Dans le contexte des pourparlers à Vienne sur la résolution de la crise syrienne, RT France s’est entretenu avec le géopoliticien Alexandre Del Valle, auteur du livre «Chaos syrien», pour discuter de la politique française dans la région.
RT France : Le 28 octobre, à Paris s’est tenu une conférence sur le conflit en Syrie. Est-ce qu’à votre avis, ces négociations auxquelles, la Russie et l’Iran n’ont pas été conviés, ont-elles un sens ?
Alexandre Del Valle : Je pense qu’elle ne pourra pas apporter grand-chose au règlement pacifique du conflit syrien parce que le grand problème de cette conférence, c’est que l’Iran n’a pas été invité et, qu’apparemment, on n’a pas insisté non plus pour que la Russie soit présente, deux acteurs majeurs tout de même. Laurent Fabius a toujours voulu être assez dur avec le régime iranien. Mais est-ce qu’on peut se permettre pour résoudre le conflit syrien de se passer d’un des acteurs les plus importants de la région ? C’est l’Iran qui encadre les miliciens irakiens, c’est l’Iran qui encadre et finance le Hezbollah, c’est l’Iran qui est l’un des principaux soutiens du régime syrien. Je ne vois pas comment on peut trouver une solution alors qu’on exclut un acteur régional fondamental qui a un effet direct sur le régime syrien et qui pourrait être utilisé pour faire pression sur la Syrie. L’Iran et la Russie sont les seuls pays qui peuvent vraiment exercer une pression sur Bachar el-Assad si on veut une solution pour sortir de la crise. C’est complètement irrationnel.
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RT France : Pourquoi donc organiser cette réunion ? Pour répondre à la réunion de Vienne du 23 octobre où la France n’avait pas été conviée ?
Alexandre Del Valle : Oui, en partie. On ne peut pas critiquer le gouvernement français pour avoir voulu organiser une autre réunion, parce que la France, c’est quand même un acteur important dans la Méditerranée. Elle a de plus des responsabilités historiques au Liban et en Syrie qui découlent de son mandat des années 1920. La France ne pourrait pas se permettre de rester en dehors du processus de négociation. Donc, Paris montre son initiative, que la France a une diplomatie active et qu’elle compte. Après avoir été exclus de la réunion de Vienne la semaine dernière, il était difficile pour les Français de ne pas montrer leur particularité. Ce qui est dommage, c’est qu’ils ne le font qu’avec le seul camp saoudien-qatari-turc, qui réunit en fait ceux qui sont avec les puissances atlantiques. C’est une bonne chose de consulter ce camp, mais il faut dialoguer avec tout le monde : même les Russes ont dialogué avec les Saoudiens. Ce qui est dommage, c’est de ne pas même essayer d’inviter l’Iran à la table des négociations, alors que les Etats-Unis ont engagé un processus de pacification avec la levée progressive des sanctions. L’absence de l’Iran est donc encore plus étonnante. En ce qui concerne la Russie, malheureusement, l’une des constantes de la politique européenne aujourd’hui, parfois pire et plus dure que celle des Etats-Unis, consiste à considérer la Russie comme un Etat dangereux qu’il faut éviter. Je trouve étonnant que ces mêmes pays fréquentent le Qatar et l’Arabie saoudite, qui coupent les têtes et qui envoient des djihadistes partout dans le monde, y compris contre nos soldats au Mali. Je trouve étonnant que la France soit si peu regardante sur les droits de l’homme avec l’Arabie saoudite ou le Qatar, alors qu’elle est très exigeante avec la Russie. Il y a deux poids deux mesures, ce qui est assez contradictoire.
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RT France : Est-ce que la France a raison de miser sur les monarchies sunnites ?
Alexandre Del Valle : Je ne sais pas si elle a raison ou tort mais il est certain que du point de vue de la diplomatie économique, d’un point de vue géo-économique, on peut comprendre ce calcul. L’idée est de faire plaisir à des Etats sunnites fondamentalistes qui sont majoritaires dans le monde arabe et musulman. Miser sur la majorité sunnite dans le cadre du long-terme, pour, en plus, garder une position d’influence, l’appui des populations et des gouvernements et éventuellement vendre un certain nombre de marchandises. Mais isoler un pays aussi important que l’Iran et ne pas trouver de solution intelligente avec nos amis russes me paraît quand même dommage . A mon avis, on peut très bien avoir des alliés sunnites tout en parlant avec le pôle pro-chiite. Je ne pense pas que ce soit totalement impossible. La France aujourd’hui est une puissance moyenne, elle ne peut pas se permettre d’avoir une multi-stratégie. La France a misé depuis le début du conflit syrien sur l’interlocuteur sunnite. A mon avis, c’est une erreur. Elle pourrait très bien le faire tout en mettant un petit bémol et en gardant quand même une diplomatie intelligente vis-à-vis du monde chiite. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Je pense qu’on en paiera les conséquences quand le marché iranien deviendra prépondérant. Les Iraniens s’en souviendront.
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RT France : Quel est le but de la politique de Laurent Fabius en Syrie ?
Alexandre Del Valle : Il faut comprendre que Laurent Fabius est un homme qui a vécu les attentats des années 1980-1990, quand l’Iran a actionné le Hezbollah à l’international pour perpétrer des attentats en France. C’est un homme qui se souvient que des Français ont été tués au Liban lors de l’attentat perpétré par l’axe chiite, composé du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran. C’est un homme qui est très marqué par cette époque où la France a été effectivement menacée par le pôle chiite. Il n’oublie pas non plus que le Hezbollah et le Hamas ont été appuyés par l’Iran et la Syrie, ennemis existentiels d’Israël. La France a un contentieux historique avec la Syrie à cause du Liban. La diplomatie française a toujours été pro-libanaise, a toujours défendu l’entité du Liban qui a été envahi par la Syrie. On peut comprendre, qu’en France, il y ait des gens très réticents à l’égard du régime syrien. A mon avis, le pragmatisme en géopolitique consisterait à s’adapter à la situation actuelle et à ne pas se laisser influencer par le passé.
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L’idée de Fabius, c’est miser sur un régime sunnite appuyé par les grands régimes sunnites de la région pour préparer le futur à long-terme. Si l’on soutient totalement le régime syrien, c’est une attitude que la France paiera plus cher que la Russie. Cette dernière peut se permettre une alliance très ferme et franche mais la France ne le peut pas. La France devrait avoir une diplomatie plus mesurée, équilibrée, avec différents pôles. Cela n’empêche pas de discuter avec l’Iran. On ne trouvera pas la solution à la crise syrienne sans associer tous les acteurs. Même aux Etats-Unis, certains analystes estiment que le régime syrien fait partie de la solution. D’un côté, on a une position de principe, et de l’autre, le pragmatisme à long-terme qui consiste à préparer l’«après-Assad». Mais cette stratégie comporte l’inconvénient de provoquer une brouille avec l’axe iranien.
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