La crise sanitaire actuelle sera-t-elle l'occasion de changer notre perception du monde ?

La crise sanitaire et économique du Covid-19 souligne l'impréparation de la France à de nombreux enjeux du XXIe siècle, selon le consultant juridique Franck Pallet. En cause notamment : désindustrialisation, délocalisations, déficit public...

La crise sanitaire actuelle sera-t-elle l'occasion de changer notre perception du monde ?

Tout observateur attentif de l’actualité ne peut qu’être frappé par l'impuissance et le manque de vision de nos dirigeants politiques et économiques. En effet, depuis les années 1980, la France s'est considérablement affaiblie tant sur le plan économique qu'industriel, passant ainsi de la 4eme puissance économique mondiale en 1992 au 6eme rang en 2018 si l'on se réfère au PIB nominal.

Quelles que soient les politiques publiques qui ont été menées jusqu'alors, on ne peut que déplorer les erreurs de diagnostic et l'inadaptation des réponses apportées aux crises économiques récurrentes. Englué dans la mêlée néolibérale depuis l'adoption du traité de Maastricht de 1992, notre pays n'a non seulement pas résorbé ses déficits et son endettement publics, mais a globalement échoué dans la politique de lutte contre le chômage. Il n'a eu de cesse également de se désindustrialiser au cours des dernières décennies au nom d'une mondialisation qu'on nous promettait «heureuse», pour reprendre les propos de l'économiste Alain Minc, autre gourou à la mode durant les années 80-90 dont l'influence sur les pouvoirs successifs, à l'instar d'autres «sorciers» des temps modernes, dans la prise de décision économique, est un des éléments explicatifs du déclin de notre pays ainsi amorcé depuis 40 ans. A cela s'ajoute un parlement totalement asservi à un exécutif omnipotent imposant ainsi 80% de nos lois, ce qui a fait de celui-ci une simple chambre d'enregistrement, en dépit de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui était censée donner plus de pouvoir de contrôle aux assemblées parlementaires.

Si ce constat découle de l'esprit de nos institutions, notamment par la présidentialisation de notre régime parlementaire, l'absence de débat de fond ne permet plus au parlement de jouer pleinement son rôle, ce qui ne peut qu'exacerber la défiance du peuple à l'égard de notre élite politico-administrative censée apporter une nouvelle vision de notre société et ainsi les réponses adaptées aux nouveaux enjeux qui se présentent à nous (politique sanitaire, transition écologique, lutte contre la pauvreté, mutation de notre économie vers le numérique...). Si le plan de relance récemment mis en place par le gouvernement d'un montant de 100 milliards d'euros va dans le bon sens, il est cependant loin d'être suffisant comparativement à celui adopté par l'Allemagne. Il est le reflet d'un manque de réalisme face à l'ampleur de la crise. Pour être honnête intellectuellement, il faut convenir que les marges de manœuvre de notre économie sont beaucoup plus limitées que celles de notre voisin d'outre-Rhin, car nous avons été incapables de voter un budget en équilibre depuis 1980. Enfin, tous ceux qui connaissent l'économie savent que les mesures prévues dans le cadre de ce plan de relance ne produiront leurs effets qu'à moyen terme et n'apportent pas de réponses immédiates aux problèmes structurels de notre économie, qui constituent un véritable mal français au sens où l'entendait Alain Peyrefitte dans son célèbre ouvrage La Société de confiance

Alors que faire ?

La sortie de la récession actuelle ne pourra se faire que par des politiques concertées au niveau européen afin d'être en mesure de mieux affronter la concurrence internationale. Des plans de relance isolés, mis en place individuellement par chacun des Etats membres de l'Union europeenne, n'auront que des effets limités. Un budget de la zone euro serait un moyen de coordonner les politiques économiques et d'apporter les réponses nécessaires à la crise actuelle. Mais on sait, hélas, que cette proposition faite par le président Emmanuel Macron a suscité l'hostilité des Etats dits frugaux et que l'unanimité des Etats membres est quasiment impossible à obtenir, sauf à modifier les règles de majorité. Si les mesures de relance entreprises tant au niveau national qu'au niveau européen constituent une première étape, une réforme des traités européens s'avère indispensable afin de donner plus de marge de manœuvre aux Etats et modifier en profondeur les politiques économiques. Une refonte du droit européen de la concurrence permettrait de se libérer du carcan actuel, imposé par les articles 101 et 102 du TFUE qui empêchent actuellement la constitution de groupes industriels de dimension européenne, capables d'affronter les entreprises chinoises et américaines, au nom d'une concurrence libre et non faussée. Le rejet du projet de fusion Alcatel Siemens par la Commission européenne en a été la triste illustration. 

Mais cette modification en profondeur participe d'une volonté politique qu'on a du mal pour l'heure à discerner chez nos dirigeants politiques, alors que les enjeux actuels nécessitent plus de coopération et de partages de technologie et des savoirs.
A cet égard, la crise sanitaire du Covid-19 a été le révélateur de nos fragilités et de notre trop forte dépendance à l'égard de certains pays comme la Chine et l'Inde pour la fourniture de masques de protection et de respirateurs. Cet état de choses est la résultante d'une délocalisation massive de certaines activités industrielles pour des raisons de compétitivité.

C'est pourquoi il s'avère nécessaire de modifier en profondeur notre manière d'appréhender l'économie et ainsi sortir de l'éternelle opposition entre keynésianisme et néolibéralisme qu'on nous a enseignée dans le cadre de nos études supérieures, deux doctrines qui ont montré précisément toutes leurs limites au cours des dernières décennies. Car le monde d'aujourd'hui appelle des réponses nouvelles et audacieuses, par-delà la sortie de la crise qui prendra plusieurs années, en dépit des discours convenus et par trop rassurants du ministre de l'Economie actuel Bruno Le Maire. Seule la confiance pourra nous permettre de retrouver le chemin de la croissance. Mais pour cela, le politique doit reprendre la main et ne pas se laisser dicter ses décisions par la finance et les agences de notation. 

Franck Pallet