour que l'acte 18 des Gilets jaunes –, l'événement n'avait alors pas constitué une date clé pour la mobilisation. Au contraire, au-delà d'un faible sursaut de participation lors de l'acte 19 du mouvement, celui-ci a mobilisé plus faiblement au fil des manifestations suivantes, du moins selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, comme en témoigne un graphique du site de données statistiques allemand Statista.
Les appels à la convergence qui ont émergé le 21 septembre sont-ils voués à rassembler de façon exponentielle ? Vont-ils provoquer le retour de la devenue emblématique mobilisation des ronds-points ? Ou signent-ils au contraire une métamorphose radicale des manifestations à venir, laissant de nouvelles revendications – climatiques – se substituer à l'exaspération initialement exprimée par le mouvement citoyen ?
En tout état de cause, comme l'a constaté un journaliste de RT France, la mobilisation du 21 septembre n'est pas sans rappeler, par certains aspects, les très «urbano-centrées» nuits-debout.
Des écologistes bloquent le pont de Tolbiac... ambiance Nuit debout #Paris@AnvCop21pic.twitter.com/7B5j5Wiy1P
— Lucas Léger (@lucas_rtfrance) September 21, 2019
Un mouvement qui s'était éteint à petit feu, laissant finalement le gouvernement de l'époque faire entrer en vigueur la fameuse «loi travail», objet initial d'une mobilisation d'ampleur…
Fabien Rives