«Quelle mâle gaieté si triste et si profonde, que lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer !»
Cette citation d'Alfred de Musset me fait penser à la situation pathétique dans laquelle se trouve notre pays quant à la manière de gérer la crise sanitaire. Force est de constater que nous sommes désespérément mauvais dans tous les domaines et que nous sombrons impuissants dans l'abîme, tel le Titanic lorsqu'il a heurté l'iceberg qui l'a fait couler.
Le 14 octobre à 20 h, le président de la République, sur un ton moins martial que le 16 mars dernier, nous a annoncé des mesures contraignantes complémentaires qui étaient à la fois pressenties et déjà connues de l'opinion publique avant son intervention télévisée : un couvre-feu dans les grandes métropoles de France, de 21h à 6h du matin à savoir, Paris, Île-de-France, Saint-Étienne, Aix-Marseille, Lyon, Grenoble, Toulouse, Montpellier et Rouen, ce qui représente pas moins de 20 millions de Français, dans un premier temps, pour une durée de quatre semaines à compter du samedi 17 octobre à minuit. Sans doute ces mesures sont-elles prises pour tenter d'endiguer la «seconde vague de l'épidémie».
Toutefois, elles témoignent d'une certaine incohérence dans la mesure où le virus circule dans la journée et pas seulement la nuit, notamment dans les transports ou dans tous les lieux propices à cette circulation. Si le couvre-feu est un des moyens de lutter contre le rebond de l'épidémie, il ne saurait être pour autant le seul à être mis en œuvre. A supposer que ces mesures de couvre-feu ne produisent pas les effets escomptés, jusqu'où irons-nous dans cette escalade de mesures contraignantes et restrictives de nos libertés les plus fondamentales ?
L'actuel gouvernement n'a eu de cesse de répéter durant pratiquement deux mois que le plan de relance de 100 milliards d'euros et le grand emprunt de 750 milliards d'euros lancé par l'Union européenne sous l'égide de la Commission européenne devaient être mis en application dans les meilleurs délais, alors même que les risques d'une reprise de l'épidémie étaient largement prévisibles dès le mois de septembre. Par ailleurs, certains Etats membres de l'Union européenne n'hésitent pas à se livrer à un chantage parfaitement scandaleux en usant de leur droit veto pour retarder la mise en place du plan de relance, ce qui risque de nous plonger encore davantage dans la récession économique. L'actuel ministre de l'Economie s'est voulu jusqu'à présent rassurant en évoquant une reprise forte de l'activité économique en 2021 et un rattrapage des 2022. Cependant, cette reprise s'annonce pour le moins hypothétique compte tenu des mesures ainsi annoncées. En effet, un retour de la croissance doit reposer nécessairement sur la confiance des agents économiques. Or, les Français voient leur avenir assombri et ne sont pas enclins au sourire.
On peut largement les comprendre. Sans doute sont-ils plus lucides qu'on ne le croit. Selon les derniers chiffres, la France compte à l'heure actuelle 9,4 millions de pauvres, 1,9 millions de bénéficiaires de RSA, vraisemblablement d'ici la fin de l'année un taux de chômage qui atteindra 11% de la population active. Comment peut-on susciter la confiance des Français dans de pareilles circonstances ? Si le président Franklin Roosevelt avait dit lors de son discours d'investiture en janvier 1932, «la seule chose dont il faut avoir peur, c'est de la peur elle-même», les chiffres ci-dessus indiqués n'incitent certainement pas à l'optimisme en dépit d'un ton plus rassurant et plus jovial du président de la République que celui adopté au tout début du confinement. Même si les secteurs les plus gravement touchés (cafés restaurants, théâtres, cinémas, tourisme) sont soutenus par l'Etat à coup de dizaines de milliards d'euros, cela n'évitera pas pour autant le dépôt de bilan de milliers d'entreprises, et, tout son cortège de licenciements et de drames humains.
Privilégier la santé de nos concitoyens est sans doute indispensable d'un point de vue humain, mais ruiner notre économie sera encore plus désastreux pour des millions de nos concitoyens qui ne s'en relèveront peut être jamais. A l'heure actuelle, nous ne savons pas avec précision ce qui va advenir dans les prochaines semaines. Il est évident qu'un reconfinement éventuel aggraverait encore davantage une situation ô combien catastrophique pour les petites entreprises et les salariés les plus précaires. Il fera sans doute plus de victimes que la pandémie elle-même, avec tout son cortège de suicides face au désespoir ainsi généré. D'autres pays, comme l'Allemagne ou la Belgique, ont déjà mis en place le couvre-feu dans les principales villes depuis le week-end dernier alors même qu'ils enregistrent en moyenne 6 000 nouveaux cas de Covid par jour contre 20 000 dans notre pays. Une fois encore, nous avons manqué d'anticipation et cela ne peut que susciter la colère parfaitement légitime des professionnels des bars restaurants et de l'hôtellerie.
Le déconfinement est incontestablement un échec ainsi que la manière d'organiser les tests de dépistage pour lesquels il faut parfois attendre plus d'une semaine pour en connaître les résultats. Monsieur Véran avait promis 12 000 lits de réanimation. Où sont-ils ? Là encore, la défaillance de l'Etat sera lourde de conséquences pour les hôpitaux qui sont déjà saturés. Pour reprendre les propos de la philosophe Monique Canto Sperber, l'état d'urgence est un mode de gestion de l'incertitude, par-delà les mesures restrictives de liberté qu'il engendre à chacun d'entre nous. Il n'existe aucune solution satisfaisante et sans doute n'y avait-il pas d'autre choix que de prendre ces mesures complémentaires. Le coût économique et social sera cependant considérable. La dette consolidée de l'assurance chômage est estimée à 55 milliards d'euros. Le contribuable français devra tôt ou tard en payer la facture.
La seule chose que nous pouvons dire à ce stade, par-delà la crise sanitaire, c'est que notre pays mettra une dizaine d'années pour se redresser économiquement, si tant est qu'il y parvienne dans la mesure où celui-ci a amorcé sa phase de déclin depuis une vingtaine d'années par une désindustrialisation massive. Est-il besoin de rappeler que l'industrie française ne représente plus que 11% du PIB comparativement à l'Allemagne, où la proportion de ce secteur est encore de 22% ? La relocalisation de certaines activités sur le territoire national n'y changera pas grand-chose, sauf si le gouvernement actuel et ceux qui lui succéderont prennent conscience de la nécessité d'investir massivement dans la recherche et l'innovation, notamment dans la santé, afin de mieux anticiper d'autres épidémies, la transition énergétique et l'intelligence artificielle. Ce sera sans doute une des conditions du redressement de notre pays.
Franck Pallet