David Koubbi, avocat associé au Cabinet 28 octobre à Paris, détaille pour RT France le cadre dans lequel des manifestants peuvent se voir verbaliser pour des rassemblements illégaux et livre ses conseils pour tenter un recours. Egalement auteur de l'ouvrage La Charge, cet avocat en droit des affaires tire à boulets rouges sur la sphère politique qui, selon lui, ne rend pas de comptes et il plaide pour l’organisation de «contestations compatibles».
RT France : Tracts, autocollants... Des vidéos diffusées sur Twitter montrent des personnes verbalisées pour des motifs présentés comme légers a priori, mais quel est le motif, en droit ?
David Koubbi : S’il semble assez évident (sur le fondement de la liberté d’expression) que la verbalisation liée au seul port d’un vêtement, autocollant ou même d’un tract politique est illégale, la situation à laquelle ces personnes font face est bien plus délicate.
En effet, au sein d'un périmètre affecté par une interdiction légale de manifestation, les forces de l’ordre sont en droit (R. 644-4 du Code pénal) de verbaliser toute personne se trouvant sur les lieux et dont il est évident qu’il s’agit d’un manifestant (à charge pour eux de le prouver en cas de contestation, ce qui demeure toujours possible).
Interrogée à la suite d’incidents similaires s’étant déroulés en mars 2019, la préfecture de police de Paris avait répondu : «L'agent verbalisateur doit démontrer que cette personne par son comportement ou sa tenue est un manifestant. Le caractère revendicatif ou symbolique qui entre dans les éléments constitutifs de la participation à une manifestation interdite peut ainsi être matérialisé par la constatation de l'usage de mots, de gestes, de support matériel ou de tout signe distinctif ostentatoire : slogan, pancarte, banderole, vêtement, drapeau, brassard, signal lumineux ou sonore…»
Dès lors qu’il apparaît manifestement que la personne revêt le statut de «manifestant», la police est en droit de lui adresser une contravention, conformément toujours à l’article R. 644-4 du Code pénal.
RT France : Quel est le fondement légal de l'interdiction spécifique faite aux Gilets jaunes de manifester à Paris ?
DK : La prérogative d’interdiction des manifestations dont disposent les autorités investies des pouvoirs de police, maires et préfets trouve son fondement dans l’article L. 211-4 du Code de la sécurité intérieure : «Si l'autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu. Le maire transmet, dans les vingt-quatre heures, la déclaration au représentant de l'Etat dans le département. Il y joint, le cas échéant, une copie de son arrêté d'interdiction. Si le maire, compétent pour prendre un arrêté d'interdiction, s'est abstenu de le faire, le représentant de l'Etat dans le département peut y pourvoir dans les conditions prévues à l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.»
Comme cela est prévu dans l’article précité, le trouble à l’ordre public du rassemblement prévu suffit à fonder une interdiction de manifestation.
Des violences en marge des manifestations des Gilets jaunes ayant conduit certaines personnes à s’adonner à la dégradation de biens publics comme privés antérieurement, la base légale de l’interdiction de manifestations des Gilets jaunes spécifiquement est toute trouvée : il est ainsi plus aisé de justifier une interdiction de manifestation Gilets jaunes qu’une interdiction de manifestation lambda.
RT France : Quels sont les recours possibles pour les personnes verbalisées ?
DK : Heureusement, les personnes verbalisées disposent de recours leur permettant de contester la contravention. Un certain nombre d’avocats se sont spécialisés dans cette matière.
La contestation d'une amende contraventionnelle émise dans le cadre d'une manifestation interdite relève de la même procédure que la contestation de toute contravention. Cette contestation doit néanmoins être fondée sur un motif sérieux : dès lors que la personne verbalisée manifestait activement au sein d'un périmètre affecté d'une interdiction de manifestation, elle sera coupable de l'infraction qui lui est reprochée dans le procès-verbal dressé.
Si toutefois la personne verbalisée ne participait pas réellement à la manifestation et peut en justifier, en apportant une ou plusieurs preuves (témoignages ou tout autre moyen de preuve), la contestation est fondée et pourra être retenue.
Dans un délai de 45 jours suite à l'émission de la contravention, la personne verbalisable peut adresser une lettre recommandée de contestation, avec accusé de réception, au service indiqué sur l'avis de contravention, à laquelle il faudra joindre l'avis original de contravention. Si ce délai de 45 jours est passé, il sera toujours possible de contester l'amende majorée.
A réception de la lettre de contestation, l'officier du ministère public pourra décider soit de classer l'affaire sans suite, soit de retenir l'irrecevabilité de la contestation, ou encore de la transmettre au tribunal de police, dès lors qu'il estime que la contestation est recevable mais infondée (la personne verbalisée recevra dans ce cas une convocation à l'audience ou une ordonnance du tribunal de police).
RT France : Dans votre ouvrage La Charge, vous faites état d'une relation délétère entre les plans de la politique et de la population française, comment s'articule-t-elle ?
DK : Dans le livre, il y a deux idées force. La première part du principe que, lorsqu'on se marie ou qu'on est engagé dans une entreprise par exemple, on signe un contrat. Les contrats régissent tous les domaines de notre existence... sauf en politique, donc aucune promesse n'engage en réalité les personnalités politiques lorsqu'elles s'expriment. La parole politique est donc hors-sol puisqu'elle ne répond pas aux conditions de fonctionnement classiques qui s'appliquent à nous tous.
Les exemples abondent, mais considérez simplement celui de Florence Parly lorsqu'elle s'exprime devant les sénateurs au sujet du retour des militaires de Creil ou celui des affirmations du gouvernement sur le masque au mois de mars qui nous assurait qu'ils étaient disponibles mais que la population générale n'en avait pas besoin.
RT France : Comment remédier à cette situation ?
Il s'agit de la deuxième idée qui sous-tend le livre : les contestations compatibles. Je suis parti de l'idée que si chacun continue ne pas vouloir s'associer à un autre groupe pour un objectif commun pour des raisons d'incompatibilité X ou Y, nous ne pourrons jamais travailler ensemble. Car une fois qu'on a dressé le constat que le plan politique ment, par exemple, il faut des solutions et, à mon sens, c'est là qu'intervient l'idée de contestations compatibles : si on ne veut jamais être vu sur la même photo d'untel ou unetelle parce qu'on se soucie de ce qu'en pensera le tout-Paris, le domaine du politique gagne à tous les coups. Ils comptent même sur ces dissensions. Il faut donc une convergence des luttes qui les dépasse.
RT France : Ces constats que vous dressez, que vous amènent-ils à penser de la démocratie française en l'état actuel ?
DK : Je crois comprendre que la mortalité due au Covid-19 en France est finalement assez faible au regard de la population totale. Pourtant, le pilier de la démocratie est directement atteint par les mesures prises pour contrer l'épidémie : la distanciation sociale, la vie de tous les jours, les rassemblements, les bars, les restaurants, tout ce qui fait le quotidien.
Nos libertés publiques me semblent atteintes dans des proportions qui sont bien supérieures aux pourcentages de mortalité imputables au virus.
Enfin s'il est difficile d'en vouloir au gouvernement de ne pas savoir où nous en sommes, je regrette amèrement la communication infantilisante et péremptoire qui est mise en place par les autorités.
La Charge, de David Koubbi avec les photographies de Léa Garson, éditions La Relève et la peste, manifeste de 104 pages, 10 euros.